Cyber-gouvernance : quand les dirigeants d’entreprise font face au défi crucial de la sécurité numérique

La hausse massive des cyberattaques fait de la cybersécurité une responsabilité centrale pour les dirigeants. Les cadres juridiques européens (RGPD, DORA, NIS II) renforcent fortement leurs obligations : mise en place de mesures de protection, supervision des risques, contrôle des prestataires, et implication personnelle des organes de direction. Les sanctions peuvent être très lourdes : amendes élevées, responsabilité individuelle, suspension, voire poursuites pénales. En France, les dirigeants peuvent aussi être tenus civilement et contractuellement responsables en cas de manquement.

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Les organes de direction (conseil d’administration, assemblée générale des actionnaires et comité exécutif) jouent un rôle crucial en définissant la vision stratégique, en garantissant une gouvernance efficace et en veillant à la bonne gestion de l’entreprise.

Face à l’essor préoccupant des cyberattaques, ces responsabilités s’étendent désormais au domaine vital de la cybersécurité, devenu un défi incontournable pour toute organisation moderne.

1. Les entreprises face à la menace invisible : l’inquiétante montée en puissance des cyberattaques bouleverse les priorités stratégiques des entreprises

      Les cyberattaques se multiplient, touchant toutes les entreprises : en 2023, 278 770 atteintes numériques ont été recensées, dont 59% causant des préjudices financiers majeurs.

      Les rançongiciels représentent une menace sérieuse, tandis que les risques internes proviennent aussi des employés via diverses négligences.

      Face à cette menace invisible, le Parlement a adopté des textes novateurs qui placent les dirigeants au cœur même de la bataille cybernétique de l’entreprise.

      2. Le Règlement Général sur la Protection des Données : l’aîné du corpus normatif qui a propulsé la cybersécurité au cœur des préoccupations des dirigeants d’entreprises

        a. Ses obligations

          Le RGPD a imposé aux responsables de traitement de garantir la protection des données personnelles, incluant les mesures techniques et organisationnelles nécessaires (pseudonymisation, chiffrement, processus de gestion des incidents).

          Ces obligations les conduisent à restructurer fondamentalement leurs dispositifs de cybersécurité. Les entités se doivent d’instaurer des mesures tant techniques qu’organisationnelles assurant l’intégrité des données personnelles. Les organes de direction sont particulièrement concernés et directement impliqués par ces exigences réglementaires.

          Le RGPD leur attribue une responsabilité proactive, nécessitant la mise en œuvre de mesures adaptées aux risques évalués et périodiquement révisées face à l’évolution constante des vulnérabilités.

          b. Ses sanctions

          En cas de violation, la responsabilité des personnes en charge peut être engagée si les mesures préventives étaient insuffisantes ou la réponse inadaptée. Le RGPD impose des amendes administratives jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial.

          3. Le Règlement DORA : le cadet du corpus normatif qui a propulsé la cybersécurité au cœur des préoccupations du secteur financier

          a. Ses obligations

            Le règlement DORA vise exclusivement le domaine financier, imposant des structures de résilience opérationnelle exigeantes comprenant des évaluations périodiques, des vérifications minutieuses et une communication claire avec les autorités de régulation. Les organes de direction sont tenus d’assurer la conformité à ces obligations, sous risque de sanctions individuelles. Les dirigeants sont personnellement impliqués dans la gestion de la stratégie numérique de leur entreprise.

            Une vigilance particulière est accordée par DORA aux prestataires externes, notamment les fournisseurs de services cloud, dont les établissements financiers doivent certifier le respect des critères de cybersécurité. Dès lors, il incombe aux organes de direction de s’assurer que leurs tiers respectent les normes de cybersécurité. Ainsi, ils peuvent être considérés comme responsables des incidents émanant de ces tiers.

            b. Ses sanctions

            DORA établit un cadre de responsabilité individuelle applicable aux dirigeants des entités critiques. Ces derniers peuvent être tenus responsables s’ils n’ont pas déployé les mesures adéquates pour anticiper ou atténuer les conséquences des cyberattaques. Le règlement prévoit des sanctions administratives pouvant s’élever à plusieurs millions d’euros ainsi que des poursuites personnelles à l’encontre des dirigeants ayant fait preuve de négligence.

            4. La Directive NIS II : la benjamine du corpus normatif qui a étendu le champ d’application de la Directive NIS I

            a. Ses obligations 

              Tandis que la directive NIS I s’appliquait à seulement quelques centaines d’organisations stratégiques, la directive NIS II étend son champ d’application à approximativement 10 000 entités, réparties sur 18 secteurs d’activité (contre 7 auparavant), en établissant une distinction claire entre les entités essentielles et importantes.

              NIS II engage spécifiquement la responsabilité des dirigeants dans la gestion des incidents cyber. Les personnes physiques des organes de direction sont pleinement impliquées dans la gestion du risque cyber.

              Les organes de direction des entités « essentielles ou importantes » sont tenus d’entériner officiellement les dispositifs de cybersécurité, d’en contrôler le déploiement, et pourraient être jugés responsables en cas de manquement. Ces dirigeants s’exposent à une suspension temporaire de leurs fonctions jusqu’à la régularisation complète des exigences de conformité.

              La directive NIS II exige également l’évaluation et la maîtrise des risques inhérents à la chaîne d’approvisionnement, contraignant ainsi les organisations à analyser rigoureusement les mesures de cybersécurité adoptées par leurs fournisseurs et à incorporer des dispositions contractuelles précises.

              b. Ses sanctions

              Au même titre que DORA, NIS II fixe un régime de responsabilité personnelle pour les membres des organes de direction des entités critiques. Leur responsabilité peut être engagée s’ils n’ont pas pris les mesures raisonnables pour prévenir ou limiter les impacts des cyberattaques. NIS II prévoit également des amendes administratives pouvant atteindre plusieurs millions d’euros et des sanctions personnelles pour les dirigeants négligents.

              5. Quid à l’échelle nationale ? Les dirigeants risquent de payer le prix fort

              a. Responsabilité pénale

                Le Code pénal français établit un cadre juridique précis concernant la responsabilité des dirigeants en cas de cyberattaques découlant de négligences significatives ou de manquements aux obligations sécuritaires.

                L’article 226-17 prévoit notamment des sanctions pour la conservation inadéquate de données personnelles sensibles. Un manque de vigilance peut conduire à des sanctions pénales conséquentes, incluant des peines privatives de liberté, des amendes considérables ainsi qu’une interdiction temporaire d’exercer certaines fonctions dirigeantes.

                b. Responsabilité civile

                Conformément à l’article 1240 du Code civil, la responsabilité d’une entreprise peut être engagée lorsqu’une faute ou une négligence de sa part occasionne un préjudice. Par exemple, une intrusion informatique malveillante découlant d’une insuffisance dans la gestion des infrastructures numériques est susceptible d’imputer à l’organisation la responsabilité des préjudices subis par des tiers, notamment les répercussions économiques et atteintes à l’image.

                Les dédommagements dus aux personnes lésées peuvent engendrer des conséquences pécuniaires considérables tant pour la structure que pour ses administrateurs.

                c. Responsabilité contractuelle

                Enfin, la responsabilité contractuelle peut être engagée lorsqu’une cyberattaque impacte un fournisseur, partenaire ou client dans le cadre d’une relation contractuelle établie. Le manquement aux obligations relatives à la sécurisation des données peut contraindre à indemniser les préjudices subis par le cocontractant. Dans l’hypothèse d’une mise en jeu de la responsabilité contractuelle, les répercussions potentielles incluent des indemnisations financières, la résiliation de contrats commerciaux et des contentieux juridiques prolongés.

                Bernard RINEAU

                Avocat associé

                Sanya HAMOU MAAMAR

                Avocate collaboratrice


                Le 18 septembre 2025, la CNIL a infligé une amende de 100 000 euros à la société SAMARITAINE SAS pour avoir dissimulé des caméras dans les réserves du magasin. Installés en août 2023 sous forme de détecteurs de fumée, ces dispositifs enregistraient également le son, captant ainsi des conversations entre salariés. Découvertes un mois plus tard, les caméras ont rapidement été retirées, mais la CNIL a jugé le procédé contraire aux principes de loyauté, de minimisation et de transparence du RGPD. Elle a rappelé qu’une surveillance cachée ne peut être justifiée que dans des circonstances exceptionnelles et qu’elle doit toujours respecter la vie privée des employés.

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                Le 18 septembre 2025, la CNIL a sanctionné la société SAMARITAINE SAS d’une amende de 100 000 euros pour avoir dissimulé des caméras dans les réserves du magasin.

                Le contexte

                En août 2023, face à l’augmentation des vols dans ses réserves, la SAMARITAINE SAS a installé de nouvelles caméras camouflées en détecteurs de fumée avec capacité d’enregistrement sonore.

                Découvertes par des salariés, elles ont été retirées en septembre 2023.

                La CNIL a été alertée par un article de presse du 25 novembre 2023, puis saisie d’une plainte. Un contrôle a été rapidement diligenté.

                A la suite de ce contrôle, la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société pour plusieurs manquements au RGPD. S’appuyant sur la jurisprudence de la CEDH, elle a rappelé qu’un employeur peut installer des caméras cachées uniquement dans des circonstances exceptionnelles et en préservant l’équilibre entre protection des biens et respect de la vie privée des salariés.

                Les manquements sanctionnés

                • Un manquement à l’obligation de traiter les données de manière loyale et au principe de responsabilité (articles 5-1-a) et 5-2 du RGPD)

                La formation restreinte de la CNIL a rappelé que les caméras filmant les salariés doivent être visibles. Des exceptions sont possibles dans des circonstances exceptionnelles, mais le responsable doit analyser la conformité au RGPD et pouvoir la justifier.

                Bien que la société concernée ait pu prouver l’existence de vols et le caractère temporaire du dispositif, elle n’a pas en revanche été à même de démontrer avoir procédé à une analyse préalable de conformité, ni avoir documenté l’installation temporaire : le dispositif n’apparaissait ni dans son registre des traitements, ni dans son analyse d’impact.

                La déléguée à la protection des données n’a pas été informée du projet.

                • Un manquement à l’obligation de collecter des données adéquates, pertinentes et non excessives (article 5-1-c) du RGPD)

                Les caméras enregistraient des conversations personnelles entre salariés, ce que la formation restreinte a jugé excessif et contraire au principe de minimisation[1].

                • Un manquement à l’obligation d’associer le délégué à la protection des données (article 38-1 du RGPD)

                La déléguée n’a été informée que plusieurs semaines après l’installation, alors qu’elle aurait pu alerter sur les moyens de limiter les risques pour la protection des données des salariés.

                Sanya HAMOU MAAMAR

                Avocate collaboratrice

                Bernard RINEAU

                Avocat associé


                [1] Le principe de minimisation du RGPD consiste à ne collecter et traiter que les données personnelles strictement nécessaires pour atteindre un objectif précis. Autrement dit, il faut éviter de recueillir des informations superflues ou excessives par rapport aux besoins de l’activité.

                Nous sommes ravie d'annoncer l'arrivée de Sanya Hamou Maamar au sein du cabinet Turenne Avocats en tant qu'avocate collaboratrice depuis le 1er septembre 2025.

                Sanay Hamou Maamar

                Forte d’une solide expertise en droit du numérique, propriété intellectuelle, et droit des affaires, Sanya apportera ses compétences sur des sujets tels que :

                • Données personnelles : mise en conformité au RGPD (sites web, contrats), assistance lors de contrôles de la CNIL et formations spécialisées.
                • Contrats informatiques : négociation et rédaction de contrats d’infogérance, de maintenance et d’hébergement, ainsi que conseil stratégique pour les litiges contractuels.
                • Cybersécurité : conformité NIS2, analyse des risques et élaboration de politiques de sécurité.

                Actuellement doctorante, Sanya rédige une thèse sur la cybersécurité et la gouvernance d’entreprise.

                Elle se réjouit de mettre son expertise au service de Turenne Avocats et d’accompagner ses futurs clients dans leurs défis juridiques liés au numérique.

                Une étude de 2022 révèle que 17,9 % des salariés dans le monde ont subi un harcèlement psychologique au travail. Le harcèlement moral peut être descendant, horizontal ou ascendant et se caractérise par des agissements répétés entraînant (ou risquant) une dégradation des conditions de travail, sans qu’il soit nécessaire de prouver l’intention de nuire. Depuis 2009, la Cour de cassation reconnaît le harcèlement managérial lorsque les méthodes de gestion ciblent un salarié, mais refuse la notion de harcèlement institutionnel sans preuve individuelle. Récemment, la justice envisage de qualifier en homicide involontaire un harcèlement ayant conduit au suicide, ce qui pourrait alourdir les sanctions contre les dirigeants.

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                Selon une étude conjointe en date du 2 décembre 2022, de l’Organisation internationale du Travail (OIT), de la Lloyd’s Register Foundation et de Gallup, 17,9% des salariés hommes et femmes dans le monde indiquent avoir fait l’objet de violence et de harcèlement psychologiques dans leur vie professionnelle, soit 583 millions de personnes1.

                Véritable phénomène sociétal, le harcèlement moral au travail est logiquement devenu un phénomène judiciaire, générant une abondante jurisprudence qui a dessiné, au fil du temps et de la conjoncture sociale, les contours évolutifs d’une incrimination légale particulièrement sujette à interprétation.

                Dernier développement en date : la notion de harcèlement managérial, ou institutionnel, qui a le vent en poupe puisqu’elle surfe sur un double phénomène plus large de promotion d’une part de la qualité des conditions de travail et d’autre part de la dénonciation des conditions indignes.

                Mais cette notion de management managérial n’a pas été consacrée sans limites.

                Explications.

                D’abord, rappelons que si le harcèlement moral doit s’inscrire dans une relation de travail entre l’auteur et la victime, il peut être bien sûr descendant (d’un employeur vers un subordonné), mais aussi « horizontal » (entre salariés), voire ascendant (d’un salarié envers son employeur), l’existence d’un lien hiérarchique ou d’autorité n’étant pas exigée.

                Ensuite, l’infraction de harcèlement moral est constituée de trois éléments : des agissements interdits, un résultat (ou l’éventualité d’un résultat) et une intention coupable.

                1. Les agissements répréhensibles : « Des propos ou comportements répétés »

                Peu précise, cette notion a fait l’objet d’une jurisprudence fournie de la Cour de cassation pour permettre de tracer les contours des comportements ou propos incriminés.

                Pour synthétiser, peuvent être considérés comme comportements ou propos répétés suivants susceptibles d’entraîner une dégradation des conditions de travail de la victime (liste non exhaustive) :

                • la mise à l’écart d’un salarié, comme la suspension des moyens de communication tels que la ligne téléphonique et la messagerie électronique du salarié, même en arrêt de travail, ou dès lors que le salarié subit « des changements quotidiens de tâches et de secteur et une mise à l’écart des autres employés auxquels elle ne devait pas adresser la parole » ;
                • La pression permanente, les injures, brimades, humiliations, dénigrements, réflexions désobligeantes et menaces de mise à pied ; « un mode paternaliste de gestion » peut également constituer un harcèlement s’il porte atteinte à la dignité humaine ou bien une surveillance excessive (interdiction d’aller aux toilettes, de parler avec d’autres salariés, etc.) ;
                • les ingérences dans la vie personnelle, commele fait « d’interdire à une salariée d’être malade » et de « lui conseiller de ne plus faire d’enfants », ou « d’imposer des conditions de travail insupportables à une salariée » en l’observant à tous instants et en la critiquant sur le plan professionnel ou sur sa vie privée ;
                • Affectation à des tâches sous-qualifiées ou surqualifiées.

                  Le résultat
                • Les propos ou comportements doivent avoir « pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
                • La simple possibilité de porter atteinte aux droits et à la dignité de la victime, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, sans atteinte effective, suffit à caractériser le délit de harcèlement moral.

                  L’intention coupable
                • La Cour de cassation n’est pas exigeante pour la preuve de l’élément intentionnel dès lors que « le délit de harcèlement moral n’implique pas que les agissements aient nécessairement pour objet la dégradation des conditions de travail ».
                • Il n’est donc pas exigé d’intention de nuire, ni même que l’auteur ait voulu le dommage subi par la victime. Cependant, le harceleur doit avoir eu l’intention de répéter des comportements ou propos précis à l’égard d’un salarié : ainsi, on ne saurait lui reprocher uniquement une attitude générale de management, aussi toxique qu’il soit. 
                • Un mode de management autoritaire suffit-il à caractériser l’infraction ?
                  Par un arrêt du 10 novembre 2009 confirmé par la suite, la chambre sociale de la Cour de cassation a consacré la notion de harcèlement moral managérial, le définissant comme les « méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». 

                Cependant, la Cour de cassation rejette la notion de harcèlement institutionnel : une politique d’entreprise, fût-elle sévère, ne suffit pas à constituer en soi le délit de harcèlement à l’égard de chacun des salariés, quand bien même cette politique générerait de la souffrance au travail. 

                Si la mise en place d’une telle politique peut démontrer l’intention délictueuse du dirigeant conscient de la souffrance entraîné par son management, encore faut-il caractériser, à l’égard de chaque salarié, qu’il est victime de propos et comportement répétés ayant eu pour effet une dégradation de ses propres conditions de travail.

                Les juges doivent donc examiner scrupuleusement si les éléments constitutifs du harcèlement sont réunis au cas par cas, et il n’est pas rare qu’à défaut, un dirigeant soit relaxé.

                *

                Signalons enfin que la Cour de cassation a récemment semblé favorable à ce que le harcèlement d’un dirigeant ayant entraîné le suicide du salarié soit sanctionné au titre de l’homicide involontaire, dès lors que le harceleur a « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage », sous réserve que soit caractérisée contre lui une faute délibérée ou caractérisée.  

                Cet arrêt va dans le sens de l’accroissement de la répression des dirigeants trop sévères, par une assimilation des faits de harcèlement à ceux d’homicide involontaire, ouvrant la voie à un possible cumul d’infractions et à une aggravation des sanctions.

                Maître Jean-Eloi de BRUNHOFF

                Avocat associé 

                Monsieur Colin DUPAS

                Elève-avocat


                [1]           
                 Organisation internationale du travail, Lloyd’s Register Foundation, Gallup, Données d’expériences sur la violence et le harcèlement au travail : première enquête mondiale (page 8)

                [2]
                Selon l’article 222-33-2 du code pénal : « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. » L’article L1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral dans des termes sensiblement identiques.

                [4]           
                 Avis du Conseil économique et social des 10-11 avr. 2001, Amendement de la commission des affaires sociales du Sénat (JO Sénat CR, 25 avr. 2001, p. 11432) opinion du garde des Sceaux (JO Sénat CR, 3 mai 2001, p. 1625 et 1658).

                [5]           
                Cass. soc., 24 octobre 2012, n°11-19.862

                [6]          
                 Cass. soc., 6 avril 2011, n°09-71.170

                [7]           
                Cass. crim., 23 avril 2003, n°02-82.971

                [8]          
                 CA Montpellier, ch . corr. 3, 16 oct. 2008

                [9]          
                 CA Grenoble, 3 mai 1999, ch. soc., SA Adecco c/ Savelli 

                [10]           
                 CA Nancy, 13 nov. 2000, ch. soc., n°99/02834, Christophe c/ SA Vilroc 

                [11]           
                 CA Grenoble, 30 avr. 2001, ch. soc., n°98/01028 ; CA Nancy, 30 janv. 2002, ch. soc. n°01/02517

                [12]  
                 Cass. crim., 6 déc. 2011, no10-82.266 ; 14 janv. 2014, no11-81.362 

                [13]           
                 Cass. crim., 24 mai 2011, n°10-87.100 

                [14]         
                 Cass. crim., 13 nov. 2019, no18-85.367

                [15]           
                Cass. crim., 13 décembre 2016, n°15-81.853

                [16]           
                 Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321 ; voir aussi 15 juin 2017, n°16-11.503

                [17]           
                 Cass. crim., 19 oct. 2021, n°20-87.164 ; 12 avr. 2023, n°22-83.661 ; 25 juin 2024, n°23-83.613

                [18]           
                 Cass. crim., 19 nov. 2024, n°24-80.942

                [19]           
                 Selon l’article 221-6 du code pénal, l’homicide involontaire est puni de 3 à 5 ans d’emprisonnement et de 45 à 75 000 euros d’amende.



                # Droit pénal du travail # Droit pénal des affaires # Avocat pénaliste

                En droit du travail, tout travail mérite salaire, même en cas de dispense de préavis par l’employeur après un licenciement. Dans ce cas, il doit verser une indemnité compensatrice, équivalente au salaire que le salarié aurait perçu. Exceptions : Dispense demandée par le salarié Inaptitude non professionnelle Absence prolongée perturbant l’entreprise Refus de modification des conditions de travail Adhésion au CSP (indemnité versée à France Travail) Le principe de solidarité impose malgré tout le paiement dans certains cas (accident du travail, maladie pro, licenciement économique).

                consulter-un-avocat

                « Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire » (Evangile de Luc, chapitre 10, verset 7).

                Le droit du travail s’est construit sur un principe constant, et intangible, celui voulant que tout travail exécuté par le salarié donne obligatoirement lieu au versement d’une rémunération.

                C’est d’ailleurs ce principe qui permet de différencier l’activité salariée, du bénévolat, lequel implique l’exécution d’une prestation de travail, pour servir une cause, dans une logique parfaitement altruiste, restant éloignée de toute considération pécuniaire.

                En dehors de ce cadre strict du bénévolat, le législateur a entendu sanctionner lourdement l’employeur du fait de l’absence de paiement du salaire, en prévoyant, à son encontre, des sanctions pénales et civiles se voulant dissuasives.

                Si la question du paiement du salaire ne pose aucune difficulté lorsqu’une prestation de travail est effectivement réalisée par le salarié, certaines situations particulières contraignent néanmoins l’employeur à devoir rémunérer celui-ci, alors même qu’il se trouve en situation d’inactivité.

                Tel est notamment le cas des congés payés, ou des absences pour maladie liées à un accident du travail, ou une maladie professionnelle.

                Ces deux situations restent, néanmoins, intimement liées à l’exécution d’une prestation de travail.

                En effet, il sera rappelé que l’indemnité de congés payés constitue, en réalité, un droit acquis du fait d’une prestation de travail effectuée antérieurement.

                Par ailleurs, dans l’hypothèse d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle, l’employeur est censé participer à un système d’assurance sociale, lui permettant de couvrir les risques physiques ou psychologiques auxquels sont exposés les salariés du fait du travail réalisé pour son compte.

                Dans la présente étude, nous allons, plus particulièrement, nous intéresser à une autre situation, celle de la dispense de préavis découlant d’un licenciement, lorsque celle-ci est à l’initiative de l’employeur.

                Cette situation est relativement habituelle et s’explique par une considération d’ordre psychologique, l’employeur considérant que son salarié ne peut s’investir correctement dans ses missions, alors même qu’il a été poussé vers la sortie.

                Dans cette configuration, l’employeur peut-il alors refuser de payer ce salarié, en arguant d’une justification objective voulant que celui-ci ait physiquement quitté l’entreprise, et qu’il ne fournisse plus aucune prestation de travail ?

                N’en déplaise à l’employeur, le principe veut qu’en matière de licenciement, la dispense de préavis qui n’est pas à l’initiative du salarié entraîne le versement d’une indemnité compensatrice correspondante (I.).

                Par exception, la loi et la jurisprudence prévoient que, dans certaines hypothèses très particulières, le salarié puisse effectivement se voir priver de cette indemnité, du fait de sa situation (II.).

                I. Le paiement obligatoire du salarié licencié durant son préavis non exécuté

                  Il sera rappelé que, par principe, tout licenciement, hors faute grave, faute lourde, ou inaptitude, est censé donner lieu à l’exécution d’un préavis par le salarié.

                  Sur le fondement de l’adage, le préavis est dû par celui qui rompt, l’employeur devient alors le débiteur de cette obligation d’offrir au salarié le droit d’exécuter ce préavis.

                  Néanmoins, pour des raisons tout à fait compréhensibles, un certain nombre d’employeurs préfèrent dispenser leur salarié d’exécuter ce préavis, de peur de subir la démotivation de celui-ci, ou plus simplement, une mauvaise ambiance de travail.

                  Dans cette hypothèse, le Code du travail vient imposer à l’employeur qui dispenserait son salarié de l’exécution de son préavis, à l’issue de son licenciement, de verser à celui-ci une indemnité compensatrice d’un montant égal aux salaires qu’il aurait effectivement perçu durant cette période de préavis (Article L.1234-5 du Code du travail).

                  La jurisprudence considère, en outre, que l’indemnité versée en compensation ne doit pas avoir pour effet d’appauvrir le salarié du fait de la non-exécution de son préavis.

                  C’est pourquoi celui-ci pourra percevoir, à l’euro près, la rémunération qui lui aurait été effectivement versée s’il avait exécuté son préavis, que ce soit sa rémunération fixe, comme sa rémunération variable (Cass, Soc. 17 mai 2017, n°15-20.094).

                  Le maintien de salaire concerne également les avantages en nature, notamment ceux relatifs aux véhicules de fonction, lesquels doivent être laissés à la disposition du salarié durant la période qui aurait été celle de son préavis (Cass, Soc. 11 juillet 2012, n°11-15.649).

                  Cette obligation est d’ailleurs parfaitement indépendante de la situation financière dans laquelle se situe le salarié durant ce préavis non exécuté.

                  Le salarié ne peut ainsi se voir priver de cette indemnité compensatrice, même lorsqu’il est démontré qu’il a retrouvé un autre emploi (Cass, Soc. 27 novembre 1991, n°88-43.917).

                  Cette indemnité doit également être verséelorsque le salarié se trouve en arrêt-maladie avec une prise en charge par la sécurité sociale (Cass, Soc. 31 octobre 2012, n°11-12.810).

                  Le maintien de la rémunération s’inscrit alors dans une logique strictement indemnitaire, ayant pour objet de compenser les effets de l’éviction du salarié avant l’issue du préavis. 

                  Si ce maintien de la rémunération est compréhensible lorsque c’est l’employeur qui est à l’origine de la dispense de préavis, il en est autrement lorsque le salarié se trouve dans l’impossibilité matérielle et objective d’exécuter celui-ci.

                  Tel est notamment le cas des licenciements intervenant à la suite de la reconnaissance d’une inaptitude professionnelle, autrement dit les inaptitudes liées à la survenance d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle.

                  Dans ces circonstances, quand bien même le salarié ne peut, compte tenu de son état de santé, et de l’inaptitude reconnue par le médecin du travail, exécuter son préavis, l’employeur est quand même tenu de lui verser une indemnité équivalente à celle qui aurait été perçue si celui-ci avait pu effectivement l’exécuter (Article L.1226-14 du Code du travail).

                  Ce régime favorable peut d’ailleurs surprendre, lorsque l’on sait que le salarié licencié pour inaptitude non professionnelle (donc indépendante d’une maladie professionnelle, ou d’un accident du travail) se voit, quant à lui, privé de toute indemnité compensatrice de préavis.

                  Pour comprendre cette différence notoire affectant le coût du licenciement, il convient de revenir à la genèse du régime de la gestion des risques professionnels, laquelle veut que l’employeur fasse preuve d’une certaine solidarité lorsque l’inaptitude du salarié a été générée directement par le fait de son travail.

                  Enfin, il sera intéressant de souligner qu’en matière de licenciement pour motif économique, l’inactivité du salarié ne peut constituer un obstacle à l’obligation de l’employeur de lui payer un préavis.

                  Tel est ainsi le cas lorsque la Société a cessé son activité, de manière stratégique, ou forcée, par un jugement de liquidation judiciaire rendu par le tribunal de Commerce.

                  Dans le même esprit, il est imposé à l’employeur de débourser un montant équivalent à l’indemnité de préavis, lorsque le salarié licencié économiquement adhère au CSP (contrat de sécurisation professionnelle).

                  Dans cette hypothèse, le salarié va quitter ainsi immédiatement les effectifs de l’entreprise, en arrêtant de fournir une prestation de travail, pour être pris en charge immédiatement par FRANCE TRAVAIL (ex-Pôle Emploi).

                  Le paiement du préavis interviendra alors d’une manière particulière, puisque, in fine, le montant de celui-ci ne sera nullement versé au salarié directement, mais à FRANCE TRAVAIL, dans le cadre d’un mécanisme de solidarité visant à ce que l’employeur participe au financement du dispositif du Contrat de Sécurisation Professionnelle.

                  Cette obligation peut s’avérer particulièrement défavorable à l’employeur, lequel va être contraint de payer un préavis non exécuté dans un contexte économique dégradé, au risque d’être confronté à une possible cessation des paiements.

                  Ce maintien de l’obligation de paiement du préavis en matière de licenciement économique démontre d’ailleurs que, paradoxalement, celui-ci constitue l’un des modes de rupture le plus coûteux pour l’employeur.

                  Fort heureusement, le droit du travail ne fait nullement du paiement du préavis non exécuté un principe absolu.

                  Il existe ainsi de nombreuses situations dans lesquelles l’employeur peut s’abstenir d’un tel paiement, notamment eu égard à l’attitude adoptée par son salarié.

                  II. Les dérogations au principe du paiement du préavis non exécuté

                    Certaines situations liées à l’attitude, ou à la condition du salarié licencié, permettent à l’employeur de s’exonérer du paiement de son préavis.

                    Tel est tout d’abord le cas lorsque c’est le salarié, lui-même, qui sollicite une dispense d’exécution de son propre préavis.

                    Cette hypothèse intervient, en réalité, assez régulièrement, notamment lorsque l’égo du salarié est fortement atteint par le licenciement prononcé, mais également lorsque celui-ci a tout simplement trouvé un nouvel emploi durant l’exécution de son préavis.

                    Dans cette situation, l’employeur devra, néanmoins, veiller à obtenir un écrit de la part du salarié sollicitant cette dispense, sous peine de voir considérer que celle-ci est, en réalité, intervenue à son initiative.

                    En matière de dispense du paiement du préavis, il n’est donc pas souhaitable qu’un doute subsiste sur l’auteur de la demande.

                    Une autre situation permet également à l’employeur de s’abstenir du paiement du préavis non exécuté, celle dans laquelle l’état de santé du salarié est si dégradé, qu’il empêche objectivement celui-ci d’exécuter la moindre prestation de travail durant cette période.

                    Tel est le cas des licenciements pour inaptitude non professionnelle, vus en infra, mais également des licenciements intervenant pour absence prolongée troublant gravement le fonctionnement de l’entreprise.

                    Dans cette dernière hypothèse, le salarié est licencié du fait, non pas de sa maladie, en elle-même, mais de son absence, dès lors que celle-ci cause d’importants dommages à son employeur.

                    Ce type de licenciement, qui concerne, d’une manière générale, de hauts cadres de l’entreprise, atteints le plus souvent de longues maladies, permet à l’employeur ne pas verser d’indemnité compensatrice de préavis (sauf comme toujours en droit du travail, existence d’une clause conventionnelle contraire – tel est par exemple le cas de la CCN des Hôtels, cafés, Restaurants).

                    Ce non-paiement du préavis, fondé sur l’impossibilité pour le salarié d’exécuter celui-ci, pose néanmoins question lorsque l’on sait qu’en matière de licenciement disciplinaire, ou pour insuffisance professionnelle, le préavis doit obligatoirement être payé, même lorsque le salarié se place en arrêt-maladie pour faire échec à son obligation de l’exécuter.

                    Enfin, la jurisprudence est venue confirmer qu’une nouvelle exception de taille en matière de non-paiement du préavis inexécuté venait désormais à s’appliquer.

                    Ainsi, lorsqu’un salarié refuse une modification de ses conditions de travail, et plus généralement d’un élément non-contractuel, il encourt le prononcé d’un licenciement pour faute simple (la jurisprudence considérant que ce refus ne pouvait, en soit, constituer une faute grave).

                    Dès lors, l’employeur était, jusqu’alors, tenu au paiement de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis.

                    Or, dans la plupart des situations, le refus du changement des conditions de travail implique l’impossibilité pour le salarié d’exécuter, matériellement, son préavis.

                    Tel est notamment le cas lorsque ce refus équivaut à ne pas accepter le déménagement de l’entreprise dans le même secteur géographique, ou un changement d’affectation sur un poste relevant de la même qualification.

                    Dans ces deux hypothèses, le refus du salarié se manifeste souvent par une absence de volonté de reprendre son poste dans les nouvelles conditions.

                    Jusqu’à récemment, l’employeur qui prenait la décision de licencier son salarié pour un refus de modification de ses conditions de travail était tenu de payer celui-ci alors même que, de son initiative, le préavis n’était pas exécuté.

                    La Chambre sociale de la Cour de cassation vient récemment de mettre fin à cette difficulté en précisant que, dans cette situation, le salarié ne pouvait décemment prétendre au paiement de son préavis, dès lors que son refus des nouvelles conditions revenait à refuser d’exécuter celui-ci (Cass, Soc. 23 octobre 2024, n°22-22.917).

                    Par cet arrêt, la Cour de cassation aligne donc le régime du licenciement pour refus de changement des conditions de travail sur celui pour inaptitude non professionnelle, ou pour absence prolongée.

                    Néanmoins, et contrairement à ces deux derniers licenciements, le salarié peut parfaitement, à l’issue de la notification de la rupture, décider de changer d’avis, et d’exécuter son préavis dans les conditions pourtant refusées par ses soins.

                    Comme tout travail mérite salaire, l’employeur ne pourra, dès lors, plus s’opposer au paiement du préavis dans la mesure où celui-ci a bien été exécuté.


                    Kévin CHARRIER

                    Avocat associé

                    #droit social


                    Engager une action en diffamation est complexe à cause du formalisme strict de la loi de 1881, protégeant la liberté d’expression. La moindre erreur peut entraîner la nullité des poursuites. Les juges appliquent ces règles avec rigueur, bien que certaines décisions montrent une souplesse rare. Cela illustre la priorité donnée à la liberté d’expression sur la protection de la réputation.

                    droit de la presse_turenne avocats

                    Engager une action en diffamation ou en injure devant un tribunal correctionnel est une entreprise difficile, qu’il vaut mieux laisser à un praticien habitué, tant la procédure est semée de chausse-trappes !

                    Mais est-ce un mal ? Il faut le rappeler, l’un des principes cardinaux d’un Etat de droit est celui de la liberté d’expression. Il est aux fondements mêmes de la démocratie. Il n’est donc pas anormal de situer ce principe au nombre des plus essentiels à protéger, en priorité par rapport à d’autres : il protège la collectivité. Il permet de faire société.

                    Ce principe comporte bien sûr des limites posées par la loi, qui érige en infractions pénales certaines manifestations de la pensée (injures, diffamation, incitation à la haine, etc.), quel qu’en soit le support (paroles, écrits, vidéos, images, mails, réseaux sociaux, etc.). 

                    Les mots comme les poings peuvent être utilisés pour blesser : il est, là aussi, normal de les sanctionner.

                    Cependant, tout en ménageant la possibilité pour une personne diffamée ou injuriée de laver son honneur en justice, le législateur ne lui facilite pas la tâche, loin de là, témoignant malgré tout d’une forme de préférence pour la liberté d’expression quand ce principe est en compétition avec la protection de l’honneur ou de la réputation d’un particulier.

                    C’est ainsi que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse – toujours en vigueur, bien que remaniée à plusieurs reprises – met à la charge du plaideur qui engage un procès un formalisme particulièrement complexe. Les juges appliquent rigoureusement ces dispositions, et sanctionnent très souvent le non-respect de ce formalisme par la nullité de l’action.

                    Par exemple, en vertu des articles 50 et 53 de cette loi, l’acte qui saisit le tribunal – que ce soit une plainte avec constitution de partie civile ou une citation directe – doit être exempt de toute erreur de plume dans la reproduction de tel propos qualifié d’injure ou de diffamation.

                    Le plaignant doit « spécifier exactement les passages et propos pouvant caractériser l’infraction dénoncée »1, sans aucune équivoque possible quant à l’objet du débat2.

                    Si un doute ou des interrogations, quelles qu’elles soient, même marginales, peuvent naître pour la personne poursuivie, la nullité est en principe encourue.

                    Ainsi, une simple erreur de retranscription des propos poursuivis, même mineure, peut être une cause de nullité de toute la poursuite3, tout comme une contradiction entre les propos poursuivis qui seraient reproduits à plusieurs reprises de différentes manières, dès lors que cette dissonance aurait « pour conséquence de créer une incertitude dans l’esprit du prévenu quant à l’étendue des faits » dont le prévenu doit répondre4.

                    Dans une affaire contre le Canard Enchaîné, par exemple, la Cour de cassation a rappelé cette exigence de formalisme. Dans son édition du 22 octobre 2014, le journal avait fait paraître un article intitulé « La mairie de Lille n’a pas la fibre communicante », consacré aux opérations de démolition d’un immeuble susceptible de contenir de l’amiante.

                    Considérant que plusieurs passages étaient diffamatoires, le promoteur immobilier avait fait citer le directeur de la publication du journal devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique en poursuivant cinq propos dans les motifs de sa citation, mais en en oubliant un dans son dispositif (l’expression « omerta sur l’amiante »).

                    Par jugement du 5 avril 2016, la 17ème chambre du tribunal de Paris a prononcé la nullité des poursuites, compte tenu de la différence entre les propos poursuivis dans les motifs de la citation et ceux du dispositif.

                    Saisie sur appel de la partie civile, la cour d’appel de Paris a confirmé la nullité dès lors que les motifs de la citation « laisse[nt] clairement penser que cinq passages, dont l’un serait la conclusion des quatre autres, sont poursuivis alors que la citation ne reprend en son dispositif que quatre passages ; qu’ainsi le prévenu n’est pas en mesure de déterminer s’il doit se défendre ou non sur le 2ème passage qu’ « il existe une « omerta sur l’amiante » ; que c’est donc par des motifs pertinents que les premiers juges ont conclu qu’il résulte nécessairement de cette discordance une incertitude sur l’étendue exacte des propos poursuivis et qu’en conséquence, la citation introductive d’instance ainsi que les poursuites subséquentes devaient être annulées ».

                    Finalement, dans un arrêt tranché5, la Cour de cassation a, elle aussi, confirmé ce raisonnement pouvant paraître sévère, mais qui montre la préférence accordée à la liberté d’expression par rapport à la répression de ses éventuels abus.

                    En pratique, rares sont les erreurs de plume qui n’entraînent pas la nullité des poursuites :

                    • erreur dans l’indication du millésime de la date de la loi du 29 juillet 1881, alors que cette loi était par ailleurs indiquée sous la dénomination de loi sur la presse6 ; 
                    • idem pour un réquisitoire introductif visant la loi du « 29 juillet 1991 »7 ;
                    • certaines erreurs de visa :
                    • le fait de viser l’article 32 alinéa 2 du code pénal au lieu de la loi du 29 juillet 1881, alors que l’intitulé du délit était par ailleurs mentionné sans équivoque8 ;
                    • le fait de viser de mauvais textes d’incrimination dès lors que « les erreurs relevées dans certains visas n’ont pas eu pour conséquence de créer une incertitude sur le contenu de la poursuite »9.

                    Les juridictions du fond, cependant, font parfois preuve d’une étonnante souplesse quand il existe une contradiction dans l’acte de poursuite entre les propos cités dans le rappel des faits et ceux cités dans la « discussion » juridique, faisant prévaloir la partie « discussion ».

                    Une telle faveur ne semble pourtant pas conforme à l’esprit de la jurisprudence de la Cour de cassation.

                    Parfois, il est vrai, malgré la sévérité globale de la jurisprudence, il semble que certaines juridictions du fond aient plus à cœur de s’attacher à des considérations morales ou factuelles que juridiques, pour sauver telle procédure d’une nullité qui paraissait pourtant inévitable au regard de certains précédents rendus par la Cour de cassation.

                    Ceci prouve qu’en matière de droit de la presse, malgré un formalisme exigeant et des erreurs souvent impardonnables, la place est encore faite, parfois, à la force de conviction. Tout se plaide !

                    Jean-Eloi de Brunhoff

                    Avocat associé

                    #Droit de la presse #Droit pénal des affaires # Diffamation # Injure


                    Cass. crim., 9 mai 2012, n° 11-83.150

                    Cass. crim., 5 janv. 2010, n° 09-84.328

                    Cass. crim. 17 juin 2008, n°07-87.920

                    Cass. crim., 27 févr. 2018, n° 17-80.325

                    Cass. crim., 27 fév. 2018, n°17-80.325

                    Cass. crim., 14 avr. 1992

                    Cass. crim., 28 sept. 1993

                    Cass. crim., 5 mars 2002, n°01-82.785

                    Cass. crim., 8 avr. 2014, n°13-81.048


                    Quand le droit immobilier croise la mauvaise foi, la ligne rouge est vite franchie. Dans une affaire peu banale, nous avons eu à défendre un locataire pris au cœur d’un stratagème concerté entre son bailleur et un sous-locataire, visant à l’évincer pour mieux capter à leur profit la promesse de vente attachée à son bail.

                    fraude et justice - turenne avocats

                    Nous avons été sollicités dans une affaire qui s’est révélée peu commune : un locataire, titulaire d’un bail assorti d’une promesse de vente consentie par son bailleur, soupçonnait un possible concert frauduleux ourdi contre lui par son bailleur et son sous-locataire.

                    Effectivement, les événements incitaient à croire que le bailleur et le sous-locataire s’étaient entendus pour mettre en place un stratagème illicite avec les rôles suivants :

                    • Le sous-locataire devait s’abstenir de payer les sous-loyers, sous des prétextes fallacieux, de manière à priver le locataire de ressources, lui interdisant ainsi toute possibilité, de facto, de payer ses propres loyers au bailleur ;
                    • Le bailleur devait s’emparer du défaut de paiement de ses loyers par le locataire, provoqué comme indiqué ci-dessus, pour mettre en place une procédure en résiliation du bail pour non-paiement des loyers ;
                    • De la sorte, le bailleur et le sous-locataire caressaient ensemble la perspective de faire tomber la promesse de vente associée au bail, pour que l’immeuble puisse à terme être vendu, non pas au locataire pris au piège de leurs manœuvres, mais au sous-locataire ;
                    • Les compares avaient chacun un avantage en vue : le bailleur allait pouvoir vendre plus cher que le prix contenu à la promesse consentie au locataire, et le sous-locataire allait pouvoir investir en qualité de propriétaire.

                    Le tout sur le dos de leur victime.

                    Fort heureusement, ce duo malveillant a commis l’imprudence de laisser des indices du concert frauduleux : de fil en aiguille, les juridictions ont fini par désavouer les prétextes mis en avant par le sous-locataire pour ne pas payer les sous-loyers.

                    Après quatre années éreintantes de procédure enchevêtrées, devant plusieurs juridictions différentes et en divers lieux, le couperet de la justice est tombé :

                    • Le sous-locataire a été reconnu, à plusieurs reprises, coupable de résistance abusive à raison de son attitude consistant à ne pas payer les sous-loyers : cela lui a valu d’être condamné à payer, non pas seulement tous les sous-loyers, mais, au-delà des dommages et intérêts et des frais de justice pour des sommes conséquentes ;
                    • Le bailleur, après un jugement qui lui avait d’abord été favorable (le stratagème a été proche d’aboutir…), a ensuite été débouté de ses demandes en résiliation du bail principal par un arrêt de la Cour d’appel : non seulement le jugement qui avait prononcé la résiliation a été réformé, mais le bailleur indélicat a été condamné à payer à son locataire, au titre de ses frais de justice, la somme exceptionnelle de…45 000 € !

                    Pendant 4 ans, le bailleur et le locataire ont donc perdu leur temps et leur argent pour finalement ne récolter qu’un désaveu magistral de leurs turpitudes finalement mises à nu.

                    Moralité : Investir dans la fraude n’est pas seulement s’abaisser à un comportement déviant, mais, en plus, bien souvent, ce genre de calcul ne rapporte rien, sinon de graves déconvenues.


                    Maître Bernard Rineau

                    Avocat associé fondateur

                    Maître Thomas BEAUCHAMP

                    Avocat

                    Lorsque les entreprises civiles ou commerciales hors entreprises financières dépassent un certain seuil de chiffre d’affaires annuel, elles sont susceptibles d’être cotées c’est-à-dire notées par la Banque de France.

                    Paris (75) : la façade de la banque de France

                    La cotation ayant une incidence notable sur la confiance des partenaires économiques de l’entreprise en temps ordinaires, elle nécessite une attention particulière lorsque l’entreprise connaît des difficultés économiques. Une fois le cadre général de la cotation posé (I), sera analysé le cas particulier des entreprises en difficultés ainsi que des propositions pour retrouver une bonne note (II).

                    I – Le cadre général de la cotation par la Banque de France

                    Missions générales de la Banque de France. L’article L. 141-6, I alinéas 1 et 2 du code monétaire et financier dispose que « I. – La Banque de France est habilitée à se faire communiquer par les établissements de crédit, les sociétés de financement, les établissements de monnaie électronique, les intermédiaires en financement participatif, les entreprises mentionnées au II de l’article L. 511-7 et aux articles L. 521-3, L. 525-4 et L. 525-5, les établissements de paiement, les entreprises d’investissement, les OPCVM, les FIA relevant des paragraphes 1,2 et 6 de la sous-section 2, du paragraphe 2 ou du sous-paragraphe 1 du paragraphe 1 de la sous-section 3, et de la sous-section 4 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II ou leurs sociétés de gestion de portefeuille, les compagnies financières holding, les entreprises d’assurance et de réassurance et les fonds de retraite professionnelle supplémentaire régis par le code des assurances tous documents et renseignements qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions fondamentales.
                    La Banque de France est habilitée à se faire communiquer par les entreprises non financières tous documents et renseignements, y compris les données nécessaires à la compréhension des impacts, des risques et des opportunités de leurs activités au regard des enjeux de durabilité, qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions mentionnées au premier alinéa du présent I. »


                    Mission de cotation. L’une des missions visées par le texte ci-dessus est relative à la cotation des entreprises non financières[1] à partir des documents et renseignements fournis par les différents partenaires de la Banque de France (établissements de crédit, administration fiscale, tribunaux de
                    commerce par exemple). La Banque de France dispose également d’un fichier bancaire des entreprises (FIBEN) qui l’aide dans sa mission.


                    Notion de cotation. La Banque de France définit la cotation comme « […] une appréciation sur la capacité d’une entreprise, domiciliée en France, à honorer ses engagements financiers à un horizon d’un an à trois ans. »[2] Deux régimes de cotations se côtoient : d’une part, celui des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égale à 750.000€. Ce seuil passera à 1.250 000€ à compter de janvier 2025[3]. D’autre part, celui des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750.000€[4].


                    La Banque de France à l’initiative de la cotation. Selon le code de conduite de l’activité de cotation des entreprises à la Banque de France, la cotation est à la seule initiative de celle-ci et non des entreprises[5]. La Banque de France ne reçoit aucune contrepartie des entreprises en échange de la cotation[6].


                    Processus de cotation. Pour procéder à la cotation, la Banque de France s’appuie non seulement sur les informations comptables et financières de la société mais analyse également celles judiciaires (décisions de justice concernant les entreprises), celles émanant des établissements de crédit (notamment les crédits bancaires et incidents de paiement), celles relatives aux dirigeants, à l’environnement économique de l’entreprise et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) entre autres[7]. En pratique, la cotation est faite de manière individualisée pour chaque entreprise par un analyste de la Banque de France sous la responsabilité d’un directeur local[8]. Elle est faite « à dire d’expert »[9] et est mise à jour de façon régulière pour s’adapter à la situation réelle de l’entreprise concernée. L’attribution d’une cote prend en compte à la fois des outils statistiques (données quantitatives) et l’avis des chefs d’entreprise recueilli lors d’entretiens menés par l’analyste de la Banque de France (données qualitatives)[10].


                    Attribution de la cote. L’analyse achevée, une cote est attribuée à l’entreprise. Celle-ci comprend d’une part, une cote d’activité représentant le niveau d’activité basé sur le chiffre d’affaires et symbolisée par une lettre entre A et X et d’autre part, une cote de crédit appréciant la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements d’un an à trois ans et symbolisée par un chiffre entre 1+ et 8 ainsi que la lettre P et le chiffre 0[11]. Les tableaux suivants illustrent le propos[12] :

                    chiffres_VF

                    A titre d’exemple, si une entreprise est cotée « G5 – », cela signifie qu’elle a un chiffre d’affaires supérieur à 1.500 000€ et inférieur à 7.500 000€ et que la capacité de celle-ci à respecter les engagements financiers est assez faible.
                    La cotation est mise à jour une fois par an.

                    Segmentation complémentaire possible. La cotation peut être complétée par une segmentation lorsque le chiffre d’affaires est inférieur à 750.000€. La segmentation est « une information complémentaire à une cote Banque de France de signification neutre : cotes X0, J0, K0, L0, M0. »[13] C’est le résultat d’un traitement statistique reposant sur un examen de données objectives qualitatives et quantitatives (impayés sur effets de commerce, endettement bancaire)[14].

                    Accès restreint à la cotation de l’entreprise. Les informations relatives à la cotation sont systématiquement communiquées au représentant légal de l’entreprise[15] et potentiellement destinées aux acteurs financiers figurant à l’article L. 144-1 du code monétaire et financier. Il s’agit notamment des autres banques centrales, des conseils régionaux attribuant des aides publiques aux entreprises, de l’administration fiscale pour sa mission économique, des administrations de l’Etat à vocation économique ou financière intervenant dans la prévention et le traitement des difficultés des entreprises, des établissements de crédit et établissements financiers, des entreprises d’assurance, des fonds de retraite professionnelle supplémentaire, des mutuelles, des mutuelles ou unions de retraite professionnelle supplémentaire, des institutions de retraite professionnelle supplémentaire et des institutions de prévoyance qui investissent dans des prêts et des titres assimilés etc.
                    Par ailleurs, l’article D. 144-12 du code monétaire et financier prévoit que « I. – Les informations détenues par la Banque de France sur les dirigeants d’entreprise et les entrepreneurs individuels peuvent être communiquées aux entités mentionnées à l’article L. 144-1.
                    II. – Lorsqu’elles font état de décisions intervenues dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, les informations mentionnées au I ne peuvent être communiquées qu’à condition de faire également l’objet d’une mention au registre du commerce et des sociétés.
                    Lorsqu’elles font état de décisions intervenues dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, ces informations ne peuvent être communiquées que pendant une durée maximale de cinq ans à compter du prononcé de cette procédure. A l’exception des cas mentionnés au III, le prononcé d’une ou de deux procédures de liquidation judiciaire au cours des cinq dernières années n’entraîne pas l’attribution d’un indicateur significatif aux dirigeants d’entreprise et aux entrepreneurs individuels.
                    III. – Les informations détenues par la Banque de France relatives à la faillite personnelle ou à l’interdiction de gérer d’un dirigeant d’entreprise ou d’un entrepreneur individuel prononcées sur le fondement des articles L. 653-1 et suivants du code de commerce peuvent être communiquées pendant la durée de la mesure correspondante.
                    IV. – Lorsque la fonction de dirigeant d’entreprise ou l’exercice de l’activité d’entrepreneur cesse, la durée maximale de diffusion par la Banque de France des informations détenues sur lesdites fonctions ou sur l’exercice de l’activité est de cinq ans à compter de la date de cessation des fonctions ou de l’arrêt de l’activité d’entrepreneur. »
                    Ce système de cotation s’applique tant aux périodes de bonne santé financière des entreprises qu’à celles où elles connaissent des difficultés économiques.

                    II – Le cas des entreprises en difficultés 


                    Objectifs de la cotation. Être coté par la Banque de France permet aux prêteurs de disposer d’une information sur la qualité des engagements qu’ils s’apprêtent à décider ou qu’ils ont déjà pris à l’égard des entreprises[16]. En outre, la cotation aide ces dernières à identifier les facteurs qui influent sur leur situation financière, notamment par rapport à un risque de crédit[17]. C’est « […] un regard extérieur sur cette situation et sur la capacité de [l’] entreprise à rembourser ses dettes. »[18]


                    Dégradation de la cote des entreprises en difficultés. Eu égard aux buts poursuivis, les procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires[19] dégradent la cote des entreprises concernées.


                    Procédure de sauvegarde. Lorsqu’une procédure de sauvegarde est ouverte, l’entreprise rencontre des difficultés mais n’est pas en état de cessation de paiements. La procédure de sauvegarde pouvant affecter la capacité de l’entreprise à respecter ses engagements financiers, elle n’est pas considérée comme un signal positif par la Banque de France. Dès lors, la cote de crédit est dégradée. Une entreprise en procédure de sauvegarde peut avoir une cote de crédit équivalant à 5 car en situation financière fragile[20].


                    Procédures de redressement ou de liquidation judiciaires. Dans l’hypothèse d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire, la situation financière étant obérée par la cessation de paiements, la cote de crédit P est attribuée aux entreprises faisant l’objet de telles procédures[21]. Cette cote signifie que la capacité de l’entreprise à respecter ses engagements financiers est défaillante. Cependant, il est possible que les entreprises bénéficient d’une cote de crédit plus favorable que les précédentes en présence de plans de sauvegarde ou de continuation.


                    Remonter sa cote de crédit : accord de conciliation homologué, plans de sauvegarde ou de continuation. En matière de procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, l’adoption d’un plan de sauvegarde ou d’un plan de continuation est possible. Dans ces conditions, la Banque de France est susceptible d’attribuer une cote de crédit équivalant à 4 sans possibilité d’attribution d’une cote plus favorable « […] alors que l’examen des documents comptables l’aurait normalement permis »[22]. Il en est de même lorsqu’un accord de conciliation est homologué[23]. C’est là une invitation à sortir le plus rapidement possible des moratoires et des plans de continuation internes pour alors revenir à un traitement classique avec possiblement une meilleure cotation.

                    Maître Bernard Rineau

                    Avocat associé


                    [1]            Selon la définition donnée par la Banque de France, les entreprises non financières sont : « 

                    • les sociétés non financières (S. 11), secteur constitué par des unités institutionnelles dotées de la personnalité juridique qui sont des producteurs marchands et dont l’activité principale consiste à produire des biens et des services non financiers (sociétés privées telles que SA, SARL, SAS et sociétés publiques telles que les EPIC, sociétés coopératives et sociétés de personnes, institutions et associations sans but lucratif, holding…). Le secteur des sociétés non financières couvre également les quasi-sociétés non financières. Le secteur des sociétés non financières est subdivisé en trois sous-secteurs : a) les sociétés non financières publiques (S.11001); b) les sociétés non financières privées nationales (S.11002); c) les sociétés non financières sous contrôle étranger (S.11003).
                    •  les entreprises individuelles (S14AA), dont la personnalité juridique n’est pas différente de celle de leur propriétaire, et les sociétés de personnes non dotées de la personnalité juridique (autres que des quasi-sociétés) qui produisent des biens marchands ou des services financiers et non financiers marchands (producteurs marchands). » Définition consultée le 27 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2023-11/FAQ_Definition_Entreprises_non_financieres.pdf

                    [2]            La cotation, guide de référence, mise à jour en janvier 2022, p. 3 ; document publié par la Banque de France et consulté le 27 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2023-08/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_guide-fiben-ref-cotation.pdf

                    [3]            Lettre d’information BDF Entreprises, juillet 2024, consulté le 30 décembre 2024 sur : https://www.banquefrance.fr/fr/system/files/202407/Lettre_information_BDF_entreprises_juillet_2024.pdf

                    [4]            Cf. site de la Banque de France consulté le 30 décembre 2024 : https://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/entreprises/comprendre-cotation-indicateur-dirigeant

                    [5]            Le code de conduite de l’activité de cotation des entreprises à la Banque de France, mise à jour en août 2023, p. 5, consulté le 27 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2024-12/Code-conduite-activite-cotation.pdf

                    [6]            Ibid.

                    [7]            La cotation, guide de référence, op. cit., p. 5.

                    [8]            Ibid.

                    [9]            Ibid.

                    [10]            Ibid.

                    [11]            Cf. document consulté le 30 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2023-08/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_cotation.pdf

                    [12]            Ibid. Pour de plus amples informations sur ces tableaux, voir : La cotation, guide de référence, op. cit., p. 7 et s.

                    [13]            Définition consultée le 30 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2023-08/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_fiben-segmentation-entrep.pdf

                    [14]            Ibid.

                    [15]            Cf. site de la Banque de France consulté le 30 décembre 2024 : https://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/entreprises/comprendre-cotation-indicateur-dirigeant

                    [16]            Cf. site de la Banque de France : https://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/entreprises/comprendre-cotation-indicateur-dirigeant , voir aussi : Le code de conduite de l’activité de cotation des entreprises à la Banque de France, op. cit., p. 4 et s.

                    [17]            Ibid.

                    [18]            Cf. site de la Banque de France : https://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/entreprises/comprendre-cotation-indicateur-dirigeant

                    [19]            Sur ces procédures, voir les articles L. 620-1 et suivants du code de commerce.

                    [20]            La cotation, guide de référence, op. cit., p. 9.

                    [21]                Ibid., p. 10.

                    [22]            Ibid., p. 9.

                    [23]            Ibid.


                    Sources

                    La cotation, guide de référence, mise à jour en janvier 2022, document publié par la Banque de France et consulté le 27 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/202308/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_guide-fiben-ref-cotation.pdf

                    Lettre d’information BDF Entreprises, juillet 2024, consulté le 30 décembre 2024 sur : https://www.banquefrance.fr/fr/system/files/202407/Lettre_information_BDF_entreprises_juillet_2024.pdf

                    Le code de conduite de l’activité de cotation des entreprises à la Banque de France, mise à jour en août 2023, consulté le 27 décembre 2024 sur : https://www.banque-france.fr/system/files/2024-12/Code-conduite-activite-cotation.pdf

                    https://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/entreprises/comprendre-cotation-indicateur-dirigeant consulté le 30 décembre 2024.

                    https://www.banquefrance.fr/system/files/202311/FAQ_Definition_Entreprises_non_financieres.pdf consulté le 27 décembre 2024.

                    https://www.banquefrance.fr/system/files/202308/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_cotation.pdf consulté le 30 décembre 2024.

                    https://www.banquefrance.fr/system/files/202308/Banque%20de%20France%20%E2%80%93%20Entreprises_fiben-segmentation-entrep.pdf consulté le 30 décembre 2024.

                    La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 janvier 2024[1] en matière de droit pénal du travail, a eu l’occasion une nouvelle fois d’appliquer sa récente interprétation du principe ne bis in idem[2], selon laquelle il y a lieu désormais de poursuivre cumulativement, pour les mêmes faits, les infractions […]

                    Palais-de-justice

                    La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 janvier 2024[1] en matière de droit pénal du travail, a eu l’occasion une nouvelle fois d’appliquer sa récente interprétation du principe ne bis in idem[2], selon laquelle il y a lieu désormais de poursuivre cumulativement, pour les mêmes faits, les infractions au code du travail et les infractions au code pénal qui seraient en concours.

                    I – Le principe de l’admission du cumul des qualifications pour un même fait

                    Rappelons d’abord brièvement que le concours idéal de qualifications « se caractérise par un fait unique, mais dont l’exploitation juridique peut passer par l’application de plusieurs textes d’incrimination. La question est de savoir si toutes les qualifications en conflit doivent être cumulées, ou si, au contraire, une seule doit être retenue »[3].

                    Pour résoudre ce conflit de qualifications, la jurisprudence se fonde sur le principe ne bis in idem, interdisant qu’une personne soit poursuivie et punie à raison des mêmes faits. 

                    Auparavant, la Cour de cassation n’admettait le cumul des qualifications juridiques qu’en cas d’atteintes, par un même fait, à des valeurs sociales différentes qu’il convenait de protéger de façon autonome[4].

                    Depuis un arrêt de principe en date 15 décembre 2021[5] bouleversant les règles précédemment admises, la règle désormais posée par la Cour de cassation en présence d’un tel conflit est celle du cumul des qualifications, sauf dans trois hypothèses :

                    • Quand « la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre ». Cette hypothèse s’applique, par exemple, s’agissant des qualifications d’homicide involontaire et de meurtre, ou des qualifications de vol et de recel, considérées comme des infractions incompatibles.
                    • Quand« l’une des qualifications correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue ». Ainsi d’un vol commis avec violence : on ne retiendra pas l’infraction de vol et l’infraction de violences, de façon autonome, mais bien l’infraction de vol aggravé par la circonstance que ce dernier a été commis avec des violences. Les violences constituent alors une circonstance aggravante de l’infraction de vol.
                    • Quand« l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale ». Cette hypothèse est la retranscription du principe selon lequel Les lois spéciales dérogent aux lois générales[6]. C’est le cas, par exemple, de la qualification d’empoisonnement qui ne peut se cumuler avec l’assassinat, le crime d’empoisonnement étant une forme spéciale d’assassinat.

                    Ainsi, en vertu de cette nouvelle interprétation, véritable création normative prétorienne, la Cour de cassation a pu admettre le cumul des qualifications :

                    • de faux, usage de faux et escroquerie[7] ;
                    • d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée[8] ;
                    • de financement illicite d’un parti politique[9] de recel d’abus de bien sociaux[10].

                    II – Le principe du cumul des qualifications pour un même fait en droit pénal du travail

                    L’arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 2024, dont le raisonnement est à double détente, illustre l’application de cette nouvelle interprétation en matière de cumul entre des infractions au code du travail et la contravention de blessures involontaires prévue dans le code pénal.

                    Pour déclarer le prévenu coupable de trois infractions constituées d’un même fait, la cour d’appel avait considéré que l’exécution de travaux par une entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme ou sans information préalable des salariés sur les risques[11] pouvait constituer l’élément matériel de la  contravention de blessures involontaires prévue au code pénal, à savoir un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, et que ces trois infractions pouvaient, en outre se cumuler, chacune protégeant des intérêts distincts.

                    Faisant application de sa jurisprudence du 15 décembre 2021, la Cour de cassation a d’abord censuré cette motivation obsolète des juges du fond, mais a tout de même admis la triple condamnation prononcée par la cour d’appel, estimant qu’aucune des trois infractions poursuivies « n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’une des deux autres. »

                    La Cour de cassation a donc profité de cette occasion pour allonger la liste ci-dessus des infractions pouvant se cumuler les unes avec les autres pour un même fait, en l’espèce :

                    • le délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme[12], le délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et la contravention de blessures involontaires[13].

                    En poussant le raisonnement de la Cour de cassation, il semble désormais que les infractions d’homicide ou blessures involontaires puissent se cumuler avec toutes les infractions au code du travail, dès lors que celles-ci prévoient des obligations de prudence ou de sécurité.

                    En effet, le code pénal sanctionne, au titre des infractions non intentionnelles, toute « faute de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement »[14], sans faire référence à telle ou telle disposition du code du travail.

                    Le droit pénal étend donc son emprise sur le domaine vaste et de plus en plus complexe des règles de prudence ou de sécurité au travail.

                    Maître Jean-Eloi de BRUNHOFF

                    Avocat associé

                    # Droit pénal du travail # Droit pénal des affaires

                    Monsieur Colin DUPAS

                    Elève-avocat


                    [1] Cass. crim., 23 janvier 2024, n°23-81.091

                    [2] On ne condamne pas deux fois pour les mêmes faits.

                    [3] MAYAUD Yves, « Violences involontaires : théorie générale », chapitre 1, section 1, article 2, §125, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale février 2022

                    [4] Cass. crim., 3 mars 1960, Bull. crim. n°138

                    [5] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864

                    [6] Specialia generalibus derogant.

                    [7] Ibid. §34

                    [8] Cass. crim., 9 juin 2022, n°21-80.237

                    [9] Infraction d’acceptation par un parti politique d’un financement provenant d’une personne morale prévue et réprimée par les articles 11-4 et 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique

                    [10] Cass. crim., 19 juin 2024, n°23-82.194, affaire des kits de campagne du Front national

                    [11] Articles R.4512-15 et L.4741-1 du code du travail

                    [12] Articles R.4512-6 et L.4741-1 du code du travail

                    [13] Article R.625-2 du code pénal

                    [14] Articles 222-19 à 222-21, R.625-2 à R.625-6 du code pénal

                    « On a bien de la peine à rompre quand on ne s’aime plus » (La Rochefoucauld / Maximes).

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                    La notion de rupture, d’un point de vue général, et quel que soit le contexte dans lequel celle-ci intervient (amour, affaires, vie professionnelle), est souvent associée à celle de l’échec.

                    Si cette analyse est loin d’être contestée d’un point de vue factuel, le droit des contrats nous rappelle que la rupture ne constitue qu’un évènement permettant à des parties de cesser d’exécuter leurs obligations réciproques.

                    Il est d’ailleurs constant que dans un bon nombre de cas, la rupture peut s’opérer sans drame, notamment lorsque celle-ci a été prévue dès le départ, comme cela peut être le cas s’agissant des engagements à durée déterminée.

                    En matière contractuelle, la rupture implique un certain nombre d’obligations, notamment :

                    • La nécessité pour la partie à l’initiative de celle-ci de respecter une procédure précise conditionnant sa validité ;
                    • La justification de la légitimité de cette rupture par des éléments objectifs.  

                    D’une manière générale, le non-respect de ces obligations expose la partie à l’initiative de la rupture à un risque d’engagement de sa responsabilité contractuelle.

                    Cette analyse est transposable en droit du travail : la rupture du contrat de travail est conditionnée autant par le respect par les parties concernées d’une procédure stricte que par des motifs sérieux.

                    Dans le cadre de cette étude, il sera intéressant de se concentrer plus particulièrement sur la rupture du contrat de travail à durée indéterminée émanant de l’employeur, autrement dit, sur le licenciement.

                    Sur ce point, le Code du travail sépare bien la question de la légitimité du licenciement au regard de l’existence d’une cause réelle et sérieuse (article L.1232-1 du Code du travail) de la procédure permettant sa mise en œuvre, à savoir la nécessité d’adresser au salarié une lettre manuscrite recommandée avec accusé de réception (article L.1232-6 du Code du travail).

                    Même si, selon la jurisprudence, l’envoi d’un courrier simple ne prive pas le licenciement de sa cause réelle et sérieuse (le recommandé ne permettant que de prouver la date effective à laquelle intervient le licenciement – voir Cass, Soc. 29 septembre 2014, n°12-26.932), il est certain que l’employeur ne peut décemment se passer de l’envoi d’un écrit, ne serait-ce que pour indiquer précisément le, ou les motifs, justifiant la mesure

                    Sur ce postulat, il appartient à l’employeur d’être particulièrement vigilant et notamment de s’abstenir de licencier verbalement son salarié.

                    Il ressort que la jurisprudence entend appliquer strictement cette restriction, même lorsque la mesure est objectivement justifiée par une cause réelle et sérieuse (A.).

                    Cette même jurisprudence fait preuve d’une fermeté certaine à l’égard des licenciements verbaux en fermant la possibilité pour l’employeur de régulariser postérieurement la procédure par l’envoi d’une lettre de licenciement (B.).

                    A. La prohibition générale et inconditionnelle du licenciement verbal

                    Il est essentiel de préciser immédiatement que le fantasme du licenciement à l’américaine et plus particulièrement l’emploi du terme « You are fired » (vous êtes viré) n’a pas sa place en droit du travail français.

                    En effet, d’une manière générale et constante, la jurisprudence interdit toute forme de licenciement verbal (Cass, Soc. 23 juin 1998, n°96-41.688).

                    Sur ce constat, il est donc fermement déconseillé au chef d’entreprise, pris d’un coup de sang, d’indiquer oralement à son salarié qu’il va être licencié.

                    Si elle est prouvée, la sanction de ce type de comportement est ferme, le licenciement devra être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

                    Cette solution paraît parfaitement logique dans la mesure où le Code du travail impose à l’employeur de motiver par écrit la mesure de licenciement, laquelle va d’ailleurs fixer les limites du litige en cas de contestation devant le Conseil de Prud’hommes (article L.1232-6 du Code du travail).

                    Ce faisant, le licenciement verbal doit être considéré comme un licenciement non motivé et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

                    Si cette position peut paraître critiquable du point de vue de l’équité, notamment lorsqu’il existe des faits particulièrement graves qui viennent légitimer le licenciement du salarié, elle n’en reste pas moins juridiquement logique.

                    En outre, il sera ainsi rappelé que l’existence de faits objectifs ne suffit pas, à elle seule, à établir la cause réelle et sérieuse.

                    L’absence de notification d’une lettre de licenciement en bonne et due forme emporte également une autre conséquence néfaste pour l’employeur, à savoir une absence de forclusion pouvant affecter la future action du salarié en contestation de son licenciement (Cass, Soc.16 mars 2022, n°20-23.724).

                    Ainsi, pour la Cour de Cassation, l’absence de notification d’une lettre a pour effet de ne pas faire courir le délai de 12 mois offert au salarié pour saisir le Conseil de Prud’hommes.

                    Licencié verbalement, le salarié pourra donc, théoriquement, agir contre son employeur, plusieurs années après.

                    Ceci étant exposé, le piège du licenciement verbal semble facilement contournable pour tout chef d’entreprise conseillé à minima sur ses conséquences.

                    Cependant, cette considération n’est en réalité pas si évidente.

                    En effet, l’employeur peut parfois, sans le vouloir, licencier son salarié verbalement.

                    Il en est ainsi lorsqu’à la fin d’un entretien préalable, et alors même que le délai minimal pour notifier la rupture, de 48 heures franches, n’est pas encore échu, le chef d’entreprise annonce à son salarié que la mesure de licenciement lui sera bientôt notifiée, et que ledit salarié peut prouver les propos imprudemment tenus (notamment par l’intermédiaire du conseiller chargé de l’assister au cours de l’entretien).

                    C’est pour cette raison qu’il est systématiquement conseillé à l’employeur de clôturer l’entretien préalable par une formule faisant penser au salarié que la décision relative à la rupture de son contrat n’est pas encore prise.

                    Dans le même esprit, un licenciement verbal découle de l’annonce au salarié, lors de l’enclenchement de la procédure de licenciement, que l’issue sera nécessairement une rupture de son contrat de travail.

                    C’est d’ailleurs pour éviter cet écueil qu’il est conseillé d’indiquer dans la lettre de convocation à un entretien préalable que celui-ci est motivé par « une éventuelle mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement ».

                    Le conditionnel protègera donc l’employeur pour la période qui précède l’envoi de la lettre de notification du licenciement.

                    Au fil des années, et de manière particulièrement sévère, la jurisprudence est venue multiplier le nombre de situations ou comportements pouvant être assimilables à un licenciement verbal.

                    Tel est notamment le cas lorsque l’employeur annonce à l’ensemble du personnel qu’un Directeur d’agence ne fait plus partie de l’entreprise, alors même qu’aucune lettre de licenciement n’a encore été adressée à ce dernier (Cass, Soc. 19 mars 2008, n°07-40.489).

                    Il en est de même lorsque le salarié est empêché d’accéder à l’entreprise alors qu’aucune mesure de mise à pied conservatoire ne lui a été notifiée (Cass, Soc. 29 octobre 1996, n°93-44.245).

                    Le comportement prouvé de l’employeur peut alors suffire à caractériser le licenciement verbal, même lorsque celui-ci n’a rien verbalisé.

                    Du point de vue du salarié ayant fait l’objet d’un licenciement verbal, un obstacle important va néanmoins souvent se dresser contre lui.

                    En effet, il lui sera bien souvent difficile de prouver un licenciement verbal, lequel, par nature, ne repose que sur des mots.

                    Ainsi, hormis les cas où l’employeur est enregistré, ou a manifesté le licenciement en public, ou sur un répondeur téléphonique, ou encore en présence d’un témoin, il sera difficile pour le salarié de démontrer la matérialité de celui-ci.

                    Cette difficulté probatoire ne doit néanmoins nullement pousser l’employeur à baisser la garde dans l’engagement d’une procédure de licenciement : comme il vous le sera détaillé, ci-après.

                    La jurisprudence considère que le licenciement verbal ne peut aucunement être régularisé par l’envoi ultérieur d’une lettre de licenciement.

                    B. L’impossibilité de régulariser postérieurement le licenciement verbal

                    L’employeur ayant malencontreusement procédé au licenciement verbal de son salarié, volontairement, ou par inadvertance, peut-il régulariser la procédure en adressant, postérieurement à celui-ci, une lettre de licenciement ?

                    A cette question, la jurisprudence a répondu, de manière constante, par la négative.

                    La Cour de Cassation est d’ailleurs venue fermer la porte à toute possibilité de régularisation, quand bien même l’employeur s’était astreint à organiser, après avoir licencié verbalement son salarié, un entretien préalable durant lequel il avait clairement indiqué à celui-ci que la décision de licenciement n’était finalement pas encore prise (Cass, Soc. 10 janvier 2017, n°15-13.007).

                    Si cette position peut paraître particulièrement sévère, elle n’en est pas moins parfaitement logique d’un point de vue juridique.

                    En effet, en droit du travail, rupture sur rupture ne vaut.

                    Autrement dit, dès lors que le licenciement verbal est notifié, celui-ci produit pleinement ses effets.

                    L’envoi postérieur d’une lettre de licenciement n’y changera rien : le licenciement d’un salarié déjà licencié n’a aucun sens.

                    De jurisprudence constante, quelle que soit sa forme, le licenciement est effectif au moment où l’employeur a manifesté son intention de licencier (Cass, Soc. 6 mai 2009, n°08-40.395).

                    Si cette manifestation a été verbale, elle devient pleinement effective au moment de la tenue des propos, qu’importe l’envoi postérieur d’une lettre de licenciement.

                    Dans un arrêt très récent du 3 avril 2024, la Cour de Cassation a de nouveau illustré son intransigeance vis-à-vis du licenciement verbal.

                    Dans les faits de l’espèce, un employeur avait mené de manière rigoureuse sa procédure de licenciement, en organisant un entretien préalable durant lequel il ne s’était pas positionné sur le futur licenciement.

                    Néanmoins, quelques jours plus tard, avec une certaine maladresse, mais par correction vis-à-vis du salarié, l’employeur avait pris soin d’appeler celui-ci, à l’issue de l’entretien préalable, pour l’informer que son licenciement pour faute grave allait être prochainement prononcé.

                    Cependant, dans cette affaire, la conversation s’était tenue le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement.

                    Pour la Cour de Cassation, dans la mesure où la lettre n’était pas encore postée, le licenciement était bien verbal.

                    L’absence de cause réelle et sérieuse a donc été reconnue (Cass, Soc. 3 avril 2024, n°23-10.931).

                    Pour sa défense, l’employeur avait pourtant invoqué sa bonne foi en précisant que l’annonce du futur licenciement n’avait pour seul but que de protéger le salarié d’une situation délicate, en l’empêchant de se rendre à une réunion à laquelle sa présence n’était plus justifiée.

                    Néanmoins, le souci de la civilité ne fait nullement partie des critères permettant de déroger au principe de prohibition des licenciements verbaux.

                    Dans une affaire similaire, une décision contraire a néanmoins été prise par la Cour de Cassation.

                    Mais dans ce second cas d’espèce, si l’employeur avait effectivement informé oralement son salarié de son licenciement, cette information s’était déroulée après l’envoi de la lettre de licenciement et avant sa réception effective par ce dernier (Cass, Soc. 6 mai 2009, n°08-40.395).

                    C’était donc la lettre de licenciement qui avait rompu le contrat en premier, et non l’annonce verbale de l’envoi de celle-ci.

                    Compte tenu de ces positions, il est donc conseillé aux employeurs souhaitant faire preuve d’une certaine élégance vis à vis de ses salariés faisant l’objet d’une procédure de licenciement, d’attendre le lendemain de l’envoi de la lettre pour les prévenir de la matérialité de la rupture de leur contrat.

                    La conduite d’une procédure de licenciement doit donc se faire avec prudence et retenue, sous peine d’être censurée ultérieurement par les juges.

                    Maître Bernard RINEAU

                    Avocat associé

                    Maître Kévin CHARRIER

                    Avocat chargé du pôle social