Actualité jurisprudentielle du droit du travail – Mai/Juin 2021

Décisions évoquées : Cour de Cassation, Chambre sociale, 5 mai 2021, n°19-22.209; Cour de Cassation, Chambre sociale, 12 mai 2021, n°20-10.512; Cour de Cassation, Chambre sociale, 19 mai 2021, n°19-20.526; Tribunal Correctionnel de Paris, 20 mai 2021; Cour de Cassation, Chambre sociale, 27 mai 2021, n°19-17.587; Cour de Cassation, Chambre sociale, 2 juin 2021, n°19-16.183; Cour de Cassation Chambre commerciale, 9 juin 2021, n°19-14.485, Cour de Cassation, Chambre sociale, 16 juin 2021, n°19-25.344, Cour de Cassation, Chambre sociale, 23 juin 2021, n°19-15.737, Cour de Cassation, Chambre sociale, 23 juin 2021, n°19-24.020

responsabilité pénale

Une promotion n’emporte pas obligatoirement une augmentation du salaire (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-22.209)

Par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue rappeler que la modification de la qualification et du poste du salarié n’entraine pas obligatoirement une augmentation de sa rémunération.

En l’espèce, un salarié avait saisi le Conseil de Prud’hommes en contestation de son licenciement pour absence prolongée et avait dans le cadre de cet instance, soutenu que son employeur avait manqué gravement à ses obligations en n’accompagnant pas sa dernière promotion d’une augmentation de son salaire.

La Cour de Cassation n’a finalement pas donné raison au salarié en considérant que si l’avenant au contrat de travail régularisant sa promotion ne prévoyait pas une telle augmentation de salaire, c’est que les parties avaient décidé de maintenir celle-ci en l’état, malgré le changement de poste.

Il ne saurait ainsi être reproché à l’employeur de ne pas avoir respecté une obligation ne ressortant d’aucun engagement.

En matière de modification du contrat de travail, il est donc essentiel de bien faire apparaitre dans les avenants l’ensemble des nouvelles obligations de l’employeur.

Notons néanmoins que cet arrêt ne peut avoir une portée universelle dans la mesure où, dans le cadre d’une promotion, l’employeur ne pourra en aucun cas rémunérer son salarié en dessous des minimums conventionnels prévus pour le nouveau poste.

Dans cette hypothèse, la promotion emportera alors obligatoirement une augmentation du salaire.


Insulter son employeur ne relève pas de la faute… lorsqu’une situation de harcèlement moral est à l’origine de la violence verbale (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°20-10.512)

Par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue soulever une exonération de responsabilité pour un salarié souffrant d’un état pathologique consécutif à une situation de harcèlement moral subie dans l’entreprise.

Pour mémoire, la jurisprudence a toujours abordé la question des violences commises sur le lieu de travail sous l’angle de la faute disciplinaire.

Si les violences physiques ont toujours été sanctionnées sur le terrain de la faute grave, une certaine marge de manœuvre a toutefois été offerte aux juges du fond s’agissant des violences verbales.

Sans pour autant discuter le caractère fautif de tels actes, il appartenait alors aux juges de contrôler l’échelle de la sanction pouvant être prononcée par l’employeur face à des injures proférées dans l’entreprise.

Du simple avertissement au licenciement, la question était de jauger si les faits pouvaient conduire l’employeur à faire preuve d’une certaine sévérité au regard du passé disciplinaire du salarié et au contexte dans lequel était intervenu les injures.

Cet arrêt est emprunt d’une certaine originalité à deux égards.

D’une part, il n’aborde pas la question de l’injure du point de vue de l’atténuation de la gravité de la faute, au regard du contexte dans lequel elle est intervenue (en l’espèce une situation de harcèlement moral), mais prononce une exonération totale de responsabilité du salarié fragilisé par le comportement de l’employeur.

D’autre part, cet arrêt étend cette irresponsabilité aux violences verbales commises contre l’employeur lui-même, alors même qu’en situation normale, ces dernières auraient nécessairement constitué une circonstance aggravante, l’employeur étant particulièrement protégé au nom du principe de respect de la hiérarchie et du pouvoir de direction d’une manière générale. 

Tout porte néanmoins à croire qu’une solution similaire n’aurait pas été rendue face à un salarié qui se serait livré à des violences physiques, considérées par la jurisprudence comme des faits ne pouvant donner lieu à la moindre tolérance.


Refuser de signer une rupture conventionnelle est un droit absolu de l’employeur (Cass, Soc. 19 mai 2021, n°19-20.526)

Cet arrêt est venu apporter une précision intéressante dans le cadre des procédures de rupture conventionnelle.

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a en effet été saisie d’une question portant sur un abus de droit de l’employeur qui aurait refusé, au dernier moment, de signer une rupture conventionnelle à la suite de la découverte d’une faute commise par son salarié.

En dépit du principe de la liberté contractuelle qui autorise le salarié et l’employeur à ne pas conclure de rupture conventionnelle du contrat de travail, une Cour d‘Appel avait considéré qu’en refusant de signer au dernier moment, l’employeur avait bien commis une faute.

La Cour était venue motiver sa décision par le fait que la faute du salarié, découverte au moment de la signature, était minime.

La Cour de Cassation ne va pas être du même avis.

Pour elle, qu’importe les raisons objectives qui viennent justifier le refus de signer, ce dernier constitue un droit de l’employeur qui ne peut en aucun cas dériver en abus.

Notons que dans le cas d’espèce, le salarié avait justifié la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par cette prétendue faute de l’employeur. La Cour de Cassation a naturellement censuré le caractère justifié de cette prise d’acte.

Rappelons-le, quelle que soit la position des parties, la rupture conventionnelle suppose la pleine adhésion de chacun.


Pas de délit de diffamation pour des syndicalistes ayant qualifié les pratiques de leur employeur d’esclavage moderne (Trib. Corr. PARIS, 20 mai 2021)

La liberté d’expression syndicale a une de fois de plus été soumis à l’appréciation du juge pénal qui a été saisi contre trois syndicalistes d’un grand groupe français pour avoir qualifié les pratiques managériales d’ « esclavage moderne », dans le cadre d’un communiqué écrit publié largement.

Rappelons qu’en matière de diffamation, les organisations syndicales jouissent d’une véritable bienveillance de la part des magistrats qui considèrent régulièrement que les propos diffamatoires tenus s’inscrivent dans le cadre de la défense des intérêts collectifs (en ligne droite avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme).

Comme bien souvent, le Tribunal Correctionnel de PARIS a relaxé les syndicalistes, alors même que ce dernier a expressément reconnu l’existence d’une diffamation.

Toutefois, le Tribunal s’est immédiatement empressé de reconnaitre également, de manière paradoxale, la bonne foi des protagonistes pour justifier la relaxe.

Une fois encore, il est légitime de s’interroger sur l’égalité des droits des justiciables en matière de presse, les organisations syndicales semblant jouir, en la matière, d’une véritable impunité.


Refus d’une sanction par le salarié : interruption du délai de prescription de deux mois (Cass, Soc. 27 mai 2021, n°19-17.587)

Le droit disciplinaire offre à l’employeur une large palette de sanctions pouvant être prononcées contre son salarié, du simple avertissement, en passant par la rétrogradation, la mutation et en allant jusqu’au licenciement.

Dans la mesure où la sanction est proportionnée à la faute commise par le salarié, l’employeur peut donc décider d’être plus ou moins sévère avec ce dernier.

Il convient néanmoins de toujours garder à l’esprit que lorsqu’une faute est commise, l’employeur ne peut engager la procédure disciplinaire, en convoquant le salarié à un entretien préalable, au-delà d’un délai de deux mois.

Dans cet arrêt du 27 mai 2021, la Cour de Cassation est justement venue apporter une précision sur les évènements ayant pour effet de suspendre ce délai de deux mois en le faisant repartir de zéro.

En l’espèce, il avait été proposé à un salarié, à titre de sanction, d’être muté sur un autre site, en laissant à celui-ci un délai de réflexion d’une dizaine de jours (cette sanction ayant pour effet de modifier le contrat de travail du salarié elle devait nécessairement être acceptée par celui-ci).

À la suite du refus du salarié, l’employeur aura attendu presque deux mois pour convoquer ce dernier à un nouvel entretien préalable en vue de la prise d’une autre sanction ne nécessitant pas l’accord du salarié.

Le salarié a alors considéré que l’employeur avait largement dépassé le délai de deux mois l’autorisant à le sanctionner.

Réponse négative de la Cour de Cassation qui considère que lorsque le salarié est en situation de refuser une sanction, et qu’il notifie à son employeur un tel refus, le délai de deux mois est suspendu et repart donc de zéro.

L’employeur disposait donc d’un nouveau délai de deux mois, à compter de ce refus, pour convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable.

Il convient en tout état de cause d’être particulièrement vigilants en matière de respect des délais, la règle de prudence imposant toujours de réagir au plus vite face à une faute commise par un salarié.


Requalifier un CDD n’a aucune incidence sur les autres clauses du contrat de travail, même pour les pigistes (Cass, Soc. 2 Juin 2021, n°19-16.183)

Dans 3 arrêts rendus le même jour, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue apporter des précisions sur les effets de la requalification d’un CDD en CDI, au regard d’un contentieux qui ne cesse pas de faire parler de lui, celui des pigistes embauchés en CDD de manière habituelle et constante par les organes de presse.

Par ces décisions, la Cour confirme une jurisprudence ancienne voulant que la requalification d’un contrat de travail n’a d’effet que sur la durée du contrat, et non sur les autres clauses, notamment celle sur la durée du travail du salarié.

Dans ces affaires, les salariés étaient des pigistes non soumis à une durée du travail (les pigistes intervenant en général sur des plages horaires limitées et étant payés à la mission et non en fonction d’une durée du travail). qui sollicitaient au titre de la requalification de leur contrat en CDI, le versement d’une indemnité compensatrice de préavis calculée sur un temps plein.

Pour la Cour de Cassation, la requalification en CDI ne remettait pas en cause le fait que les salariés ne travaillaient pas à temps plein.

Dès lors que la durée du travail reconstituée ne correspond pas à un temps plein, l’indemnité compensatrice de préavis doit être calculée en fonction d’un salaire à temps partiel.

Une fois encore, la Cour de Cassation est venue rappeler que le pigiste ne peut profiter de la requalification de son contrat en CDI pour demander automatiquement l’application d’un temps plein, alors que ses volumes de travail ne correspondent pas à cette situation.

En matière de durée du travail, c’est une fois encore le principe de réalité qui vient s’appliquer : sans travail, pas de salaire.


Une Société victime de la violation, par un de ses anciens salariés, d’une clause de non-concurrence peut engager la responsabilité du nouvel employeur pour complicité devant le Tribunal de Commerce, avant même que le Conseil de Prud’hommes ne se prononce sur la validité de la clause… uniquement en référé (Cass, Com. 9 juin 2021, n°19-14.485)

Dans cet arrêt, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation offre aux employeurs la possibilité d’aller à la fois engager la responsabilité d’un ancien salarié violant sa clause de non concurrence, devant le Conseil de Prud’hommes, et de saisir parallèlement le Tribunal de Commerce, en référé, d’une action contre le nouvel employeur pour complicité.

Dans cette affaire la question était de savoir si le Tribunal de Commerce pouvait statuer sur la validité de la clause de non-concurrence avant que le Conseil de Prud’hommes ne rende sa décision sur ce point.

En effet, théoriquement, le Conseil de Prud’hommes étant le seul juge du contrat de travail, le Tribunal de Commerce doit impérativement surseoir à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction sur la validité de la clause et la matérialité de sa violation effective (Cass, Com. 6 mai 2003, n°01-15.268).

Pour la Chambre Commerciale, le Tribunal de Commerce étant saisi en référé, et non au fond, il n’avait pas à prononcer de sursis à statuer dans l’attente de la décision du Conseil de Prud’hommes et pouvait accorder des dommages et intérêts, à titre de provision, à l’ancien employeur victime.

Au regard de cette jurisprudence, il est donc conseillé aux entreprises de ne pas attendre l’issue d’une procédure prud’homale pour attaquer ses concurrents ayant aidé ses anciens salariés à violer leur clause de non-concurrence.

Il convient toutefois d’adopter une attitude prudente au regard des éventuelles décisions de condamnation qui pourraient être rendues par le Tribunal de Commerce, celles-ci ayant un caractère provisoire et pouvant être remises en cause dans la mesure où le Conseil de Prud’hommes ne reconnaitrait pas les manquements du salarié. 


La charge de la preuve du paiement des rémunérations repose exclusivement sur l’employeur (Cass, Soc. 16 juin 2021, n°19-25.344)

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation est venue rappeler que la preuve du paiement des salaires reposait exclusivement sur l’employeur, lequel doit démontrer, par tout moyen, qu’il a effectivement procédé au versement de la rémunération de son salarié.

En effet, en matière de paiement des rémunérations, la jurisprudence entend appliquer strictement les principes du droit civil voulant que ce soit au débiteur d’une obligation de démontrer l’exécution de celle-ci (principe découlant des dispositions du nouvel article 1353 du Code Civil).

Ce faisant, et contrairement à ce qu’avait décidé la Cour d’Appel de FORT DE FRANCE, il ne saurait être reproché à un salarié de ne pas avoir pu démontrer le paiement de sa rémunération et notamment de son indemnité de congés payés.

Rappelons qu’en la matière, il sera généralement demandé à l’employeur de démontrer la délivrance d’un paiement par chèque, ou par virement, à l’attention du salarié.

Notons également que la délivrance d’un bulletin de salaire est insuffisante pour démontrer que le paiement a bien été réalisé.


Modification du Règlement intérieur sur injonction de l’inspecteur du travail : il n’y pas besoin de consulter le CSE (Cass, Soc. 23 juin 2021, n°19-15.737)

Dans cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue rappeler qu’en matière de modification du règlement intérieur, la règle de consultation préalable du Comité Social et Economique (CSE) pouvait connaitre des exceptions.

Rappelons que l’article L.1321-4 du Code du travail impose une telle consultation avant que ce texte normatif ne soit mis en œuvre dans l’entreprise ou simplement modifié.

A défaut d’une telle consultation, le règlement intérieur est inopposable aux salariés qui ne peuvent être sanctionnés sur son fondement.

Néanmoins, la Cour de Cassation considère depuis plusieurs années qu’une telle consultation n’est plus imposée lorsque le règlement intérieur est modifié sur injonction de l’administration du travail.

En effet, pour la Cour, une telle modification intervient à l’initiative de l’Administration et non de l’employeur, ce qui justifie que soit écarté les dispositions de l’article L.1321-4 du Code du travail.

Dans cette hypothèse, il est en effet constant qu’une consultation du CSE n’aurait aucun intérêt, l’employeur n’ayant pas le choix quant à la mise en œuvre des modifications apportées au document.

En venant prévoir des exceptions non prévues par la loi, la Cour de Cassation vient une nouvelle fois de démontrer la toute puissance des décisions de l’Administration du travail, lesquelles sont élevées au-dessus même des règles d’ordre public relatives au dialogue social.


Précision de la notion « d’employeur ayant connaissance des faits fautifs » : sont concernés les supérieurs hiérarchiques non titulaires du pouvoir disciplinaire (Cass, Soc. 23 juin 2021, n°19-24.020).

En droit du travail, la notion d’employeur a toujours porté à confusion.

Si au sens juridique du terme, l’employeur demeure la personne morale ayant conclu le contrat de travail, cette notion a tendance également à s’étendre aux personnes physiques représentant celle-ci.

La Cour de Cassation est une fois encore venue récemment étendre la notion d’employeur à toute personne ayant un pouvoir hiérarchique, même non titulaire du pouvoir de sanctionner le salarié.

Cette précision a toute son importance dans le cadre des procédures disciplinaires et plus particulièrement en matière de prescription des faits fautifs.

Ainsi, par principe, aucun fait ne peut faire l’objet d’une sanction au-delà d’un délai de deux mois.

Le point de départ de ce délai se situe au jour où l’employeur a eu connaissance des faits (ce qui peut intervenir plusieurs semaines après la commission des faits).

Ce faisant, par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que le délai de prescription de deux mois avait commencé à courir dès lors que le supérieur hiérarchique du salarié avait eu connaissance des faits fautifs, qu’importe que ce supérieur n’ait aucun pouvoir de sanction à l’encontre de son subordonné.

Cette précision a son importance dans les grandes entreprises au sein desquelles les chefs de services, d’équipes ou même de bureaux ayant autorité sur un faible nombre de salariés, n’ont aucune prérogative pour sanctionner les collaborateurs.

Les N+1 doivent donc être particulièrement vigilants dès lors qu’ils sont informés d’un manquement, en remontant au plus vite les informations aux membres de leur hiérarchie titulaires du pouvoir de sanctionner le salarié.

Bernard RINEAU, Avocat Associé

Kevin CHARRIER, Avocat

Décisions évoquées : Cour d'Appel de PARIS, 1er avril 2021, n°20/12.215 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 14 avril 2021, n°20-12.920 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 14 avril 2021, n°19-12.180 ; Cour d’Appel de RIOM, 27 avril 2021, n°19/00903 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°19-25-699 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°20-12.092 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°19-14.295 ; Tribunal Judiciaire de Nanterre, 7 mai 2021, n°21/00826 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 12 mai 2021, n°20-10.796 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 12 mai 2021, n°19-23.428

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Les difficultés d’organisation résultant de l’absence de certains salariés ne permettent pas à l’employeur d’imposer aux autres collaborateurs des jours de congés payés et de RTT, dans le cadre des dérogations ouvertes par les Ordonnances COVID (CA de PARIS, 1er avril 2021, n°20/12.215).

La crise du COVID 19 a poussé le Gouvernement à simplifier considérablement le régime des congés du salarié (congés payés et RTT) en permettant à l’employeur d’imposer jusqu’à une semaine de repos, lorsque l’entreprise est confrontée à des difficultés économiques (Ordonnance du 25 mars 2020, n°2020-323).  

S’engouffrant dans la brèche, de nombreuses entreprises ont profité de ce régime dérogatoire pour ajuster leur main-d’œuvre face aux pics d’activité, en étalant les congés sur des périodes de l’année durant lesquelles l’activité était moindre.

Tel fut le cas d’une entreprise qui par note de service a pris l’initiative d’imposer des congés, alors même que ses résultats enregistrés ne témoignaient de l’existence d’aucune difficulté économique.

L’employeur invoquait la nécessité de recourir à cette procédure pour pallier l’absence d’un certain nombre de collaborateurs ne pouvant être placés en télétravail, et bénéficiant du chômage partiel.

Un syndicat a saisi le juge des référés pour demander la suspension de la mesure du fait de l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Saisie de la question, la Cour d’appel de PARIS est venue restreindre cette possibilité d’imposer des jours de congés et a rappelé que les difficultés d’organisation ne pouvaient être entendues comme une situation justifiant à elle seule l’utilisation de cette procédure exceptionnelle.

La Société étant dans l’incapacité de démontrer l’existence de difficultés de trésorerie, elle ne pouvait donc recourir à cette prérogative.


L’employeur qui met à pied son salarié, à titre conservatoire, doit déclencher au plus vite la procédure de licenciement (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°20-12.920).

La mise à pied à titre conservatoire est un mécanisme qui permet à l’employeur d’écarter immédiatement le salarié de l’entreprise, sans le rémunérer, en attendant de procéder à son licenciement pour faute grave ou lourde.

En principe, cette prérogative doit être justifiée par la protection des intérêts de l’employeur face à un collaborateur ayant commis des faits d’une particulière gravité.

Elle se distingue ainsi de la mise à pied disciplinaire, qui revêt le caractère de sanction, et qui est donc prise en dehors d’un contexte de licenciement.

Compte tenu de la violence de ses effets (le salarié étant privé de rémunération), la mise en œuvre d’une mise à pied conservatoire est encadrée strictement par le juge.  

Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que lorsque l’employeur mettait à pied son salarié à titre conservatoire, il devait déclencher la procédure de licenciement dans les meilleurs délais.

À défaut d’être diligent, la mise à pied doit ainsi être considérée comme abusive et revêt alors le caractère de sanction.

L’employeur ne pouvant sanctionner deux fois le salarié pour les mêmes faits, la Cour de cassation a jugé que le licenciement prononcé devait être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il sera intéressant de préciser que le délai raisonnable est apprécié de manière très restrictive par les juges, puisqu’en l’espèce, l’employeur n’avait attendu que 7 jours pour déclencher la procédure de licenciement à la suite de cette mise à pied conservatoire.

En revanche, dans certaines autres procédures, un délai de 3 jours avait été considéré comme raisonnable.

Le message est donc clair pour les employeurs, qui doivent faire preuve de prudence et ne pas hésiter à déclencher la mise à pied conservatoire de manière concomitante à la convocation du salarié à un entretien préalable.


Accepter la sanction de rétrogradation ne signifie pas pour autant renoncer au droit de la contester ultérieurement (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°19-12.180).

La rétrogradation, parfois considérée comme la sanction symboliquement la plus sévère, ne peut être imposée au salarié sans son consentement.

Il s’agit en effet d’une modification du contrat de travail qui nécessite, malgré son caractère de sanction, l’accord du salarié.

Dans cet arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que si le salarié devait impérativement donner son accord pour se voir appliquer une rétrogradation, cet accord n’empêchait pas pour autant celui-ci de contester, a posteriori, le bien-fondé et la proportionnalité de la sanction devant le juge.

La Cour de cassation confirme donc qu’une rétrogradation infondée peut être remise en cause, et être annulée par le juge, même si le salarié a expressément consenti, par la signature d’un avenant à son contrat de travail, à son nouveau poste de travail et à sa nouvelle rémunération.

En maintenant ce contrôle par les juges du fond du bien-fondé de cette sanction, la Cour de cassation entend éviter la mise en œuvre de rétrogradations abusives, fondées sur des motifs insuffisants ou inexistants, qui serviraient à exercer une pression sur le salarié pour lui imposer une modification de ses fonctions et de sa rémunération.

Rappelons ainsi qu’en pratique, le refus de rétrogradation par le salarié autorise l’employeur à remplacer cette sanction par une mesure de licenciement, ce qui a d’ailleurs été rappelé récemment par la Cour de cassation (Cass, Soc. 10 février 2021, n°19-20.918).


Reconnaissance d’un accident du travail : importance de la cohérence des déclarations réalisées auprès de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CA de RIOM, 27 avril 2021, n°19/00903).

Dans cet arrêt, la Cour d’appel de RIOM a rendu une décision défavorable à l’encontre d’un salarié qui avait déclaré un accident du travail, mais en livrant une version pour le moins contradictoire des faits.

La CPAM avait alors refusé de reconnaître cet accident du travail, le salarié ayant donné des dates différentes, avec un écart de dix jours, entre sa déclaration et son audition par la Caisse.

Il avait également communiqué une attestation d’un prétendu témoin, rédigée près de dix mois après les faits.

En l’absence de témoignages suffisamment probants de l’accident, et compte tenu des incohérences relevées, la Cour d’appel de RIOM a suivi la position de la CPAM.

Dans cette affaire, les juges du fond, confrontés à un doute légitime sur le caractère professionnel de l’accident, ont donc préféré, pour éviter d’être victimes d’une supercherie, rejeter la demande du salarié.

Il en ressort qu’en matière d’accident du travail, et en l’absence de témoins des faits, les salariés doivent donc être particulièrement rigoureux dans leurs déclarations : à cet égard, le fait de reporter par écrit, immédiatement après l’accident, les circonstances de celui-ci, constitue un moyen efficace de sauvegarder ses droits.


Pour imposer aux salariés l’application d’un code de déontologie, il convient de respecter la procédure de mise en place d’un règlement intérieur (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-25-699).

Il est souvent d’usage en entreprise d’imposer des règles qui viennent s’additionner au règlement intérieur et de leur donner une dénomination plus moderne (code de bonne conduite, code de déontologie, ou encore charte éthique).

Mais quelle est la valeur juridique de ces règles ? Tout contournement de celles-ci par le salarié peut-il entraîner une sanction ?

Cet arrêt nous rappelle que l’employeur qui souhaite imposer à ses salariés des règles de bonne conduite susceptibles d’entraîner, en cas de non-respect, des sanctions disciplinaires, doit impérativement donner à celles-ci la valeur d’un règlement intérieur.

Il en est ainsi concernant un code de déontologie, en l’espèce celui applicable aux salariés des prestataires de service d’investissement.

Dès lors que, comme le règlement intérieur, le document a bien été soumis (i) à avis du Comité Social et Economique (ex-Comité d’entreprise), (ii) communiqué à l’inspecteur du travail, et (iii) déposé au greffe du Conseil de Prud’hommes, il emporte force obligatoire vis-à-vis des salariés, qui pourront être sanctionnés en cas de violation de celui-ci.

Il conviendra de préciser que peu importe, finalement, la dénomination donnée aux règles imposées par l’employeur : la Cour de cassation vient intégrer celles-ci au règlement intérieur dès lors qu’elles respectent la procédure évoquée ci-dessus.


Violer une fois, de manière temporaire, sa clause de non-concurrence, justifie l’interruption définitive du versement de la contrepartie financière (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°20-12.092).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a enfin tranché une épineuse question juridique relative au versement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

Rappelons que cette contrepartie financière constitue une obligation de l’employeur du fait du respect par le salarié de son obligation de non-concurrence.

Si son versement doit naturellement être suspendu lorsque le salarié est entré au service d’un employeur concurrent, qu’en est-il lorsque durant la période d’application de la clause, le salarié se conforme à nouveau à ses obligations, en rompant finalement le contrat de travail avec son ancien employeur ?

Pour la Cour de cassation, en violant ses obligations, même de manière temporaire, le salarié a perdu définitivement son droit au versement d’une contrepartie financière.

Ce constat est valable, quel que soit le contexte de la cessation de l’activité concurrentielle.

Notons qu’en l’espèce, c’est l’employeur concurrent qui avait mis fin à la période d’essai du salarié.

Violer sa clause de non-concurrence, même temporairement, s’opère donc aux risques et périls du salarié, lequel pourra non seulement perdre définitivement le bénéfice de sa contrepartie financière, mais également voir sa responsabilité civile engagée par son ancien employeur.


Petit rappel concernant les délais de prescription relatifs aux actions en requalification d’un CDD en CDI du fait du non-respect du délai de carence (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-14.295).

Les actions en requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ont toujours eu pour point commun de créer de nombreux débats quant au point de départ de leurs délais de prescription.

Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser un élément important concernant les actions en requalification fondées sur le non-respect du délai de carence entre les CDD.

Sur ce point, la Chambre sociale est venue considérer que le point de départ devait être situé au jour de l’apparition du vice.

Lors d’une succession de CDD pour lesquels le délai de carence n’aurait pas été respecté, le point de départ du délai de prescription de l’action doit ainsi être fixé au jour de la conclusion du premier contrat vicié.

Il convient de préciser qu’en l’espèce, il s’agissait du premier CDD conclu en violation du délai de carence, autrement dit, le deuxième CDD.


Le boycott d’une séance de vote par une partie des membres du CSE se fait à leurs risques et périls (TJ Nanterre, 7 mai 2021, n°21/00826).

Le Tribunal Judiciaire de NANTERRE est venu rappeler que le vote d’un avis concernant une cession d’entreprise par les membres du Comité Social et Economique (CSE) n’était soumis à aucun quorum.

C’est dans ce contexte que les membres d’un CSE ont été pris au piège lors du boycott d’un vote.

Notons que le CSE avait saisi préalablement le Tribunal Judicaire de NANTERRE pour obtenir de la part de l’employeur un complément d’information, avant le rendu d’un avis concernant l’opération.

N’en déplaise au CSE, l’employeur avait néanmoins prévu de soumettre le projet au vote, avant même l’audience, lors d’une réunion qui a été boycottée par la majorité des membres de l’institution, qui ont quitté la salle.

Une minorité de membres était toutefois restée à cette réunion et avait voté sur l’avis.

Le Tribunal Judiciaire de NANTERRE a alors considéré que l’avis avait été régulièrement rendu par le CSE. La demande en complément d’information n’avait dès lors plus d’objet dans la mesure où la procédure de consultation avait été clôturée par le rendu de l’avis.

En matière d’information consultation, l’union fait donc la force…mais à la condition que tous les membres du CSE agissent comme un seul !


Signature d’une transaction : pas d’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°20-10.796).

La transaction, acte par lequel l’employeur et le salarié mettent fin à un litige, moyennant le versement d’une indemnisation, est guidée par le principe de la liberté contractuelle.

C’est ce que nous rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans plusieurs décisions du 12 mai 2021, dans lesquelles elle rejette l’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés d’une même entreprise ayant signé une transaction avec leur employeur.

Une Cour d’appel avait pourtant condamné un employeur à payer diverses sommes à ses salariés, en complément de l’indemnité transactionnelle déjà perçue, au motif que chacun des salariés, placés dans la même situation, devait obtenir les mêmes montants.

Au contraire, pour la Cour de cassation, les parties sont libres de négocier l’indemnisation de leur choix, qu’importe que d’autres salariés, placés dans la même situation (ancienneté, responsabilité), ont reçu une somme moindre.

Cet arrêt nous confirme que la transaction demeure ainsi une des dernières zones de liberté contractuelle en droit du travail, les principes généraux de la matière, tel que le principe d’égalité de traitement, pouvant être librement écartés par les parties.

Il convient de souligner que ce postulat est d’autant plus renforcé que la Cour de cassation n’a pas cru bon renvoyer les affaires devant les juridictions du fond, considérant que le litige devait être définitivement jugé en annulant la condamnation de l’employeur prononcée par la Cour d’appel. 


Demande d’annulation des élections professionnelles : avant l‘heure ce n’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure… mais pas en ce qui concerne le Protocole d’Accord préélectoral (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°19-23.428).

Le Code du travail, dans son article R.2314-24, prévoit que toute demande portant sur la contestation des élections professionnelles doit être déposée devant le Tribunal d’Instance (fusionné avec le TGI devenu depuis Tribunal Judiciaire), dans les 15 jours suivant l’élection.

Une organisation syndicale, mécontente du Protocole d’Accord Préélectoral, qu’elle jugeait irrégulier, n’a pas hésité à déposer son recours avant la tenue effective de l’élection.

Le Syndicat estimait ainsi que rien ne l’empêchait de saisir le Tribunal, avant la tenue du scrutin, dès lors que l’irrégularité était déjà intervenue et existait depuis la signature du Protocole.

Ce n’était pas l’avis du Tribunal d’Instance saisi de la question, qui a entendu faire appliquer strictement la lettre de l’article R.214-24 du Code du travail qui prévoit bien une action contentieuse devant être introduite dans la quinzaine suivant l’élection : c’est-à-dire, selon elle, ni après, ni avant.

La Cour de cassation s’est néanmoins rangée derrière la position du Syndicat en estimant que l’action ne portait pas sur l’élection en elle-même, mais sur le Protocole d’Accord préélectoral.

Le Syndicat pouvait donc agir dès l’apparition du vice.

L’annulation du Protocole d’Accord Préélectoral entraînant, de facto, l’annulation de l’élection, la Cour de cassation a donc indirectement ouvert une exception au principe de prohibition des demandes d’annulation anticipée d’une élection à venir.

Bernard RINEAU, Avocat Associé

Kevin CHARRIER, Avocat

Décisions évoquées : Conseil d'Etat, 9 mars 2021, n°433214 / Cour d'Appel de PARIS, 16 mars 2021, n°19/08721 / Cour de Cassation, Soc. 17 mars 2021, n°19-23.042 / Cour de Cassation, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208 / Cour de Cassation, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208 / Tribunal Judiciaire de Nanterre 10 mars 2021, n° RG 20/09616 / Tribunal Judiciaire de PARIS 30 mars 2021, n°RG20/09805 / Cour de Cassation, Soc. 31 mars 2021, n°19-22.388 / Cour de Cassation, Soc. 31 mars 2021, n°19-23.518 / Cour de Cassation, Civ 2ème. 8 avril 2021, n°20-11.935 / Cour de Cassation, Soc. 8 avril 2021, n°19-15.432 / Cour de Cassation, Soc. 14 avril 2021, n°19-24.079

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Intérêt à agir du CSE contre la décision d’un tiers institutionnel devant le juge administratif (CE, 9 mars 2021, n°433214)

Le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le Comité Social et Economique (ex comité d’entreprise) d’agir contre une décision d’une autorité administrative indépendante, lorsque celle-ci concerne directement l’entreprise dans laquelle celui-ci est élu.

En l’espèce, l’Autorité de la Concurrence avait délivré une autorisation de prise de contrôle à une Société absorbante, alors même que le CSE de la Société absorbée avait saisi le juge judiciaire, pour obtenir une injonction d’ouvrir la négociation annuelle sur les intérêts stratégiques, avant tout dépôt de cette demande d’autorisation.

Si le juge administratif a logiquement considéré que l’Autorité de la Concurrence n’était pas liée par la décision du juge judiciaire, qui s’imposait uniquement à la Société absorbée, et qu’elle était donc libre de rendre sa décision quand elle le souhaitait, il a été jugé que le CSE avait bien un intérêt à agir devant lui contre la décision d’autorisation de l’opération de prise de contrôle.

Le Conseil d’Etat considère ainsi qu’en agissant contre cette décision, le CSE ne fait que mettre en œuvre ses attributions de défense de la communauté de travail concernant la gestion économique et financière de l’entreprise et les conditions de travail.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient donc étendre la possibilité offerte au CSE d’agir devant les juridictions contre les tiers, et non plus seulement contre l’employeur.


Barèmes Macron – A son tour, la Cour d’Appel de Paris fait de la résistance (CA de PARIS, 16 mars 2021, n°19/08721)

Alors que l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a jugé, dans un avis, la conformité des barèmes Macron avec le droit international et que l’on pensait ce débat définitivement tranché, la Cour d’Appel de Paris s’est mise à son tour à faire de la résistance.

Sur le fondement du principe de l’indemnisation adéquate, la Cour a ainsi jugé qu’un salarié ayant 4 ans d’ancienneté et plus de 53 ans ne pouvait voir le préjudice lié à la perte de son emploi réparé par le versement d’une somme de 4 mois de salaire.

Compte tenu des difficultés du salarié à pouvoir retrouver un emploi, la Cour d’Appel a suivi les nombreux Conseils de Prud’hommes frondeurs aux barèmes Macron, et s’est donc positionnée en faveur d’une indemnisation fondée sur le préjudice réel.

Cet arrêt vient donc une nouvelle fois créer une insécurité juridique sur l’application de ces barèmes et appelle les employeurs à adopter une certaine prudence en calculant le risque judiciaire afférent à un licenciement.

Reste donc à attendre la position de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation qui serait saisie en dehors du cadre d’un simple avis, pour appréhender dans quelle mesure les barèmes prud’homaux pourraient éventuellement être amenés à disparaitre, sur le fondement d’une éventuelle contrariété au droit international et communautaire.


L’effet rétroactif de l’annulation d’une décision de retrait de port d’armes, fait perdre au licenciement son caractère réel et sérieux (Cass, Soc. 17 mars 2021, n°19-23.042)

Cet arrêt appelle les employeurs à la plus grande vigilance lorsqu’ils envisagent de licencier un salarié en raison d’une décision administrative lui retirant le droit de porter une arme.

La RATP a ainsi fait les frais d’une décision des juridictions administratives annulant la décision du Préfet de Police de Paris de retirer le droit de port d’arme d’un de ses agents de sécurité.

La décision d’annulation ayant une valeur rétroactive, ce permis de port d’arme était réputé avoir toujours existé.

Par conséquent, la Cour de Cassation a jugé que le licenciement du salarié, sur ce seul retrait, devait être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt nous rappelle ainsi que l’employeur de bonne foi peut engager sa responsabilité du fait d’une erreur de l’administration.

Mieux vaut dès lors se prémunir contre ce type d’erreurs et penser à reclasser le salarié dans un autre emploi, notamment lorsque celui-ci exerce son droit de recours contre la décision administrative.


Annulation de l’accord de branche relatif au forfait annuel en jours dans le secteur du bricolage (Cass, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208)

Une nouvelle fois, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue censurer les dispositions d’un accord de branche relatif au forfait annuel en jours, pour insuffisance de garanties en matière de surveillance de la charge de travail des salariés.

Une fois n’est pas coutume, la Convention du secteur du bricolage avait beau garantir aux salariés des temps de repos quotidiens et hebdomadaires conformes avec les règles d’ordre public prévues par le Code du travail, l’accord du 23 juin 2000 ne prévoyait aucun suivi régulier de la charge de travail par l’employeur.

Ce faisant, faute de prévoir des procédures strictes de surveillance, l’Accord de Branche contrevenait aux exigences constitutionnelles et communautaires en matière de droit au repos effectif.

Tout comme dans les secteurs du bâtiment et travaux publics (Cass, Soc. 11 juin 2014, n°11-20.985), des experts comptables et commissaires aux comptes (Cass, Soc. 14 mai 2014 n°12-35.033), ou encore dans celui des Cabinets de Conseil (Cass, Soc. 24 avril 2013, n°11-25.398), les partenaires sociaux de la Branche du bricolage devront se remettre autour de la table pour négocier un accord conforme aux exigences jurisprudentielles.


Le remplacement du salarié licencié pour absence prolongée doit se faire dans un délai raisonnable (Cass, Soc. 24 mars 2021, n°19-13.188)

Le licenciement pour absence prolongée, considéré comme un véritable piège pour l’employeur, tant ses conditions de validité ont été progressivement réduites par la jurisprudence (absence désorganisant toute l’entreprise, impossibilité de remplacement par un salarié en CDD, obligation de remplacer le salarié licencié par un salarié en CDI), continue d’alimenter le contentieux de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.

Par cet arrêt, la Cour précise une nouvelle fois que le remplacement du salarié licencié doit être effectué dans un délai raisonnable.

Notons que cette dernière notion pose de véritables difficultés aux praticiens, tant la détermination du caractère raisonnable du délai apparait être subjective.

En l’espèce, la Chambre Sociale a laissé le soin aux juges du fond d’effectuer ce contrôle au regard de plusieurs critères, notamment de l’importance du poste du salarié remplacé et donc de la durée de la procédure de recrutement.

Dans ce cas d’espèce, la Cour d’Appel de PARIS, suivie par la Cour de Cassation, avait légitimement considéré que le remplacement effectif du Directeur d’une Association pouvait se faire 6 mois après le licenciement du salarié.


Salariés en télétravail et tickets restaurant : désaccord profond entre le Tribunal Judiciaire de Nanterre et celui de Paris (TJ de Nanterre 10 mars 2021, n° RG 20/09616 et TJ de PARIS 30 mars 2021, n°RG20/09805)

Les salariés en télétravail ont -il droit au titres restaurant comme les autres travailleurs ? Telle est la question qui a été soumise, en l’espace de 20 jours, à deux juridictions de renom que sont le Tribunal Judiciaire de Nanterre et celui de Paris.

Alors même que nous pensions avoir obtenu un début de réponse lorsque les juges de Nanterre ont considéré que les télétravailleurs ne pouvaient se voir accorder cet avantage, du fait de la possibilité qui leur était offerte de déjeuner chez eux sans surcoût, les juges parisiens ont pris une position totalement différente au nom du principe d’égalité de traitement entre les salariés.

Sur ce point, et afin de faire primer le principe de sécurité juridique, un éclaircissement serait le bienvenu, d’autant plus que l’URSSAF, par l’intermédiaire du nouveau BOSS (Bulletin Officiel de Sécurité Sociale) est venue dès le 1er avril 2021, se ranger derrière la position des juges parisiens en appliquant le même régime d’exonération sociale aux télétravailleurs et aux salariés présents sur site.

Affaire à suivre, d’autant plus que tout appel interjeté au titre de ces deux jugements serait porté devant deux Cour différentes, celle de Paris et de Versailles.

Sur ce point, il conviendra d’observer si les juges d’appel décident ou non de s’entendre.


Violences, injures et humiliations : la caractérisation de la faute grave ne dépend pas toujours exclusivement de la libre appréciation des juges du fond (Cass, Soc. 31 mars 2021, n°19-22.388 et Cass, Soc. 31 mars 2021, n°19-23.518)

Alors même que la Cour de Cassation est venue, depuis plusieurs années, se désengager de l’appréciation de l’existence du bien-fondé de la faute grave à l’origine d’un licenciement, laissant aux juges du fond (Conseils de Prud’hommes et Cours d’Appel) le soin de décider librement, au regard des faits, si celle-ci est bien constituée, ces deux arrêts viennent nuancer cette position.

Ainsi, dans certains cas, la faute grave ne peut décemment faire débat, les juges du fond devant impérativement la caractériser lorsque les faits à l’origine du licenciement sont avérés.

Tel est le cas des actes de violences contre des résidents d’une maison de retraite, ou encore des actes d’injures et de dénigrement d’un Cadre sur les personnes qui lui sont subordonnées.

On peut donc penser que concernant certains actes, qui seraient commis par les salariés, la Cour de Cassation entend aborder une notion universelle de la faute grave, qui ne peut être substituée par une sanction plus légère, telle que le licenciement pour cause réelle et sérieuse qui offre au salarié le droit au paiement d’un préavis et d’une indemnité de licenciement.


Le particulier employeur exposé à la faute inexcusable – une première (Cass, Civ 2ème. 8 avril 2021, n°20-11.935)

Pour la première fois, la Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation, spécialisée dans les contentieux de sécurité sociale, est venue étendre la notion de faute inexcusable au particulier employeur, jusqu’alors à l’abri de cette sanction impliquant le versement, au salarié victime, d’une rente supplémentaire et de dommages et intérêts en complément de ce qui est déjà à la charge de la CPAM.

Ainsi, le particulier employeur qui avait connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, d’un danger et qui n’a pas pris les mesures de protection en faveur de son salarié sera, au même titre que les entreprises, contraint d’indemniser le salarié victime.

A noter que dans cette affaire retentissante, le particulier employeur était parti en vacances sans informer son employé de maison de la vétusté de son balcon, qui par la force des choses a fini par céder, en emportant ce dernier.

Devenir employeur ne s’improvise donc pas et oblige le particulier à une vigilance quant aux dangers auxquels son salarié pourrait être exposé (chutes, électrocutions, etc.).


Les objectifs du salarié doivent nécessairement être fixés avant le début de l’exercice (Cass, Soc. 8 avril 2021, n°19-15.432)

Il est constant que la rémunération variable du salarié peut dépendre de la réalisation d’objectifs fixés discrétionnairement par l’employeur.

La Cour de Cassation a une fois encore validé ce processus de fixation unilatérale des objectifs, à condition qu’il se fasse avant le début de la période durant laquelle seront pris en compte les résultats du salarié.

En effet, en fixant ces objectifs en cours de période, il est certain que l’employeur possèdera déjà les informations lui permettant de faire une projection des résultats de son salarié, ce qui pourrait éventuellement le pousser à adapter en conséquence les objectifs afin que ceux-ci deviennent inatteignables, ce qui aurait nécessairement pour conséquence d’impacter la rémunération variable du salarié.

Par cet arrêt, la Chambre Sociale vient donc placer la bonne foi contractuelle au cœur du pouvoir de direction de l’employeur en matière de fixation des objectifs.


La vente de vêtements en contact avec la clientèle n’autorise pas l’employeur à interdire au salarié le port d’un signe religieux, notamment un foulard islamique (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°19-24.079)

Si la Chambre Sociale de la Cour de Cassation nous a souvent habitués à rendre des arrêts polémiques, celui du 14 avril dernier a pour le moins fait couler beaucoup d’encres.

Une vendeuse de l’enseigne de prêt à porter Camaïeu avait été licenciée après avoir refusé d’ôter son voile islamique durant son service. Malgré l’absence de clause afférente à une neutralité religieuse dans le règlement intérieur de l’entreprise, l’enseigne avait argué d’une restriction justifiée et proportionnée de la liberté religieuse au nom de l’image de l’entreprise.

Pour la Cour de Cassation, le contact avec la clientèle ne justifiait pas une telle atteinte, d’autant plus lorsque la restriction litigieuse ne faisait pas l’objet d’une clause dans le règlement intérieur.

Le législateur n’ayant imposé aucun principe de neutralité dans les entreprises du secteur privé, non délégataires d’une mission de service public, l’employeur ne peut théoriquement pas restreindre la liberté religieuse, sans motif suffisant, les plaintes des clients et l’image de l’entreprise n’en faisant pas partie.

Compte tenu du fait que la liberté religieuse est considérée comme une liberté fondamentale, le licenciement intervenu en violation de celle-ci doit ainsi être déclaré nul.

Il convient désormais de surveiller ce qui pourrait, en dehors de toute délégation de service public, constituer un intérêt essentiel de l’entreprise susceptible de justifier de telles restrictions.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kevin CHARRIER, Avocat

"Le permis de construire est une autorisation d’urbanisme concernant, notamment, les constructions nouvelles emportant la création de plus de 20 m² de surface de plancher ou d’emprise au sol ".

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Le permis de construire est une autorisation d’urbanisme concernant, notamment, les constructions nouvelles emportant la création de plus de 20 m² de surface de plancher ou d’emprise au sol : cela concerne votre construction principale, mais également ses annexes, notamment les abris de jardin, de piscine ou encore les garages[1].

En outre, certaines extensions de construction existantes sont conditionnées à l’obtention d’un permis de construire en fonction de la surface de plancher créée[2].

Enfin, les changements de destination d’une construction existante peuvent également être soumis à l’obtention d’un permis de construire si cela entraîne une modification de la structure porteuse ou de la façade de la construction[3].

En tout état de cause, votre demande de permis de construire sera instruite au regard des règles d’urbanisme applicables sur votre commune : il est indispensable de prendre connaissance des documents du plan local d’urbanisme en vigueur afin d’anticiper et d’éviter de se lancer dans un projet qui ne pourra voir le jour.

Toutefois, il arrive couramment que des constructions soient effectuées sans qu’aucun permis de construire n’ait été délivré, ou sans respecter les dispositions du permis de construire octroyé : des solutions existent pour régulariser ces situations.

VOUS AVEZ EFFECTUÉ DES TRAVAUX SANS PERMIS DE CONSTRUIRE

Les travaux de construction sans autorisation d’urbanisme préalable, alors que celle-ci était obligatoire, ou en vertu d’une autorisation d’urbanisme caduque, constituent une infraction pénale[4].

Si à l’occasion d’une visite de contrôle, les services de l’urbanisme constatent l’édification d’une construction sans permis de construire, un procès-verbal d’infraction devra être établi et transmis au Parquet[5].

Après avoir constaté l’infraction, les services de l’urbanisme pourront vous sommer de cesser les travaux grâce à l’édiction d’un arrêté interruptif de travaux.

En outre, cette infraction est passible d’une amende de 2 000 à 6 000 euros par mètre carré créé, voire d’une peine d’emprisonnement en cas de récidive[6].

Enfin, la démolition de votre construction avec remise en état des lieux pourra être prononcée par les juridictions pénales ou civiles[7] : la récente condamnation à la démolition du château Diter[8] (évalué à 57 millions d’euros) rappelle, avec force, les risques encourus par ce type de manœuvres.

Pour éviter cela, vous pouvez solliciter un permis de construire afin de régulariser les travaux déjà exécutés. De la même manière, l’administration peut vous mettre en demeure de procéder à cette régularisation[9].

Toutefois, cela n’est possible qu’à la condition que les travaux et la construction projetés soient conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur[10].

En effet, il sera impossible de régulariser des travaux déjà effectués en sollicitant un permis de construire si cette demande n’a aucune chance d’aboutir : par exemple, la construction d’une maison d’habitation dans une zone inconstructible est irrégularisable[11].

L’instruction de cette demande de permis de construire est effectuée dans les conditions de droit commun, au même titre qu’une demande de permis classique.

Il convient de garder à l’esprit que cette régularisation, si le permis sollicité a posteriori est accordé, vous permet seulement de poursuivre vos travaux de construction, et empêche une éventuelle condamnation à démolir et à remettre en état.

En revanche, la délivrance ultérieure d’une autorisation régulière ne fait pas disparaître l’infraction : la peine d’amende, voire d’emprisonnement en cas de récidive, est toujours encourue[12].

Il est donc toujours préférable de solliciter une autorisation d’urbanisme avant le début des travaux.

VOUS DISPOSEZ D’UN PERMIS DE CONSTRUIRE, MAIS VOTRE CONSTRUCTION S’EN ÉLOIGNE

Le bénéficiaire d’un permis de construire se doit de respecter les prescriptions de ce dernier : l’administration dispose d’un pouvoir de contrôle à ce sujet.

Au même titre que les travaux effectués sans permis de construire, le fait de ne pas respecter les obligations imposées par l’autorisation dont vous êtes titulaire est constitutif d’une infraction pénale.

En effet, la construction en cours doit évidemment être conforme au projet que vous avez soumis à l’administration et respecter les prescriptions imposées, ainsi que la destination prévue[13].

Toutefois, vous pouvez, en cours de construction, vouloir modifier une partie de votre projet et effectuer certaines adaptations : cette attitude est légitime, mais vous place en contradiction avec votre projet initial et, partant, avec le permis de construire qui vous a été accordé.

Pas d’inquiétudes, la régularisation de votre autorisation d’urbanisme est possible au moyen d’un permis de construire modificatif.

De la même manière que précédemment, si vous n’effectuez pas cette régularisation de manière volontaire, l’administration peut vous mettre en demeure de déposer une demande de permis de construire modificatif si cette dernière s’aperçoit, à l’occasion du contrôle des travaux, que votre construction ne respecte pas les prescriptions de l’autorisation qu’elle vous a délivrée[14].

Votre demande de permis modificatif ne pourra être effectuée que si :

  • le permis de construire initial est en cours de validité, c’est-à-dire qu’il ne doit être, ni périmé, ni annulé[15] ;
  • la construction, objet du permis de construire initial, nécessitant la demande de permis modificatif, ne doit pas être achevée[16]. Si la construction est achevée, les modifications sont soumises, selon leur nature, soit à l’octroi d’un nouveau permis de construire, soit d’une déclaration préalable.
  • les modifications apportées à la construction prévue ne doivent pas bouleverser le projet ou en changer la nature[17]. Un changement de façade, une modification des distances en limite séparative, l’ajout d’un étage peuvent faire l’objet d’une demande de permis modificatif selon les spécificités de l’espèce.

Si les modifications sont trop importantes, il sera nécessaire de faire une nouvelle demande de permis de construire.

La demande de permis modificatif doit être effectuée par le biais du formulaire CERFA n°13411*01.

En cas d’issue favorable, le permis modificatif se substitue au permis initial, seulement pour les parties qu’il modifie : le permis initial ne disparaît pas pour autant.

Ce permis doit également être affiché et fait de nouveau courir le délai de recours contentieux pour les prescriptions qu’il contient.

Un permis modificatif de régularisation peut intervenir au cours de l’instance contre le permis de construire initial, soit à l’initiative du pétitionnaire, soit à l’initiative du juge qui sursoit à statuer : ce permis modificatif sera alors soumis au débat contentieux[18]

De la même manière, le juge peut annuler de façon partielle un permis de construire, obligeant ainsi le pétitionnaire à formuler une demande de permis modificatif pour la partie annulée.

En conclusion, il est important de se conformer au permis de construire qui vous a été délivré afin d’éviter de se retrouver en infraction. Toutefois, toute modification de votre construction en cours de travaux n’est pas impossible, sous réserve de la délivrance d’un permis de construire modificatif.

VOS TRAVAUX SONT CONFORMES À VOTRE PERMIS DE CONSTRUIRE, MAIS EN CONTRADICTION AVEC LES RÈGLES D’URBANISME

Dans cette dernière hypothèse, vous bénéficiez d’un permis de construire et votre construction est conforme à l’autorisation qui vous a été délivrée.

Toutefois, vous n’êtes pas à l’abri de tout risque.

En effet, il est possible que le permis qui vous a été délivré l’ait été en méconnaissance des règles du plan local d’urbanisme applicable à votre construction.

Sauf en cas de fraude de votre part, cette hypothèse n’est pas constitutive d’une infraction pénale[19]. Toutefois, votre autorisation d’urbanisme encourt l’annulation devant la juridiction administrative.

En outre, en cas d’annulation de votre permis, vous pouvez être condamné à verser des dommages et intérêts à un voisin à qui vous causez du tort ou, en fonction du lieu de votre projet, votre construction encourt la démolition devant les tribunaux de l’ordre judiciaire[20].

Dans ce cas, et afin, notamment, d’éviter l’annulation de votre autorisation d’urbanisme, il est nécessaire de formaliser une demande de permis modificatif afin de tenter de couvrir les éventuelles irrégularités affectant votre permis initial[21].

Cette demande de permis modificatif répond aux mêmes conditions que celles décrites ci-dessus et, bien entendu, le vice affectant votre permis de construire doit être régularisable.

Dans tous les cas, il peut être opportun, lorsque vous envisagez un projet de construction, de faire procéder, au préalable, à un audit de votre demande de permis de construire afin qu’un professionnel vérifie que ce dernier respecte l’ensemble des dispositions d’urbanisme en vigueur : afin de permettre, ainsi, soit d’éviter un contentieux ultérieur, soit de ménager la possibilité d’une demande de permis modificatif.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Quentin PAREE, Avocat

Elorri DALLEMANE, Avocat


[1] Article L. 421-1 du Code de l’urbanisme

[2] R 421-14 du Code de l’urbanisme

[3]Le Code de l’urbanisme prévoit cinq destinations possibles : exploitation agricole et forestière, habitation, commerce et activités de service, équipements d’intérêt collectif et services publics, autres activités des secteurs secondaires et tertiaires

[4] Cass. crim., 21 janvier 2014, pourvoi n° 12-87.933

[5] Article L. 480-1 du Code de l’urbanisme

[6] Article L. 480-4 du Code de l’urbanisme

[7] Article L.480-5 du Code de l’urbanisme

[8] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/10/a-grasse-le-chateau-diter-condamne-definitivement-a-la-demolition_6062921_3224.html

[9] Articles L. 461-4, c et L481-1 à 3 du Code de l’urbanisme et Cass., crim., 8 décembre 2020, pourvoi n°19/84245

[10] CE, 18 juin 1969, Terry, req. n° 72045

[11] Article L.421-3 du code de l’urbanisme

[12] Cass. crim., 18 novembre 2008, pourvoi n° 08-83.542, Cass. crim., 8 sept. 2009, pourvoi n° 09-82.036

[13] Cass. crim., 25 janv. 1995, pourvoi n° 94-81.316

[14] Articles L. 462-2 et R. 462-9 du code de l’urbanisme

[15] CE, 29 décembre 1997, req., n° 104903

[16] CAA Marseille, 1re ch., 21 oct. 2010, req., n° 08MA03350

[17] CE, 2 octobre 2020, req. n°438318

[18] CE, 22 février 2018, SAS Udicité, req., n°389518,

[19] Article L. 610-1 du code de l’urbanisme, Cass. crim., 15 février 1995, pourvoi n° 94-80.739

[20] Article L. 480-13 du code de l’urbanisme

[21] CE, 2 février 2004, req. n° 238315

« Chacun sait que les armes de dissuasion ne sont efficaces que si on ne s’en sert pas » (Emil CIORAN – Des Larmes et des Saints).

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Par ces mots, Emil CIORAN résume à lui seul le principe même de la sanction qui, pour produire ses effets, doit par nature inspirer la crainte.

Le droit du travail a, au fil des années, des lois et des jurisprudences, étoffé le principe de la sanction pesant sur l’employeur, en appliquant un panel de mesures et de condamnations qui diffèrent selon la règle de droit qui aurait été violée.

Toutefois, les Ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017, et ses barèmes codifiés à l’article L.1235-3 du Code du travail, ont mis à mal le principe de dissuasion en permettant de sécuriser le risque de condamnation de l’employeur en fonction de l’ancienneté du salarié, et ainsi de limiter pour ce dernier le quantum des condamnations lorsque celui-ci se trouve depuis peu dans les effectifs de l’entreprise.

Pourtant, le législateur s’est résolu à conserver, dans son panel de sanctions, le principe de la nullité du licenciement, en cas de violation de certaines règles d’ordre public (à l’instar notamment de la prohibition des discriminations, du statut protecteur des salariés élus ou titulaires de certaines prérogatives, ou encore de la sauvegarde des libertés fondamentales).

De fait, il n’existe pas de sanction plus dissuasive pour l’employeur que l’annulation d’une mesure de licenciement.

En effet, outre l’aspect financier significatif de cette sanction, il existe un corollaire tout à fait problématique pour l’employeur : l’obligation de réintégrer le salarié qui en ferait la demande, parfois plusieurs mois, voire plusieurs années, après son départ de l’entreprise.

Rappelons que cette réintégration est en réalité issue directement de la théorie civiliste des nullités, laquelle commande de considérer que l’acte anéanti n’a tout simplement jamais existé.

Ainsi, contrairement à la sanction du licenciement pour absence de cause réelle et sérieuse (ou abusif), pour laquelle l’employeur se voit offrir la possibilité de refuser la réintégration de son salarié, le Code du travail prévoit qu’en matière de nullité du licenciement, ledit employeur ne peut, en principe, s’opposer à celle-ci lorsqu’elle est demandée par l’ancien collaborateur (articles L.1235-3-1 et L.1235-11 du Code du travail).

Dès lors, la réintégration devient l’enjeu principal de la nullité du licenciement, tant d’un point de vue moral pour le salarié, que pratique pour l’employeur, puisque le salarié peut revendiquer la reprise de son poste comme s’il n’avait jamais quitté l’entreprise.

Néanmoins, nous constatons que la réintégration est bien souvent instrumentalisée pour devenir une stratégie financière à part entière (I).

Pour autant, le principe évoqué ci-avant n’est pas absolu, la réintégration pouvant, dans un certain nombre de cas, être refusée au salarié qui en ferait la demande (II).

I – Le principe de la réintégration, au service de la stratégie financière du salarié

La question de la réintégration du salarié, consécutive à l’annulation de son licenciement par un Conseil de Prud’hommes, ou une Cour d’Appel, peut paraître tout à fait curieuse lorsqu’on connaît les délais afférents aux procédures sociales.

Ainsi, nous pourrions légitimement penser qu’il est peu probable qu’un salarié sollicite de pouvoir reprendre son poste, ou un poste équivalent, parfois plusieurs années après un licenciement.

Outre le fait que bien souvent celui-ci a retrouvé un autre emploi (qui par principe, doit le conduire à vouloir s’investir pour le compte de son nouvel employeur), l’aspect moral peut paraître tout aussi dissuasif, dans la mesure où revenir au service de son ancien employeur, à l’origine de son licenciement, ferait légitimement craindre à l’intéressé de subir une relation de travail détériorée.

Pourtant, bien souvent, la réintégration apparaît être une solution financière tout à fait intéressante pour le salarié, lequel peut alors « instrumentaliser » cette sanction au profit uniquement de son intérêt pécuniaire.

Cela est d’autant plus vrai lorsque le salarié entend démissionner de son emploi dans lequel il vient d’être réintégré, dès lors qu’il aura perçu les indemnités afférentes à cette réintégration. 

En outre, l’indemnisation consécutive à l’annulation d’un licenciement diffère selon que le salarié sollicite sa réintégration ou non.

En effet, dans l’hypothèse d’une réintégration dans son emploi, le salarié aura potentiellement droit au versement d’une indemnisation couvrant l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et son retour effectif dans l’entreprise (Cass, Soc. 25 janvier 2006, n°03-47.517).

Cette indemnisation, laquelle peut paraître excessive pour l’employeur, et même injuste au regard de l’absence de prestation de travail fournie par le salarié durant sa période d’éviction, est en réalité une stricte application de la théorie des nullités qui prévoit, on l’a vu, une remise en état des parties comme si le licenciement n’avait jamais existé.

A contrario, lorsque le salarié ne sollicite pas sa réintégration, le Code du travail vient poser comme principe le versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (Articles L.1235-3-1 et L.1235-11 du Code du travail).

Ne bénéficiant que d’un plancher d’indemnisation, le juge qui constaterait le refus du salarié de se voir réintégré pourrait alors s’abstenir de lui accorder une indemnité conséquente.

Néanmoins, et contrairement au salarié réintégré, le salarié ne sollicitant pas sa réintégration se verra également verser une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, s’il ne les a pas déjà perçues au moment de la rupture de son contrat de travail (Cass, Soc. 9 octobre 2001, n°99-44.453 ; Cass, Soc. 2 juin 2004, n°02-41.045).

L’intérêt financier de solliciter la réintégration, ou non, va alors dépendre d’un certain nombre de facteurs, d’autant plus que la Cour de Cassation juge de manière pragmatique que doit être déduit de l’indemnisation du salarié réintégré, le montant des allocations chômage et des revenus perçus de la part d’un autre employeur durant sa période d’éviction (Cass, Soc. 12 février 2008, n°07-40.413).

Ce faisant, la réintégration n’aura un intérêt financier que dans les hypothèses suivantes :

  • Annulation du licenciement et réintégration intervenue tardivement depuis le départ des effectifs de l’entreprise ;
  • Longue période de chômage ;
  • Salaires perçus durant la période d’éviction se situant à un niveau bien inférieur à l’ancienne rémunération.

Le cas échéant, l’absence de réintégration pourra, dans un certain nombre de cas, devenir plus intéressante d’un point de vue financier, d’autant plus lorsque le salarié bénéficiait d’une importante rémunération et d’une forte ancienneté ayant pour effet d’augmenter de manière significative le montant des indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis et indemnité de licenciement).

Le choix de la réintégration doit donc être opéré en analysant de manière minutieuse la situation particulière du salarié.

Enfin, notons que la Cour de Cassation a très récemment voulu mettre un terme aux demandes de réintégration abusives, en limitant l’indemnisation du salarié lorsque celle-ci était sollicitée à la dernière minute, notamment dans une optique financière exclusive et évidente.

Ainsi, par un arrêt du 13 janvier 2021, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a jugé que dans cette hypothèse, le salarié n’avait droit qu’au paiement des rémunérations correspondant à la période se situant entre la demande de réintégration et sa reprise de poste effective (Cass, Soc. 13 janvier 2021, n°19-14.050).

Compte tenu de cette position jurisprudentielle, les salariés devront désormais, s’ils souhaitent bénéficier d’une indemnisation à la hauteur de la totalité de leur période d’éviction, solliciter leur réintégration dès le début de la procédure.

Il convient néanmoins de garder à l’esprit que la réintégration n’est pas un principe absolu, car celle-ci peut tout à fait, dans certaines hypothèses, s’avérer impossible – ou tout simplement être refusée par les juges.

II- La réintégration du salarié, un principe qui n’est pas absolu

Il serait inopportun d’envisager la question de la réintégration comme une prérogative universelle du salarié ayant bénéficié d’une décision d’annulation de son licenciement.

En effet, il existe des situations dans lesquelles, par le fait des choses, la réintégration est devenue objectivement impossible, voire impensable.

Cette hypothèse est d’ailleurs envisagée directement par le Code du travail, dans ses articles L.1235-3-1 et L.1235-11.

Ce principe de limitation de la réintégration a surtout été érigé par le législateur pour faire face aux réalités économiques qui veulent que certaines entreprises puissent tout simplement avoir déposé le bilan, et se trouver en cessation d’activité après liquidation, entre le moment du licenciement du salarié, et l’annulation de celui-ci (Cass, Soc. 20 juin 2006, n°05-44.256).

Mais au-delà de ce cas particulier, la jurisprudence a ouvert progressivement de nouvelles limites à ce principe de réintégration du salarié, dont certaines sont fondées sur un aspect beaucoup plus moral que juridique.

Ainsi, la Cour de Cassation a dû trancher certains litiges dans lesquels, de manière parfaitement paradoxale, des salariés sollicitaient à la fois la résiliation judiciaire de leur contrat de travail, en raison des manquements de leur employeur, et leur réintégration dans l’entreprise.

Rappelons à ce titre que toute résiliation judiciaire d’un contrat de travail d’un salarié protégé, ou d’un salarié ayant été victime de harcèlement, discriminations, ou d’une violation de ses libertés fondamentales, produit les effets d’un licenciement nul.

Néanmoins, dans cette hypothèse, la Cour de Cassation considère de manière constante que la réintégration est tout simplement impossible (Cass, Soc. 27 janvier 2021, n°19-21.200).

Sur ce point, il devient alors difficile de justifier ces décisions autrement que par un postulat moral voulant qu’on ne puisse à la fois solliciter la rupture du lien contractuel, et son maintien.

C’est d’ailleurs la même logique qui anime la jurisprudence eu égard à la prise d’acte : là encore, le salarié ne peut, à la fois, de sa propre initiative, d’une part rompre le contrat de travail, et, d’autre part, demander de pouvoir être réintégré à son poste (Cass, Soc. 30 juin 2010, n°09-41.456).

Il existe également d’autres situations dans lesquelles la jurisprudence a entendu priver le salarié de son droit à la réintégration.

Tel est par exemple le cas lorsqu’un salarié aura, depuis son licenciement, liquidé ses droits à la retraite (Cass, Soc. 14 novembre 2018, n°14-14.932).

Là encore, la Cour de Cassation a entrepris de construire une solution cohérente avec la réalité objective de la situation du salarié, lequel, étant pris en charge par le régime d’assurance vieillesse, ne peut, en pratique, bénéficier de celle-ci sans avoir totalement rompu son lien avec son employeur.

Fort de ce mouvement jurisprudentiel de limitation des causes de réintégration du salarié, certains se sont engouffrés dans la brèche et ont tenté de soulever, de manière relativement ingénieuse, l’hypothèse d’une impossibilité de réintégrer un salarié occupant un nouvel emploi.

Néanmoins, et alors même que l’existence d’un autre lien contractuel devrait logiquement empêcher le salarié de revenir chez son ancien employeur, la Cour de Cassation a très récemment jugé que cette situation ne faisait nullement obstacle à la réintégration (Cass, Soc. 10 février 2021, n°19-20.397).

Cette solution jurisprudentielle, bien que critiquable sur le principe, n’en reste pas moins une véritable bouée de sauvetage pour une réintégration qui demeure de moins en moins attrayante pour les salariés, d’un point de vue financier.

Ainsi, fermer la porte à toute possibilité de réintégration à des salariés ayant refait leur vie professionnelle, reviendrait à réduire considérablement les demandes relatives à celle-ci du fait de l’écoulement du temps entre le licenciement et la décision judiciaire faisant droit à ladite réintégration.

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Il n’en demeure pas moins que la réintégration reprend tout son sens lorsque celle-ci intervient dans un laps de temps réduit depuis le licenciement.

Tel est le cas, lorsqu’elle est demandée en référé, en raison de l’existence d’un trouble manifestement illicite (licenciement d’un salarié sans autorisation administrative ou en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral par exemple) (Cass, Soc. 25 novembre 2015, n°14-17-551).

La réintégration devient alors pour l’employeur une sanction dissuasive en ce qu’elle oblige celui-ci, au-delà de l’aspect financier relatif au paiement des salaires depuis l’éviction, à reprendre le salarié dans une équipe qu’il venait à peine de quitter, ce qui constitue pour ce dernier une sorte de victoire morale.

L’entreprise se doit alors de faire preuve d’une vigilance accrue quant aux différentes causes amenant à la nullité d’un licenciement, notamment lorsque cette cause de nullité est manifestement avérée ou qu’elle est non sérieusement contestable.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kévin CHARRIER, Avocat en droit social

Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique. A cet égard, le droit […]

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Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique.

Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique.

A cet égard, le droit des procédures collectives est essentiellement un droit protecteur de l’entreprise qui traverse des difficultés financières.

Il n’en a pas toujours été ainsi, bien au contraire : pendant de nombreux siècles, ce qu’on nommait généralement droit des faillites avait un objectif essentiellement répressif. Il visait à sanctionner les commerçants incapables de faire face à leurs engagements, parfois même par la peine de mort.

Le terme de banqueroute, principale infraction relative aux procédures collectives, tire d’ailleurs son origine des termes italiens banca rotta, littéralement « banc cassé », renvoyant à la pratique selon laquelle était publiquement brisée la table (ou le banc), sur laquelle le commerçant insolvable exerçait son activité, en signe de déchéance financière, et surtout morale. La déconfiture était le plus souvent associée à la malhonnêteté.

Au gré des époques, les impératifs économiques et une vision plus réaliste de la vie des affaires, ont fini par prendre le pas sur les impératifs répressifs : l’infraction de banqueroute s’est peu à peu correctionnalisée[1], et il a été admis l’idée qu’un commerçant insolvable avait pu être de bonne foi, tout en étant irrémédiablement frappé dans son entreprise par quelques vicissitudes malheureuses. En deux mots : toute entreprise comporte des risques, dont certains échappent au pouvoir de celui qui les prend. N’est pas nécessairement coupable ou escroc celui qui échoue.

Cela dit, parmi les près de 50 000 liquidations annuelles[2], il est indispensable de sanctionner les auteurs d’abus.

Il est tentant pour le chef d’entreprise, en effet, pour tenter de sauver son affaire en déroute, de se livrer à des manœuvres frauduleuses destinées à redresser la situation ou à retarder le moment où l’entreprise va s’effondrer. Le plus souvent, de tels agissements auront pour conséquence d’aggraver la situation et de provoquer des faillites en chaîne, tout en sacrifiant définitivement les intérêts des créanciers.

C’est ici que la loi pénale intervient et, pour éviter de tels résultats non seulement injustes mais potentiellement désastreux, a prévu aux côtés du délit principal de banqueroute, qui sera à présent plus détaillé, plusieurs autres infractions complémentaires.

Dans son acception classique, la banqueroute correspond au fait, pour un commerçant, de conduire intentionnellement l’affaire qu’il dirige à la faillite (II), selon des procédés prohibés (I). Diverses sanctions sont prévues (III).

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Deux précisions préalables sont ici nécessaires.

D’une part, si le délit de banqueroute concernait d’abord les commerçants, il a été étendu à toutes les personnes exerçant une activité économique pour leur compte[3] : agriculteurs, artisans, dirigeants, indépendants, dont les professions libérales, à l’exclusion, donc, des salariés et des personnes de droit public.

Leur point commun étant d’être gravement endettées, on les nomme habituellement « débiteurs ».

D’autre part, le délit de banqueroute ne peut être commis que si le débiteur est sous le coup d’une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire[4], donc qu’il se trouve en état de cessation des paiements[5]. Précisons que le juge pénal peut librement fixer une date de cessation des paiements antérieure à celle retenue par la procédure collective en retenant le critère de « la situation irrémédiablement compromise » du débiteur. Le cas est rare en pratique, et le juge pénal attend généralement l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation pour sanctionner la banqueroute.

I. L’élément matériel : les comportements prohibés

L’article L654-2 du code de commerce prévoit limitativement cinq procédés susceptibles de constituer les faits matériels du délit (alinéas 1 à 5 de l’article).

1. Faire des achats en vue de la revente au-dessous des cours ou employer des moyens ruineux pour se procurer des fonds

Il s’agit, par exemple, de sanctionner l’achat de marchandises dans l’intention de les revendre à un prix inférieur à leur cours, ou l’obtention de tout crédit, escompte ou découvert bancaire à un taux usuraire ou moyennant le paiement d’agios disproportionnés, ou l’obtention de trop nombreux crédits.

S’ils ont été commis dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire, ces agissements prolongent artificiellement l’activité de la société en donnant l’illusion qu’elle dispose de liquidités, alors qu’en réalité, ils ne font qu’accroître les dettes et diminuer d’autant le gage des créanciers.

2. Détourner ou dissimuler tout ou partie de son actif

L’acte prohibé se traduit par la dissipation volontaire d’un élément du patrimoine de la société, afin d’empêcher qu’il soit appréhendé au profit des créanciers. Le détournement ou la dissimulation d’actif sont définis de manière extensive et se rapprochent des comportements pouvant constituer des abus de biens sociaux hors procédure de redressement ou liquidation judiciaire.

Il s’agit d’actes juridiques (vente, donation…) ou matériels (consommation, dilapidation…) de disposition des biens sociaux, meubles ou immeubles, par un usage abusif ou un refus de restitution.

Pour être déclaré illicite, l’acte sera apprécié au regard de l’objet social de la société.

Seront sanctionnés par exemple les retraits de trésorerie, le paiement de factures à des fins personnelles ou au profit de sociétés dans lesquelles le dirigeant a des intérêts, le remboursement de compte courant à des membres de la famille du dirigeant, l’octroi d’une rémunération excessive au profit du dirigeant ou des salariés, le versement de dividendes ou l’acte de gestion compromettant la trésorerie de la filiale au seul profit de la société mère. Un abandon de créance peut également être incriminé à ce titre.

3. Augmenter frauduleusement son passif

Hypothèse assez rare, ce comportement vise tout procédé, toute action ou omission, visant à majorer le passif de l’entreprise ou à faire apparaître des créanciers fictifs censés recevoir une part lors de la réalisation de l’actif.

Il s’agira, par exemple, de reconnaissances de dettes fictives.

4. Tenir une comptabilité fictive, faire disparaître des documents comptables ou s’abstenir de toute comptabilité

Ces dispositions incriminent des manquements graves aux règles de la comptabilité, en regroupant trois hypothèses, assez fréquentes, d’absence de comptabilité.

La tenue d’une comptabilité fictive (1er cas) vise les cas où les écritures ne reflètent pas l’activité réelle de l’entreprise, en raison d’irrégularités formelles ou d’irrégularités de fond. Contrairement à l’objectif légal qui lui est assigné, la comptabilité ne donne pas de l’entreprise une image fidèle, mais une image dénaturée. C’est le cas, par exemple, de la pratique de la double comptabilité (une officielle qui demeure cachée et une fictive qui est apparente), ou quand les écritures correspondent à des inscriptions sans fondement réel.

La disparition de documents comptables (2ème cas) s’applique en cas de destruction ou de soustraction de documents comptables, ou, plus simplement, quand le débiteur ne présente pas une pièce de sa comptabilité, sauf s’il prouve sa bonne foi (incendie, vol). Ces comportements ont pour effet d’empêcher le contrôle réel de la situation et de compromettre la bonne réalisation des opérations de liquidation.

L’abstention de toute comptabilité (3ème cas) vise les hypothèses où la comptabilité, quand elle est obligatoire, est totalement inexistante : en cas de défaut d’un des livres obligatoires, par exemple, ou même en cas de retard dans la présentation des documents sociaux.

5. Tenir une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales

Cette dernière incrimination a été créée pour distinguer les cas d’erreurs ou d’oublis manifestes dans la tenue des comptes, des cas d’absence de comptabilité sanctionnés à l’alinéa précédent. La comptabilité sera considérée comme irrégulière en cas de non-respect des prescriptions du code de commerce, et incomplète en cas d’absence d’un des registres obligatoires, ou si tous les mouvements n’ont pas été enregistrés, opération par opération et au jour le jour, dans le livre journal.

Naturellement, toute irrégularité comptable ne sera pas constitutive de ce cas de banqueroute. Sont ici visées les irrégularités graves et flagrantes rendant la comptabilité déficiente sur une longue période. Ou encore les irrégularités répétées ayant permis de masquer une situation gravement compromise (absence d’écritures comptables relatives aux provisions pour pertes ou dépréciation…), ou de dissimuler des prélèvements importants au profit de structures en amont ou des frais injustifiés (absence de justificatifs de frais de déplacement, de cadeaux ou de retraits, factures surchargées).

Ces irrégularités peuvent, alternativement ou cumulativement, être sanctionnées sous d’autres qualifications pénales telles que fraude fiscale pour omission d’écritures comptables[6], présentation de comptes infidèles[7], et même, dans certains cas, escroquerie[8].

II. L’élément intentionnel : la mauvaise foi

Comme pour toute infraction pénale, la sanction d’un comportement ne peut se faire que s’il est rapporté la preuve de l’intention coupable du fautif, c’est-à-dire de la volonté de commettre, en toute connaissance de cause, un acte prohibé par la loi pénale[9], étant bien-sûr rappelé que nul n’est censé ignorer la loi.

Dans le cas de l’infraction de banqueroute, cette conscience d’enfreindre la loi, synonyme de mauvaise foi, est généralement caractérisée par la double connaissance, par le débiteur, de l’état de cessation des paiements de son entreprise, et du fait que l’acte commis cause un préjudice aux tiers ou aux créanciers sociaux[10].

Ce point est important. C’est parce que le débiteur a intentionnellement conduit son entreprise à la faillite, et donc qu’il a volontairement lésé ses créanciers, qu’il pourra être puni par la loi pénale. Par conséquent, une mauvaise gestion de l’entreprise et de mauvais choix ayant conduit à la faillite ne suffisent pas à faire naître l’infraction de banqueroute : encore faut-il prouver l’élément intentionnel.

En pratique, cependant, la preuve de la mauvaise foi découlera le plus souvent, de la simple constatation des moyens matériels mis en œuvre pour accomplir l’un des comportements prohibés ci-dessus. Le débat judiciaire et les moyens de défense à mettre en œuvre sont, à cet égard, cruciaux.

III. Les sanctions

Ce n’est peu dire que, au fil du temps, le législateur a changé d’état d’esprit vis-à-vis des débiteurs insolvables, en penchant désormais du côté de leur protection que de leur répression. Naguère associée aux pires châtiments et à l’opprobre générale, la banqueroute n’entraîne aujourd’hui que peu de peines d’emprisonnement ferme.

Pourtant, quand elle est constituée en ses deux éléments (élément matériel et élément intentionnel), l’infraction de banqueroute fait encourir à son auteur ou ses complices, personnes physiques, une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Les peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si le banqueroutier ou son complice sont dirigeants d’une société de bourse[11].

Un certain nombre de peines complémentaires sont également prévues (interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer telle activité professionnelle ou sociale, commerciale ou industrielle, interdiction de diriger, administrer ou gérer, affichage de la décision…)[12], étant précisé que le juge civil ou commercial en charge de la liquidation peut, en outre, prononcer la sanction de faillite personnelle[13].

Pour les personnes morales, il est prévu une peine maximale de 375 000 euros d’amende, outre des peines complémentaires (dissolution dans certains cas, interdiction d’activités professionnelles, surveillance judiciaire, fermeture définitive ou temporaire, affichage de la décision…).

Ce délit se prescrit par six ans à compter du jour du jugement ouvrant la procédure collective si les faits incriminés sont apparus avant cette date[14]. S’ils ont été commis après le jugement d’ouverture, le délai de prescription court à partir de la date de leur commission, sauf s’il est établi que l’infraction a été dissimulée[15], ce qui aurait pour effet de repousser le point de départ de la prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique[16].

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Un conseil pour conclure. Dans cette matière assez complexe, bien des difficultés économiques ou judiciaires peuvent être évitées ou amoindries par un souci constant d’anticipation, dès l’apparition des turbulences économiques et dans les temps précédant l’ouverture de la procédure collective. L’anticipation et l’accompagnement sont des attitudes indispensables pour tenter d’éviter non seulement la faillite, mais aussi la banqueroute.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat associé en charge du pôle pénal

# Droit pénal des affaires # Droit des procédures collectives


[1] Constitutive d’un crime en 1807 sous Napoléon, l’infraction est devenue un délit en 1958.

[2] Source Ministère de la justice (chiffres 2015 à 2019, solutions de liquidation immédiate, liquidation après conversion de la procédure ou liquidation après résolution du plan : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/references-statistiques-justice-12837/references-statistiques-justice-33702.html )

[3] Article L654-1 du code de commerce

[4] L654-2 du code de commerce

[5] C’est-à-dire qu’il se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, selon l’article L631-1 du code de commerce.

[6] Art. 1743 1° du code général des impôts

[7] Art. L 241-3 (pour les SARL) et L. 242-6 2° (pour les SA) du code de commerce

[8] Art. 313-1 du code pénal, voir Cass. crim., 28 nov. 2007, n°06-88.860

[9] Cette intention est qualifiée de « dol général ».

[10] Pour le premier cas de banqueroute (par achats ou emploi de moyens ruineux), il faut caractériser, outre l’intention de violer la loi pénale (dol général), l’intention spécifique de retarder ou d’éviter l’ouverture de la procédure (dol spécial).

Pour le dernier cas de banqueroute (par comptabilité manifestement irrégulière ou incomplète), il faut caractériser, outre l’intention de violer la loi pénale (dol général), le caractère manifeste de l’irrégularité (dol spécial).

[11] Art. L654-3 et L654-4 du code de commerce

[12] Art. L654-5 du code de commerce

[13] Cette sanction entraîne l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute exploitation agricole ou toute entreprise commerciale, artisanale, ou ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale.

[14] Art. L654-16

[15] Cass. crim. 25 nov. 2020, n° 19-85.091. Précision : cette solution a été apportée plus spécifiquement pour le cas de banqueroute par détournement d’actif (L654-2, 2° du code de commerce), mais il y a peu de raison qu’elle ne soit pas applicable aux autres cas de banqueroute.

[16] Art. 9-1 al. 3 du code de procédure pénale

« La rupture s’est faite, l’amour s’est envolé: bon voyage » (Georges SAND, Monsieur Sylvestre, 1866). Ces mots devraient, à eux seuls, traduire l’esprit des parties à l’issue de la rupture du contrat de travail, et pourtant. Il est tout à fait courant, qu’au moment de l’embauche du salarié, les parties conviennent d’insérer dans le contrat de […]

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« La rupture s’est faite, l’amour s’est envolé: bon voyage » (Georges SAND, Monsieur Sylvestre, 1866).

Ces mots devraient, à eux seuls, traduire l’esprit des parties à l’issue de la rupture du contrat de travail, et pourtant.

Il est tout à fait courant, qu’au moment de l’embauche du salarié, les parties conviennent d’insérer dans le contrat de travail une clause de non-concurrence.

Celle-ci a pour originalité de les obliger l’une envers l’autre dans l’au-delà contractuel, après que le contrat a été effectivement rompu :

  • Le salarié, en s’abstenant de travailler, durant un temps donné, sur un périmètre donné, pour une Société concurrente à son employeur ;
  • L’employeur, en versant au salarié une contrepartie financière compensant l’atteinte portée à sa liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle.

Si depuis deux décennies, et notamment l’arrêt du 10 juillet 2002 (n°00-45.135), la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue progressivement graver dans le marbre les critères cumulatifs permettant de garantir la validité de la clause de non-concurrence (limite dans l’espace et le temps, contrepartie financière, caractère indispensable de la clause eu égard à l’intérêt de l’entreprise),  les employeurs ont été confrontés, depuis quelques années, à de nouvelles difficultés.

Ces nouvelles problématiques découlent en réalité d’un simple constat : si aujourd’hui l’enjeu des praticiens est de rédiger des clauses répondant aux critères de licéité fixés par la jurisprudence, et ce afin de garantir une non-concurrence effective du salarié à l’issue de son contrat de travail, ces derniers s’attachent à pouvoir également libérer le salarié de son obligation et ainsi s’affranchir du paiement de la contrepartie financière.

Rappelons en effet que l’exécution par le salarié de sa clause de non-concurrence est un privilège qui se paye très cher :  entre 25 et 40 % de la rémunération mensuelle du collaborateur.

Autrement dit, il n’est aujourd’hui plus question d’imposer ce type d’obligations à n’importe qui. Le versement de la contrepartie financière doit en valoir la peine et s’adresse désormais à des cadres dirigeants, Directeurs ou salariés détenteurs d’informations sensibles.

Toutefois, ceci n’est nullement chose aisée dans la mesure où la jurisprudence encadre strictement le moment au cours duquel l’employeur doit libérer le salarié de son obligation, complexifiant alors un peu plus le droit de la rupture du contrat de travail (I).

Pourtant, alors même que les différents mouvements jurisprudentiels sont venus protéger le salarié contre les abus découlant de l’application de cette clause attentatoire, par principe, à liberté du travail, la Cour de Cassation a aujourd’hui tendance à considérer la clause de non-concurrence comme un avantage pouvant constituer un déséquilibre au détriment de l’employeur (II).

I. La levée de la clause de non-concurrence, nouvel enjeu de la rupture du contrat de travail

Si les entreprises, par souci de se couvrir dès l’embauche contre les départs impromptus des collaborateurs pour la concurrence, continuent de conclure des clauses de non-concurrence, elles doivent néanmoins se poser désormais la question de leur levée, et ce bien avant le départ effectif du salarié de l’entreprise.

En effet, sur le terrain de la prévisibilité, la jurisprudence est venue consacrer le principe d’une levée antérieure au départ du salarié de l’entreprise, sous peine pour l’employeur de devoir payer à celui-ci l’intégralité de la contrepartie financière prévue au contrat (Cass, Soc. 21 janvier 2015, n°13-24.471).

En cas de licenciement, la jurisprudence vient distinguer la situation dans laquelle le salarié est tenu d’exécuter son préavis, de celle dans laquelle il en est expressément dispensé.

Dès lors que le salarié a fait l’objet d’une dispense de préavis, il est constant que la levée doit alors être concomitante avec la rupture, donc se faire au stade de l’envoi de la lettre de licenciement, afin de s’assurer que celui-ci sera bien libéré de son obligation avant son départ effectif de l’entreprise (Cass, Soc. 21 janvier 2015, n°13-24.471).

Dans l’hypothèse de l’exécution d’un préavis, la notification de la levée pourra en revanche se faire au cours de ce préavis, et en tout état de cause avant la sortie du salarié des effectifs (Cass, Soc. 21 mars 2018, n°16-21.021).

Il découle de ce mouvement jurisprudentiel que l’employeur désirant ne pas faire appliquer cette clause de non-concurrence doit impérativement s’organiser pour que son salarié soit libéré de celle-ci à la seconde où il franchit pour dernière fois les portes de l’entreprise.

Sur ce constat, la question technique sera plus facilement abordable, et transposable aux autres modes de rupture (rupture conventionnelle et démission).

Plusieurs questions demeurent toutefois en suspens.

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Il convient tout d’abord de s’interroger sur la compatibilité de ces décisions avec les clauses contractuelles ou conventionnelles venant encadrer précisément le délai de levée de la clause (qui bien souvent peut intervenir à l’issue de la rupture du contrat et du départ du salarié des effectifs).

Sur ce point, et dans son habitude, la Cour de Cassation est venue nuancer sa position, laissant à ces aménagements contractuels ou conventionnels une place prioritaire (Cass, Soc. 30 mars 2011, n°09-41.583).

Il faudra toutefois veiller à ce que ces aménagements ne traduisent pas, eux même, une imprévisibilité.

Telle est le cas par exemple des clauses contractuelles ou conventionnelles autorisant l’employeur à renoncer à la clause à tout moment à l’issue de la rupture du contrat de travail.

Une telle formulation revêt alors un caractère léonin qui équivaut, pour la jurisprudence, à une absence d’aménagement. Dès lors de telles clauses sont tout simplement réputées non écrites et inopposables au salarié (Cass, Soc. 13 juillet 2010, n°09-41.626).

Ce faisant, l’employeur confronté à une formulation aussi bancale se devra de prévoir, une fois n’est pas coutume, une levée antérieure au départ du salarié de l’entreprise.

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Au-delà de la temporalité, c’est d’ailleurs bien souvent sur la question même de la rédaction de la clause que certains employeurs se voient également prendre au piège.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale s’est entreprise à subordonner la levée de la clause de non-concurrence au respect du formalisme touchant à l’acte même permettant de notifier cette levée, tel que prévu dans le contrat de travail.

En l’espèce, un contrat de travail prévoyait que la clause de non-concurrence devait être levée par l’employeur par l’envoi au salarié d’un courrier recommandé.

Un employeur avait, en dépit de cette formulation, décidé de lever oralement la clause et de confirmer à son salarié cette levée, par l’envoi d’un courriel.

La Cour de Cassation ne s’y est pas trompée, en appliquant strictement la clause à la lettre et en décidant, malgré une levée antérieure au départ du salarié, que ladite clause de non-concurrence produisait toujours ses effets à l’issue de la rupture du contrat de travail, faute d’une levée régulière (Cass, Soc. 21 octobre 2020, n°19-18.399).

II. La réciprocité et l’équilibre contractuel, enjeux de la libération de l’employeur de ses obligations

Profitant de la méconnaissance des règles par certains employeurs, des salariés n’hésitent pas à revenir vers eux, parfois plusieurs mois après la rupture du contrat de travail, pour solliciter le paiement de la contrepartie financière d’une clause s’avérant être toujours en vigueur.

Bien que les développements précédents nous invitent à imaginer une situation défavorable pour l’employeur, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de tempéraments bienvenus existent.

Tout d’abord, l’engagement étant synallagmatique (c’est à dire impliquant une réciprocité des obligations), nulle contrepartie financière ne saurait être versée à un salarié qui serait aller travailler pour la concurrence (Cass, Soc. 27 mars 2008, n°07-40.195) : ce rappel logique au regard des fondements du droit des obligations rejoint une certaine forme d’éthique, et évite ce qui constituerait une double peine pour l’employeur.

C’est d’ailleurs sur le fondement de la réciprocité et même de l’équilibre contractuel que la jurisprudence entend désormais se fonder pour apprécier la validité de la clause de non-concurrence, même lorsque cela contrevient à l’intérêt du salarié.

Ainsi, dans un arrêt très récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est ainsi venue opérer un contrôle de validité de la clause de non-concurrence, mais en se plaçant de l’autre côté du miroir (Cass, Soc. 4 novembre 2020, n°19-12.279).

En l’espèce, une clause de non-concurrence avait été conclue entre un salarié et son employeur, en fixant des conditions – pour le moins surprenantes :

1- La clause ne pouvait, en aucun cas, faire l’objet d’une levée : ce qui inéluctablement engageait les parties à être liées, quel que soit l’issue de la relation contractuelle.

2- Le paiement de la contrepartie financière devait être effectué en une seule fois, à l’issue de cette rupture : de sorte que l’employeur ne disposait plus du moyen d’agir sur la contrepartie financière , dans l’hypothèse d’une inexécution de l’engagement par le salarié.

3- Le montant de la contrepartie financière était disproportionné par rapport au périmètre d’application de l’obligation de non-concurrence (deux départements), et à l’étendue des interdictions.

Sur la base de ces constats, la Cour d’Appel de DOUAI a jugé que cette clause était dépourvue de toute cause licite, en raison de la disproportion manifeste des obligations incombant à chaque partie : la Cour de Cassation a confirmé.

Si les conditions de signature de la clause (salarié haut placé à même de pouvoir négocier son contenu, et difficultés économiques subies par la Société) ont très certainement pesé dans la balance, il est clair que les juges se sont surtout attachés à l’épineuse question de l’équilibre contractuel, en adoptant une position protectrice de l’employeur.

A cet égard, une fois n’est pas coutume, cette jurisprudence semble nous inviter à nous rattacher au mouvement anti « golden parachute » qui, depuis une vingtaine d’année, s’est astreint à baisser le montant des indemnités contractuelles de licenciement disproportionnées (voir en ce sens Cass, Soc. 18 juillet 2000, n°98-41.033) : mais alors que la Cour de Cassation s’était placée sur le terrain de l’atteinte à la liberté d’entreprendre (une telle clause empêchant de facto l’employeur de licencier le salarié, eu égard à son coût), elle préfère, s’agissant de la clause de non-concurrence, revenir à la théorie classique du droit des obligations relative à l’équilibre des engagements.

Cela revient finalement à dire que si la clause de non-concurrence est conditionnée par le versement d’une contrepartie financière, encore faut-il que celle-ci soit raisonnable.

En conclusion, afin d’éviter les désagréments inhérents à la levée de la clause de non-concurrence, les employeurs pourraient être avisés, dès la signature du contrat de travail, de vérifier scrupuleusement sa rédaction, puis d’apprécier d’ores et déjà le coût d’un tel engagement au regard de ses avantages : reste qu’en réalité, dans bien des cas, l’intérêt principal de la clause de non-concurrence est de dissuader le salarié de projeter de partir à la concurrence, avant même que la tentation ou la sollicitation n’ait concrètement surgi.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kevin CHARRIER, Avocat en droit social

Le cadre actuel dans lequel s’inscrit l’instruction à domicile est celui de la déclaration qui présente l’avantage d’être souple tout en permettant des contrôles a posteriori. Chaque famille doit faire l’objet d’une déclaration au maire et au rectorat et est soumis, dès la première année, et tous les deux ans, à une enquête municipale permettant […]

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Le cadre actuel dans lequel s’inscrit l’instruction à domicile est celui de la déclaration qui présente l’avantage d’être souple tout en permettant des contrôles a posteriori.

Chaque famille doit faire l’objet d’une déclaration au maire et au rectorat et est soumis, dès la première année, et tous les deux ans, à une enquête municipale permettant de vérifier si l’instruction est compatible avec son état de santé et les conditions de vie familiale.

La loi exige désormais des inspections annuelles pour vérifier l’acquisition du socle commun de connaissance qui inclut « la maîtrise de la langue française », ainsi qu’une « culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ». Les connaissances acquises doivent correspondre à celles attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement.

Si le premier contrôle n’est pas concluant, un second contrôle est effectué, pouvant aboutir à une injonction de scolarisation dans un délai de 15 jours.

Ce régime est de surcroît un régime qui en permettant aux parents de choisir librement ce mode d’instruction est conforme au principe fondamental de liberté d’enseignement.

Ainsi que l’indiquait le Conseil d’Etat dans un arrêt du Conseil d’Etat du 19 juillet 2017, n°406150, « Le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique […] le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille ».

En pratique, le régime de l’autorisation, outre qu’il violerait la liberté d’enseignement se révèlerait source d’une grande rigidité et d’une grande insécurité juridique pour les familles.

Tout d’abord, chaque année, pour chaque enfant, les familles seraient contraintes de déposer un dossier de demande d’autorisation en s’efforçant de rentrer « dans les cases » qui seraient prévues, à savoir, compte-tenu des modifications récemment apportées par la commission spéciale de l’assemblée nationale :

  • L’état de santé d’un enfant ou son handicap : un dossier médical serait, à ce titre, nécessaire, accompagné très certainement, d’un avis de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) après une prise de rendez-vous et l’attente, pendant plusieurs mois, d’une ou plusieurs attestations de spécialistes. Les parents des enfants concernés s’inquiètent déjà des rigidités et des incertitudes générées : la dérogation serait-elle limitée aux seuls cas dans lesquels la scolarisation serait rendue impossibleou pourrait-elle s’appliquer dès que la scolarisation est plus compliquée ?
  • La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives : des attestations devraient être fournies, avec le risque d’une appréciation aléatoire de l’adjectif « intensif » ou d’une pénalisation des enfants qui ne font que débuter une activité sportive ou artistique dans le but d’atteindre, potentiellement, un haut niveau.
  • L’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire : à nouveau, des incertitudes seront à craindre en fonction de la notion d’éloignement ou de la plus ou moins grande période d’itinérance géographique par rapport à l’année scolaire ;
  • L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille. Il faudrait, pour cette dérogation justifier d’une situation propre à l’enfant (en se demandant si elle peut bien être recevable). Ce premier critère dit improprement, de large portée serait inaccessible pour une grande partie des parents puisque détecter une « particularité » chez un enfant en difficulté dans le cadre scolaire peut prendre plusieurs années et nécessiter un budget important.  Il faudrait encore rédiger une présentation écrite du projet éducatif (en se demandant s’il sera jugé conforme aux attentes de l’éducation nationale qui devient, par la même, inspecteur des choix éducatif des parents). Il faudrait enfin justifier de la capacité à assurer l’instruction en famille (en fonction de critères qui seront précisés et qui seront nécessairement discriminants).

Il est précisé dans l’actuel projet de loi que ne pourront pas être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant ce qui conduira, en vertu d’une conception étroite de cette notion, à soumettre à un risque de censure des demandes laissant apparaître une conviction ou un choix particulier des parents (vision éducative et pédagogique par exemple) ou bien une motivation sous-jacente liée au contexte et aux contraintes familiales.  

Après les mois nécessaires à la constitution du dossier et le dépôt de l’autorisation, suivrait une phase nécessairement inconfortable, voire angoissante d’attente d’une réponse favorable ou défavorable de l’académie.

Cette période sera d’autant plus inconfortable que, dans le même laps de temps, les parents se retrouveraient placés face à un risque croissant de ne plus trouver de places dans les établissements scolaires susceptible d’accueillir le ou leurs enfants en cas de refus.

A l’issue du délai de deux mois, surgirait soit un silence valant acceptation, soit une décision expresse favorable ou défavorable de l’académie.

Du fait de ces délais, toute décision des parents de mettre un enfant en instruction en famille en cours d’année du fait, par exemple, d’un cas de harcèlement ou de phobie scolaire serait rendue impossible.

Dans le cas d’une décision défavorable, même parfaitement arbitraire et discriminatoire, les parents n’auraient pas d’autre choix que de se préparer à rescolariser leurs enfants pour l’année concernée.

En effet, sauf si la loi en dispose autrement, le recours gracieux puis contentieux devant le juge administratif est toujours non suspensif.

S’ils souhaitent contester, ces parents seraient contraints de déposer un recours pour excès de pouvoir devant le juge du fond contre la décision de refus et un référé suspension devant le juge des référés pour espérer, (si la condition d’urgence est considérée comme remplie), que cette décision de refus soit suspendue.

Mais, même dans le cas d’un succès du référé suspension, ces parents ne seront pas au bout de leurs peines : le juge des référés enjoindra à l’administration de réexaminer leur demande ce qui fera courir un nouveau délai alors même que, pendant ce temps, l’année scolaire continuera de s’achever… et l’ordonnance du juge des référés n’aura qu’un effet provisoire tant que le juge du fond n’a pas statué.

Il faudra attendre au moins deux ans avant que le juge administratif ne décide ou non d’annuler la décision de refus. Pendant ce temps, l’administration aura tout à fait la possibilité, lors des année scolaires suivantes, d’opposer de nouveaux refus qu’il faudra à nouveau attaquer, avec les honoraires d’avocat nécessaires.

C’est sans compter, bien entendu, sur la possibilité d’un appel formé par l’Etat, voire d’un pourvoi en Cassation devant le Conseil d’Etat.

Même, dans le cas d’une décision favorable, surtout si elle est implicite, les familles demeureront toujours confrontées à une insécurité juridique particulièrement lourde.

En effet, l’article L.242-1 du code des relations entre le public et l’administration permet à l’administration de retirer dans un délai de 4 mois une décision créatrice de droit qu’elle considère comme illégale.

Ainsi, si l’académie, débordée par le nombre des dossiers à traiter, a laissé passer le délai de 2 mois en laissant surgir une décision implicite d’acceptation, elle pourra tout à fait revenir sur cette décision implicite d’acceptation en jugeant qu’elle n’était pas légale, puis en procédant à son retrait.

L’administration pourrait également profiter d’une enquête sociale de la Mairie ou d’une inspection pour retirer une autorisation délivrée depuis moins de 4 mois.

Enfin, même après l’écoulement de ce nouveau délai de 4 mois, un risque de disparition de l’autorisation subsistera :

  • Dans le cas où, par exemple, à l’occasion d’une inspection, l’académie estimerait que la condition qui avait permis la délivrance de l’autorisation n’est plus remplie, parce que la situation a évolué en cours d’année, l’Etat aurait la possibilité, en application de l’article L.242-2 du code des relations entre le public et l’administration, d’abroger, à tout moment, l’autorisation délivrée.
  • A l’occasion d’une inspection, l’Etat pourrait tout à fait considérer qu’elle a été induite en erreur à l’occasion du dépôt de la demande d’autorisation par exemple à propos de la fameuse situation propre à l’enfant ou du projet éducatif ou de la capacité à assurer l’instruction en famille. Dans ce cas, conformément à l’article L.241-2 du code de relations entre le public et l’administration, une fraude pourrait être alléguée et l’autorisation pourrait être retirée à tout moment. Le projet de loi ajoute même que les personnes responsables de l’enfant recevraient alors une injonction de scolarisation dans un délai de 15 jours.

En résumé, le régime d’autorisation, outre qu’il hypothèque toute possibilité de choisir l’instruction en famille par simple choix et ou par simple conviction fait peser sur les familles et les enfants qui y auraient recours une perpétuelle épée de Damoclès.

L’état de santé d’un enfant, voir même son handicap, l’éloignement géographique, la situation propre à l’enfant, le projet éducatif, la capacité des parents telle qu’elle est entendue sont des critères éminemment subjectifs et susceptibles de varier à tout moment en cours d’année scolaire.

Dans ce contexte, toute enquête sociale ou toute inspection risquerait de remettre en cause les conditions initiales ayant donné lieu à la délivrance de l’autorisation.

Dans ce contexte, les inspections seraient vécues de manière particulièrement angoissante pour les familles.

Enfin, les parents seraient tenus d’être prêts, à tout moment, à rescolariser leurs enfants, le délai très court les privant de toute possibilité d’anticipation.

Le choix de l’instruction en famille est souvent un choix inscrit dans la durée. Le régime annuel d’autorisation remet radicalement en cause ce choix et fragilise les familles et notamment les enfants, en les exposant à des démarches lourdes de justification ou à des rescolarisations en cours d’année qui peuvent se révéler déstabilisantes pour les enfants.

C’est sans compter sur le caractère nécessairement traumatisant de décisions vécues comme arbitraires et de contentieux devant le juge administratif.

Au lieu de permettre une collaboration sereine, les relations entre les familles et l’éducation nationale se trouveraient plombées par un climat de défiance préjudiciable à tous et notamment aux enfants qui seraient les premiers à souffrir d’une telle intrusion dans leur vie privée.

Lors de son audition au Sénat du 18 juin 2020, dans une séance portant précisément sur la lutte contre la  »radicalisation », le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer avait répondu au sénateur Jean-Marie Bockel qui lui demandait s’il fallait « aller jusqu’au bout, interdire ou conditionner davantage l’enseignement à domicile ? » : « La liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant, qui doit cependant s’équilibrer avec d’autres principes […]. Je pense qu’il faut appliquer les règles que nous avons établies dans la loi de 2019. La mise en œuvre débute ; nous sommes en phase ascendante, mais l’objectif de 100% de contrôles réalisés n’est pas atteint . Il y a donc encore des progrès concrets à faire. Cependant, sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre »

Quelques mois à peine après cette déclaration, l’annonce d’un régime de l’autorisation contraire à la liberté d’enseignement, impraticable et proprement inhumain rompt cet équilibre.

Pour ce motif, l’article 21 de l’actuel projet de loi doit être rejeté par les parlementaires si ceux-ci veulent continuer à se présenter comme les gardiens de nos libertés.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Hubert VEAUVY, Avocat en droit public

Dans le cadre du développement du pôle droit fiscal du cabinet, un poste d'avocat junior est à pourvoir au plus tôt.

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Un poste d’avocat junior fiscalité et droit des sociétés est à pourvoir

Sous la responsabilité de l’avocat en charge du pôle, vous exercerez une activité de conseil et de contentieux en droit fiscal à destination des entreprises et des particuliers.

A ce titre, vous serez amené, notamment, à participer aux rendez-vous client, à rédiger des consultations fiscales, à participer à l’assistance des clients dans le cadre de contentieux fiscaux, etc…

Les problématiques de droit fiscal et leurs possibles résolutions étant impactées par l’environnement en droit des sociétés, ces implications croisées nécessitent de solides connaissances et une grande agilité dans les deux disciplines.

Profil du candidat

  • Vous êtes titulaire du CAPA et d’un 3ème cycle en droit fiscal ou DJCE;
  • Votre parcours universitaire et votre expérience vous permettent d’évoluer, avec aisance, en droit des sociétés et en droit fiscal;
  • Vous êtes rigoureux, dynamique et curieux.

Si vous êtes intéressé par cette offre, un CV et une lettre de motivation sont à adresser à l’adresse email suivante : rineau@rineauassocies.com.

Une attention particulière sera apportée aux candidatures justifiant d’un parcours universitaire et professionnel convaincant.

De préférence dans le cadre d’un contrat de collaboration libérale, il sera proposé une rémunération fixe cohérente avec le parcours et l’expérience du candidat, avec en outre une prime annuelle attractive.

La constitution d’une société de capitaux doit être effectuée dans le respect de nombreuses règles légales. La violation de certaines d’entre elles peut constituer une infraction, et engager la responsabilité pénale de son auteur. La réforme opérée par l’ordonnance du 21 octobre 2019 a abrogé un certain nombre d’infractions spécifiques à la constitution des sociétés, et en a laissé subsister d’autres tout en opérant certaines modifications.

constituer une société de capitaux

Préambule : sur le capital social

Lors de la création d’une société, les premiers associés mettent en commun des biens ou valeurs en numéraire, en nature, ou en industrie, ce qui constitue les apports. Le capital social correspond au montant total de ces apports, exception faite des apports en industrie, difficilement quantifiables à ce stade. Il remplit une double fonction. Tout d’abord, le capital social est une garantie pour les créanciers sociaux : ne pouvant agir directement à l’encontre des associés pour recouvrer leurs créances à l’égard de la société, ces créanciers peuvent, en principe, compter sur le capital social pour être désintéressés. Le capital social constitue donc l’assiette du droit de gage général qu’ils détiennent à l’encontre de la société(3).

En outre, le capital social joue un rôle politique permettant d’attribuer à chaque associés la part de pouvoir qui lui revient, en proportion du montant de son apport : plus celui-ci est élevé, plus l’associé détient de pouvoir décisionnel au sein de la société (pouvoir politique), et plus il obtient de contreparties financières, par exemple au moment de la répartition des dividendes (pouvoir patrimonial).

Si les fonctions remplies par le capital social sont donc essentielles, le législateur n’a cependant pas choisi de contrôler, a priori, la régularité de la constitution d’une société, et notamment de son capital social.

Les éventuelles fraudes seront ainsi détectées et sanctionnées a posteriori, notamment par le tribunal correctionnel dans le cas des infractions suivantes.

Panorama des comportements prohibés

Omission de déclaration de la répartition des parts sociales dans les statuts d’une SARL

Dans les statuts d’une société à responsabilité limitée, les associés fondateurs ont l’obligation de déclarer la répartition des parts sociales entre eux, la libération des parts et le dépôt des fonds.

Pour rappel, dans une SARL, les parts sociales doivent être souscrites en totalité par les associés, et doivent être intégralement libérées lorsqu’elles représentent des apports en nature, ou libérées d’au moins un cinquième de leur montant pour les apports en numéraire, le reste devant être libéré dans un délai qui ne peut excéder cinq ans à compter de l’immatriculation au RCS(4).

Selon l’article L. 241-1 du code de commerce :

« Est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 9 000 euros le fait, pour les associés d’une société à responsabilité limitée, d’omettre, dans l’acte de société, la déclaration concernant la répartition des parts sociales entre tous les associés, la libération des parts ou le dépôt des fonds. Les dispositions du présent article sont applicables en cas d’augmentation du capital. »

Cette infraction vise donc le fait, pour les associés, de ne pas déclarer dans les statuts l’une des trois informations visées : répartition, libération et dépôt obligatoire des fonds.

S’il s’agit d’une infraction théoriquement intentionnelle, l’élément moral découlera, en pratique, de la simple constatation d’une telle omission dès lors qu’elle aura été commise par un associé – éventuellement avec la complicité du notaire – qui ne pouvait, en cette qualité, ignorer ses obligations de déclaration.

Emission illicite d’actions

Selon l’article L. 242-1 du code de commerce, tel qu’issu de la loi du 21 octobre 2019 :

« Est puni de 150 000 € d’amende le fait, pour les fondateurs, le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’émettre ou négocier des actions ou des coupures d’actions sans que les actions de numéraire aient été libérées à la souscription de la moitié au moins ou sans que les actions d’apport aient été intégralement libérées avant l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés.

La peine prévue au présent article peut être portée au double lorsque les actions ou coupures d’actions ont fait l’objet d’une offre au public, à l’exception des offres mentionnées au 1° ou au 2° de l’article L. 411-2 du code monétaire et financier ou à l’article L. 411-2-1 du même code. »

Par cette infraction non intentionnelle, le législateur a voulu sanctionner une simple faute de négligence ou d’omission, commise par les fondateurs et dirigeants d’une société(5), y compris les gérants de fait, dès lors qu’ils décideraient d’émettre des titres, en les envoyant ou en les remettant aux actionnaires, ou en les diffusant dans le public, alors que les actions de numéraires n’auraient pas été libérées à la souscription de la moitié, au moins, ou que les actions d’apport n’auraient pas été intégralement libérées avant l’immatriculation de la société au RCS.

Pour rappel, la libération du capital correspond au versement des fonds, avec la liste des souscripteurs, à la Caisse des dépôts, chez un notaire, dans une banque, auprès d’une entreprise d’investissement habilitée, ou même directement entre les mains du souscripteur.

L’action civile est ouverte aux souscripteurs victimes, mais également aux créanciers, ainsi qu’aux organes de la procédure collective, ou au syndic.

Négociation irrégulière d’actions

A compter de l’immatriculation, les actions sont, pour des raisons évidentes, des titres qui doivent être aisément négociables, c’est-à-dire cessibles et transmissibles (par virement de compte à compte(6)). Pour que cela soit possible, la loi réprime un certain nombre de comportements afin de protéger les éventuels acquéreurs.

Ainsi, l’article L242-3 du code de commerce punit :

« de 150 000 € d’amende le fait, pour les titulaires ou porteurs d’actions, de négocier des actions de numéraire pour lesquelles le versement de la moitié n’a pas été effectué. »

Le législateur considère donc que ne sont pas négociables, et donc ne peuvent faire l’objet d’une cession de titres, les actions en numéraire dont le versement de la moitié n’aurait pas été fait. Cette incrimination s’explique par le fait que la société doit pouvoir disposer d’un fonds de roulement minimum pour entreprendre ses activités.

Cette infraction étant intentionnelle, la mauvaise foi résultera, pour les fondateurs et dirigeants sociaux, de leurs fonctions, lesquelles ne leur permettaient pas d’ignorer que les titres n’étaient pas négociables. Telle n’est pas la situation du cédant, titulaire ou porteur d’actions, contre lequel l’élément moral sera plus difficile à caractériser.

Majoration frauduleuse des apports en nature

A la constitution de la société, les associés peuvent effectuer des apports en numéraire, en industrie, ou en nature. Selon la règle de la proportionnalité, le montant des apports de chaque associé permettra de déterminer la contrepartie financière ou politique à laquelle il aura droit. Il peut être ainsi tentant de surévaluer le montant de ses apports, afin d’acquérir frauduleusement plus de droits.

Concernant les apports en numéraire, cette surévaluation est, par nature, impossible. Les apports en industrie, eux, ne peuvent pas non plus être surévalués dès lors qu’ils ne donnent pas naissance à des parts sociales ou actions, mais à un intéressement dans la société. En cas de disproportion entre l’industrie fournie par l’associé et la part d’intérêt qui en résulte, des actions civiles sont ouvertes aux associés(7).

Seuls les apports en nature(8) sont susceptibles de faire l’objet d’une évaluation financière, par le recours à un commissaire aux apports, et donc d’une surévaluation, par la méthode du mouillage. Or, une telle surévaluation, non seulement fausserait l’égalité entre associés, et les règles de répartition des droits sociaux, mais ferait, en outre, courir un danger pour les créanciers sociaux, trompés sur l’étendue réelle de leur droit de gage général.

Ainsi, l’article L242-2 du code de commerce punit

« d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 9000 euros le fait, pour toute personne : (…) De faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle. »

Aucune précision n’étant donnée par le texte au sujet des moyens prohibés permettant la majoration frauduleuse de l’apport, toute action ou omission commise dans l’intention d’aboutir à une surévaluation est susceptible de constituer l’infraction. Ainsi, par exemple, d’un simple mensonge, de la dissimulation d’une sûreté grevant le bien apporté(9), ou de la dissimulation du caractère irrecouvrable d’une créance apportée(10). Tel est encore le cas de la pression mise sur les autres associés par l’apporteur du bien pour aboutir à une évaluation excessive du bien, ou bien du choix, par le commissaire aux apports, d’une méthode manifestement inappropriée(11).


Si, au vu des réformes entamées depuis le début des années 2000, le législateur semble s’inscrire dans un mouvement de dépénalisation de la vie des affaires, abolissant ou simplifiant un certain nombre d’infractions techniques ou jugées peu utiles, il n’en reste pas moins que cette tendance est à nuancer au regard de la possibilité pour les tribunaux d’utiliser des infractions plus générales – et parfois plus sévèrement réprimées – pour sanctionner des comportements qui pouvaient correspondre à des infractions supprimées.

Ainsi, par exemple, si la seule omission de déclaration de la répartition des parts dans les statuts d’une SARL reste sanctionnée, la présence d’une fausse déclaration à propos de la répartition des parts sociales entre associés – qui n’est plus spécifiquement incriminée – pourra être constitutive de l’infraction de faux, usage de faux(12), ou d’escroquerie(13), si elle a eu pour objectif de tromper un tiers(14).

Bernard RINEAU, Avocat Associé
Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat associé en charge du Pôle Pénal

# Droit pénal des affaires # Droit des sociétés

(1) Ordonnance n° 2019-1067 du 21 octobre 2019 modifiant les dispositions relatives aux offres au public de titres
(2) Articles L241-2 et L242-1 à L242-5 du code de commerce
(3) Article 2285 du code civil : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »
(4) L223-7 du code de commerce
(5) Il s’agit d’un délit de fonction concernant, également, les gérants de SCA, présidents et dirigeants de SAS ou encore membres du directoire et du conseil de surveillance.
(6) Art. R211-2 du code monétaire et financier
(7) Contrat léonin, nullité des statuts
(8) Bien corporels (immeubles, matériel, véhicules…), ou incorporels (droits de propriété intellectuelle, créances, baux…), les apports en nature peuvent être libérés en propriété, en jouissance ou en nue-propriété.
(9) Cass. crim., 22 janvier 1990
(10) Cass. crim., 8 avril 1937
(11) Cass. crim., 12 avril 1976, affaire WILLOT, JCP CI 1975, II, n°11855
(12) Articles 441-1 et suivants du code pénal
(13) Articles 313-1 et suivants du code pénal
(14) Pour un exemple, voir CA Aix-en-Provence, 27 avril 2005 ; JurisData n°2005-273948