Responsabilité administrative des pouvoirs publics au titre de la gestion défectueuse de la pandémie : quels fondements ?

« Responsable mais pas coupable ». C’est ainsi qu’avaient été repris les propos de Madame la Ministre Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale du gouvernement Fabius, à propos des affaires du sang contaminé.

responsabilité administrative ok

L’histoire se répète aujourd’hui à propos de la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19. Si la culpabilité pénale des différents acteurs de cette crise n’est pas reconnue, il n’en reste pas moins que leur responsabilité, notamment administrative, pourra être retenue sur plusieurs fondements.

1) La responsabilité de l’état « personne morale » pour faute dans la gestion de la crise

La responsabilité administrative de l’Etat a été reconnue, à plusieurs reprises, dans des situations de crise sanitaire en raison, soit d’agissements fautifs, soit de carences avérées de l’Etat, permettant ainsi aux victimes d’être indemnisées.

En principe, une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’Etat dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire.

Dans l’affaire du Médiator, une faute de l’Etat a été reconnue en raison de son abstention à prendre les mesures adaptées consistant en la suspension ou au retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator à compter de la mi-1999, date à laquelle les éléments d’information sur le risque étaient connus(1).

De la même manière, dans les affaires liées à l’amiante, la responsabilité de l’Etat a été engagée en raison de sa carence fautive à prendre les mesures de prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante, avant l’année 1977, alors que les risques étaient connus bien avant cette date(2).

Dans les affaires du sang contaminé, la responsabilité de l’Etat a également été engagée en raison d’une carence fautive dans l’organisation générale du service public de la transfusion sanguine, du contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l’édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, en ce que l’Etat n’a pas pris les mesures nécessaires, pourtant existantes, alors que le risque était connu depuis 1984(3).

Dans l’hypothèse du Covid-19, le Code de la santé publique(4) précise que qu’en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le Ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.

Ces dispositions octroyant un pouvoir de police spécial au Premier Ministre et au Ministre chargé de la santé, pourraient servir de fondement à l’engagement de la responsabilité de l’Etat dans la gestion de la crise actuelle.

Compte tenu de la jurisprudence précédemment citée, les questions à se poser seraient les suivantes :

  • Le risque était-il connu ?

La probabilité d’une épidémie virale n’était pas inconnue et la connaissance d’un risque virologique grave et imminent ne faisait plus de doute à compter du mois de janvier 2020 après l’information par les autorités chinoises de l’existence d’un coronavirus et des incidences de ce dernier sur la santé humaine.

En outre, Madame Agnès BUZYN, alors Ministre de la santé, a indiqué avoir alerté le directeur général de la santé en décembre et le Premier Ministre le 11 janvier.

Enfin, depuis le moins de janvier, la presse parlait déjà de risque de pandémie mondiale, déclarée par l’OMS, le 11 mars 2020.

  • Existait-il un moyen d’éviter ce risque ?

A ce jour, aucun vaccin ou traitement médical n’existe pour empêcher ou lutter contre la propagation du virus et de ses effets. Cette circonstance a obligé les pouvoirs publics à prendre des mesures de prévention, seul arsenal viable à sa disposition compte tenu de l’état des connaissances scientifiques actuelles, pour éviter la propagation du virus.

  • Les mesures prises par l’Etat étaient-elles suffisantes compte tenu des connaissances scientifiques ?

A l’impossible nul n’est tenu. Le Juge administratif, à l’instar de toutes les affaires précédemment citées, prendra en compte l’état des connaissances scientifiques disponibles début 2020 afin de statuer sur la pertinence et la rapidité des dispositifs de lutte mis en place. Se pose ici la question de la réactivité du gouvernement à annoncer les mesures de confinement, les débats sur la gestion du stock de masques, de l’insuffisance des places en réanimation qui pourraient illustrer l’impréparation de la France et le défaut d’anticipation du risque sanitaire.

En tout état de cause, chaque victime souhaitant engager la responsabilité de l’Etat afin d’être indemnisée de ses préjudices devra apporter la preuve de la commission d’une faute, soit par la commission d’actes positifs notamment la prise de mesures inadaptées, soit par une carence fautive de l’Etat.

Or, il se peut que la Justice considère que l’Etat a eu la réaction la plus adaptée possible compte tenu la situation d’urgence dans laquelle il a fallu agir et des données dont disposaient alors les décideurs publics.

Pour l’exemple, dans un cas d’épidémie de fièvre aphteuse touchant des animaux, la jurisprudence a considéré que l’Etat n’avait commis aucune négligence : les mesures sollicitées par le requérant étant considérées comme totalement disproportionnées à la situation(5).

A l’inverse, concernant un virus attaquant les arbres, la responsabilité de l’Etat a été reconnue en raison de l’adoption tardive de mesures et d’un manque de vigilance compte tenu des données dont il disposait à l’époque(6).

Dans son discours du 13 avril 2020, le Président de la République a lui-même reconnu : « Le moment, soyons honnêtes, a révélé des failles, des insuffisances. Comme tous les pays du monde, nous avons manqué de blouses, de gants, de gels hydro alcooliques. Nous n’avons pas pu distribuer autant de masques que nous l’aurions voulu pour nos soignants, pour les personnels s’occupant de nos aînés, pour les infirmières et les aides à domicile« .

Bien que de nombreux responsables politiques analysent une défaillance des pouvoirs publics dans la réaction à la crise sanitaire, cela ne préjuge en rien de ce que décidera le Juge administratif, qui, malgré un niveau d’exigence élevé, pourra estimer, qu’au égard des connaissances scientifiques détenues et de l’éventail des mesures à la disposition de l’Etat, ce dernier n’aurait commis aucune faute dans la gestion de cette crise inédite(7).

2) La responsabilité des hôpitaux pour faute dans l’organisation du service

Outre la responsabilité de l’Etat personne morale, celle des établissements hospitaliers pourrait être envisagée.

En effet, à l’heure où plusieurs clusters sont dénombrés au sein d’établissements hospitaliers, notamment à Saumur ou Cholet, l’engagement de la responsabilité des hôpitaux pour défaut d’organisation du service de soins est envisageable.

Les établissements de soins ont-ils commis des manquements dans la gestion de cette épidémie ? Les mesures mises en place pour éviter la propagation du virus au sein des services et entre les patients ont-elles été suffisantes ?

Juridiquement, la responsabilité pour faute du service public hospitalier peut trouver son origine dans un problème d’organisation et de fonctionnement du service, c’est le cas notamment de l’insuffisance dans la surveillance des patients ou des locaux(8), du mauvais entretien des locaux et du matériel, de la réalisation tardive d’un examen(9), de l’insuffisance de personnel ou de relation défectueuse entre le médecin et le personnel paramédical(10).

Concernant la crise sanitaire actuelle, un médecin parisien, ancien interne à l’hôpital de Mulhouse a déclaré : « La semaine où l’on a tout raté est celle de début mars. C’est là, lorsque les cas ont commencé à affluer, qu’il fallait déclencher l’alerte absolue. On a oublié l’équation de base : à savoir qu’avec cette épidémie, le nombre de malades double chaque jour. Le corps médical a sa part de responsabilité« .(11).

Au sein des établissements hospitaliers, pourraient être constitutifs de faute l’absence de séparation suffisante entre les patients non atteints et ceux atteints par le Covid-19, l’absence de mise en quarantaine, l’insuffisance des moyens de protection individuels, la pénurie de respirateurs ou de personnels ainsi que la saturation des services de réanimation.

Preuve de la gravité de la situation, le 17 mars 2020, un document remis à la direction générale de la santé visait à aider les médecins à opérer des choix dans l’éventualité d’une saturation des lits de réanimation pour les patients Covid-19.

Autrement dit, la pénurie et le manque de moyen a conduit à faire des choix entre les patients qui, selon leurs chances de survie, valaient la peine d’être réanimés ou non.

Par conséquent, les patients qui pensent avoir contracté le Covid-19 au cours d’un séjour à l’hôpital, ou dont la prise en charge au titre d’une infection au Covid-19 a été défectueuse, auront la possibilité d’engager la responsabilité de l’établissement hospitalier pour faute.

Toutefois, classiquement en matière d’engagement de responsabilité, il sera indispensable de prouver, soit que le virus a été contracté au cours d’un passage à l’hôpital et que l’établissement a commis des manquements dans la prévention de la propagation du virus, soit, que la prise en charge au titre d’une infection au Covid-19 a été défectueuse en raison, notamment, du manque de moyens.

3) La responsabilité de l’employeur public en cas de contamination d’un de ses agents en service

Autre hypothèse de l’engagement de la responsabilité de l’administration dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 est celle de la contamination d’un agent dans l’exercice de ses fonctions.

Les personnels les plus à risque sont évidemment les personnels soignants, mais le reste des fonctionnaires n’est pas en reste.

D’une part, il est nécessaire d’envisager le régime avantageux qu’offrirait la reconnaissance de la contamination par le Covid-19 en maladie professionnelle.

En effet, le régime de la maladie professionnelle permet la prise en charge totale des frais médicaux, l’octroi d’une allocation temporaire d’invalidité si l’agent est en mesure de conserver son activité ou à une rente viagère d’invalidité s’il est considéré comme inapte à occuper toute fonction.

Pour qu’une maladie soit reconnue comme professionnelle, il existe trois hypothèses :

  • si la maladie est désignée par le tableau, la nouvelle présomption joue en faveur de l’agent(12) ;
  • si la maladie est désignée dans le tableau mais qu’elle ne remplit pas l’ensemble des critères prévus par celui-ci, l’agent doit prouver que sa pathologie est directement causée par l’exercice de ses fonctions, de sorte que l’on se ne se trouve plus en présence d’une présomption, mais d’un commencement de preuve en faveur de l’agent(13) ;
  • si la maladie n’est pas désignée par le tableau, l’agent doit apporter la preuve que sa pathologie est essentiellement et directement liée au service et qu’elle entraîne une incapacité permanente dont le taux sera fixé par un décret en Conseil d’État(14).

Le 21 avril 2020, le ministre de la Santé Olivier Véran, a déclaré à l’Assemblée nationale : « S’agissant des soignants, nous avons décidé une reconnaissance automatique comme maladie professionnelle, avec indemnisation en cas d’incapacité temporaire ou permanente« .

Par conséquent, il semblerait que seuls les personnels soignants bénéficieraient de la présomption d’imputabilité au service en cas de contamination par la Covid-19. Pour les autres, il sera nécessaire d’apporter la preuve difficile que le virus a été contracté à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

D’autre part, si le fonctionnaire estime que le régime de la maladie professionnelle ne suffit pas à indemniser l’ensemble de ses préjudices, il est possible d’envisager l’engagement de la responsabilité de l’employeur.

De façon générale, l’employeur public a une obligation de sécurité et de protection de la santé des agents placés sous son autorité(15) laquelle l’oblige, d’une part, à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses agents(16) et, d’autre part, d’assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet(17).

Durant la période d’état d’urgence sanitaire les employeurs ont une obligation de sécurité « renforcée » envers les agents devant exercer leurs fonctions en présentiel dans la mesure ils doivent mettre en place les mesures de sécurité dites « barrières » recommandées par le Gouvernement(18).

Chaque employeur doit donc s’assurer que :

  • les règles de distanciation sont respectées en adaptant l’organisation du lieu de travail ;
  • le matériel nécessaire au respect des gestes « barrières » est à disposition des agents soit la possibilité de se laver les mains régulièrement, tousser ou éternuer dans son coude, utiliser des mouchoirs à usage unique, saluer sans se serrer la main et proscrire les embrassades.

En effet, le Conseil d’Etat reconnaît la possibilité pour un agent, ou ses ayants-droits en cas de décès, de rechercher la responsabilité pour faute de l’employeur en raison de la carence dans son obligation de sécurité.

Conformément aux jurisprudences précitées, si l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en place les mesures de sécurité prévues pour prévenir toute contamination par la Covid19, alors sa responsabilité pourrait potentiellement être engagée.

Dans la perspective du risque contentieux, il serait utile que chaque employeur garde la trace écrite de l’ensemble des mesures mises en place pour assurer la sécurité des agents notamment les commandes de masques, de gel hydroalcooliques ou de savon(19).

Ce régime de responsabilité permet d’indemniser des préjudices non couverts par le régime de la maladie professionnelle comme le préjudice d’agrément, le préjudice esthétique ou le déficit fonctionnel temporaire.

Enfin, il convient d’évoquer l’hypothèse de l’engagement de la responsabilité sans faute de la commune.

Le Conseil d’Etat a déjà reconnu, dans le cas d’une épidémie de rubéole, que le fait pour une institutrice en état de grossesse d’être exposée en permanence aux dangers de la contagion comportait pour l’enfant à naître un risque spécial et anormal qui, lorsqu’il entraîne des dommages graves pour la victime, est de nature à engager au profit de celle-ci la responsabilité de l’administration qui l’emploie(20).

Dans le cadre de l’épidémie Covid-19 il n’est pas exclu que le juge administratif fasse application de la théorie de la responsabilité sans faute pour risque : la survenance de conséquences graves pour un agent qui ne présentait pas, a priori, de risque particulier pourrait donner lieu à application de cette responsabilité sans faute, obligeant alors la commune à le dédommager.

Par conséquent, l’ensemble des employeurs publics se doivent d’appliquer et de faire appliquer l’ensemble des prescriptions gouvernementales au sujet de la gestion de l’épidémie de Covid-19 afin qu’aucune faute ne puisse leur être reprochée.

4) La responsabilité des mairies dans la gestion de la crise

a) Concernant les arrêtés pris par les maires au titre de leurs pouvoirs de police administrative

Au titre de ses pouvoirs de police administrative, le maire est le garant de la salubrité publique et de la santé publique(21).

Il est de jurisprudence constante, que les maires ont la possibilité d’aggraver, dans leurs communes, des mesures de police prises par l’Etat(22).

A ce titre, il est possible de penser que les maires ont une part de responsabilité dans la gestion de cette crise et de ses conséquences. C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’Etat, selon sa jurisprudence classique(23), en jugeant que « les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient« . (24)

Toutefois, plusieurs décisions du Juge administratif ont censuré les décisions de maires qui ont pris des initiatives au titre de la gestion de l’épidémie. C’est le cas notamment du maire de Sceaux qui a souhaité imposer le port d’un masque dans l’ensemble de la ville(25) ou du maire de Lisieux qui a souhaité établir un couvre-feu à l’ensemble de sa population(26).

Le Conseil d’Etat a rappelé que la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020 a confié à l’Etat la responsabilité d’édicter des mesures de lutte contre le coronavirus, et ce, afin d’assurer leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire.

La possibilité pour les maires d’intervenir tient donc à la preuve de l’existence de circonstances locales qu’il sera nécessaire d’établir de façon consciencieuse, à défaut de quoi le Juge administratif n’hésitera pas à censurer.

Concernant les décisions précitées, les maires avaient échoué à démontrer l’existence de circonstances locales suffisantes et d’un trouble spécifique à la commune.

Par exemple, s’agissant des mesures de couvre-feu, le juge administratif a estimé que le « défaut de respect des règles du confinement dans la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ne saurait être regardé comme une circonstance particulière de nature à justifier une restriction à la liberté de circulation particulièrement contraignante« . (27)

De la même manière, il faut garder à l’esprit que quelque soit la mesure de police en cause, cette dernière doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi: à chaque fois qu’une mesure de police moins contraignante peut atteindre le même objectif cette dernière doit être privilégiée(28).

Les autorités décentralisées devront donc être vigilantes dans la prise d’arrêté de nature à restreindre les libertés pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

b) Concernant les risques au titre de la réouverture des écoles

Le 28 avril 2020, le gouvernement a décidé de la réouverture des écoles et a permis aux communes d’ouvrir, selon leur volonté, les services périscolaires, notamment la restauration.

Le cas échéant, les maires se sont retrouvés avec la périlleuse mission d’organiser le retour des enfants et à mettre en place l’ensemble des mesures de sécurité afin de prévenir la circulation du virus, notamment en aménageant les locaux pour faire respecter les règles de distanciation, en mettant à disposition du savon liquide ou en nettoyant les locaux, plusieurs fois par jour.

Toutefois, si un enfant contracte le virus, la responsabilité du maire pourra être envisagée par les parents en raison de l’obligation de l’administration d’assurer la sécurité des enfants pendant le service(29).

Le juge administratif reconnaît la possibilité d’engager la responsabilité administrative d’une commune pour faute, en cas de méconnaissance de son obligation de sécurité(30).

En effet, durant les temps de récréation, de déjeuner et autres activités périscolaires, les agents devront s’assurer que les mesures de sécurité suivantes sont respectées :

  • le respect du nombre limite de 15 enfants par salle ;
  • le lavage des mains au minimum à l’arrivée dans la salle, avant et à la fin de chaque repas et chaque fois que les mains auront pu être souillées par des liquides biologiques ;
  • le respect de la règle de distanciation sociale d’un mètre ;
  • le respect de toutes les autres mesures barrières, tel que l’usage de mouchoirs à usage unique.

Dans le cas d’une contamination par le virus à l’école, la détermination du moment où l’enfant l’a contracté est capital.

En effet, si le virus a été contracté dans le temps scolaire c’est la responsabilité de l’Etat qui devra être recherchée(31), en revanche, la commune redevient responsable dans le temps périscolaire(32) (temps de restauration scolaire, garderie, étude surveillée, activité créée à leur initiative)

Se pose alors ici, la question délicate de la preuve.

En effet, il ne sera déjà pas aisé de prouver qu’un enfant a contracté le virus dans l’enceinte de l’école, mais la difficulté des moyens de preuve se posera avec d’autant plus de force lorsqu’il conviendra d’établir à quel moment précis de la journée la contamination a eu lieu.

Dans le cas d’une infection de tuberculose, la cour administrative d’appel de Lyon a considéré que la contamination d’un élève de maternelle par un agent territorial spécialisé des écoles maternelles, pourtant agent municipal, mais pendant le temps scolaire, engageait la responsabilité de l’Etat(33).

Concernant les collèges et les lycées, la responsabilité respective du département et de la région pourra également être recherchée. En parallèle, les chefs d’établissements, qui sont les représentants de l’Etat au sein des structures, pourront voir leur responsabilité engagée dans l’hypothèse où ces derniers n’auraient pas respecté les prescriptions et directives envoyées par les départements et les régions.

Par conséquent, il est particulièrement important de garder la preuve de la mise en oeuvre de toutes les mesures de sécurité préconisées par le Gouvernement afin de pouvoir, en cas de contentieux, prouver qu’elles n’ont commis aucune faute.

Bernard RINEAU, Avocat Associé
Quentin PARÉE, Avocat
Elorri DALLEMANE, Avocat

Notes :

(1) CE, 9 novembre 2016, req. n°393902 ; req. n°393108; req. n°393904
(2) CE, 3 mars 2004, req. n°241150
(3) CE, 9 avril 1993, req. n°138653
(4) Article L. 3131-1 du code de la santé publique
(5) CAA Lyon, 26 novembre 2009, req. n°07LY01121
(6) CAA Marseille, 10 janvier 2005, req. n°00MA01810
(7) CE, 7 août 2008, req. n°278624
(8) CE, 27 février 1985, Centre hospitalier de Tarbes, req. n°39069-48793
(9) CE, 16 novembre 1998, Mlle Y., req. n°178585
(10) CE, 27 juin 2005, M. et Mme X., req. n°250483
(11) https://reseau-healthtech.fr
(12) article 10 IV, al. 1er de l’ordonnance n°2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d’activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique
(13) article 10 IV al. 2 de l’ordonnance précitée
(14) article 10 IV al. 3 de l’ordonnance précitée
(15) articles 2 et 2-1 du décret n°85-603 du 10 juin 1985 , décret n°82-453 du 28 mai 1982
(16) CAA Paris, 6 octobre 2016, req. n°15PA02227 ; CE, 30 décembre 2011, req. n°330959
(17) CE, 30 décembre 2011, req. n°330959, CAA Marseille, 18 avril 2014, req. n°12MA00134
(18) article 2 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020
(19) CE, ord., 8 avril 2020, req. n°439821 ; CE, ord., 28 mars 2020, req. n°439693
(20) CE, 6 novembre 1968, Saulze, req. n°72636 ; CE, 29 novembre 1974, Époux Gevre, req.n°89756
(21) article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales
(22) CE, 18 avril 1902, req. n°04749
(23) CE, sect. 18 décembre 1959, « Les films Lutétia », req. n°36385-36428
(24) CE, 22 mars 2020, Syndicat Jeunes Médecins, req. n°439674
(25) CE, ord., 17 avril 2020, req. n° 440057
(26) TA de Caen, 31 mars 2020, req. n°2000711
(27) TA Montreuil, 3 avril 2020, req. n°2003861
(28) CE, 19 mai 1933, Benjamin, req. n°17413 17520
(29) Article D.321-12 du code de l’éducation
(30) CE, 19 juillet 2017, req. n° 393288
(31) l’article L.211-1 du code de l’éducation
(32) l’article L. 212-15 du code de l’éducation
(33) CAA de Lyon, 12 décembre 2006, req. n°04LY01216

La responsabilité pénale individuelle d’un décideur public peut être engagée dès lors que celui-ci a intentionnellement violé des règles importantes que le législateur a assorti de sanctions pénales en cas de non-respect. Plusieurs infractions peuvent être envisagées, en fonction de la situation concrète de chaque victime, qu’il s’agisse de particuliers atteints par le virus, ou d’entreprises déstabilisées, parfois irrémédiablement, par les mesures de confinement.

responsabilité pénale

1) Homicide ou blessures involontaires

Les atteintes involontaires à la vie d’une personne (homicide involontaire) ou à son intégrité physique (blessures ou maladie) constituent des infractions non-intentionnelles (articles 221-6 et s., et 222-19 et s. du code pénal).

Cela signifie que si l’auteur de ces infractions n’a pas voulu le résultat qui s’est réalisé, il a, en revanche, volontairement, commis des fautes qui ont causé directement ou indirectement ce résultat.

L’exemple le plus commun est celui d’un accident de voiture causé par un conducteur qui, ne respectant pas telle règle du code de la route, cause le décès d’un autre conducteur qu’il aura percuté. Le conducteur ne souhaitait assurément pas provoquer cette mort – auquel cas il s’agirait d’un homicide volontaire, ou meurtre –, mais il a commis une faute, au moins par négligence, ayant provoqué le dommage.

Les responsables politiques peuvent, quant à eux, se voir reprocher le délit d’homicide ou de blessures involontaires, en particulier quand leurs décisions ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou quand, informés d’une situation potentiellement risquée, ils n’ont pas pris les mesures permettant d’éviter la réalisation du risque.

La responsabilité des décideurs publics est alors engagée au titre de ces infractions lorsqu’ils ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité, ou qu’ils ont commis une faute caractérisée – une défaillance inacceptable – exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer.

De l’affaire du sang contaminé en 1987 ou de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en 1991, à celles plus récentes de l’amiante ou du Médiator, la plupart des scandales sanitaires ont donné lieu à la poursuite des responsables des chefs d’homicides ou blessures involontaires, lesquelles ont abouti, pour certaines, à des condamnations pénales.

Dans le cadre de la gestion de l’épidémie de COVID-19, il n’est pas interdit de supposer que des juges estimeront, au cas par cas, que certaines décisions prises par des responsables politiques, ou l’absence de prise de décision, ont directement ou indirectement causé des dommages, ce qui pourrait constituer les infractions d’homicides ou blessures involontaires.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, à l’occasion de l’élaboration de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a, en première lecture, tenté de limiter la responsabilité pénale des responsables politiques qui auraient exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus, ou auraient causé ou contribué à causer une telle contamination.

Finalement abandonné, ce projet a donné lieu à l’adoption d’un nouvel article L. 3136-2 du code de la santé publique, selon lequel la responsabilité pénale pour les infractions non-intentionnelles doit s’apprécier « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020, considérant qu’elles ne modifiaient pas le droit existant appliqué par les juges, déjà chargés d’évaluer au cas par cas la responsabilité des décideurs en fonction des multiples facteurs rappelés dans la nouvelle loi, et n’instauraient pas de régime dérogatoire limitatif de responsabilité à leur bénéfice. 

2) Mise en danger délibérée d’autrui

Même en l’absence de réalisation d’un dommage, le droit punit certaines imprudences graves qui ont été commises en ayant conscience du résultat dommageable qui aurait pu se réaliser.

Ainsi, l’article 223-1 du code pénal réprime le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

La définition de cette faute, introduite lors de la création de ce délit avant d’être étendue aux délits d’homicide et blessures involontaires (supra), est restrictive.

La violation doit d’abord porter sur une obligation écrite dans une loi, entendue comme la norme à caractère général et impersonnel votée par le Parlement, ou dans un règlement émanant d’une autorité réglementaire investie de prérogatives de puissance publique.

Tel n’est pas le cas, par exemple, d’un règlement intérieur à l’entreprise, d’un arrêté préfectoral ayant déclaré un immeuble insalubre et ayant imposé au propriétaire des travaux de mise en conformité, ou encore d’un arrêté municipal de péril pris en application de l’article L511-2 du code de la construction et de l’habitation (Cass. crim., 6 décembre 2016, n° 16-82.872).

En revanche, un règlement européen a récemment été jugé comme pouvant renfermer une obligation particulière de prudence ou de sécurité (Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-82.171, à propos du Règlement (CE) n°178/2002 du 28 janvier 2002 dont la violation est caractérisée par la mise sur le marché, en toute connaissance de cause, d’un produit alimentaire potentiellement dangereux).

En outre, la règle violée doit prévoir une ou plusieurs obligations particulières, et non générales ou imprécises. Ces obligations doivent être « objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle » (Cass. crim., 13 novembre 2019, n° 18-82.718).

Ainsi, ne sont pas considérées comme des obligations particulières les dispositions générales du droit du travail, ou encore les dispositions du décret permettant aux préfets d’apprécier les moyens à mettre en œuvre pour protéger la qualité de l’air (Cass. crim., 25 juin 1996, n° 95-86.205), excluant ainsi du champ d’application de l’infraction la manière dont les décideurs publics exercent leur pouvoir général de prévention.

3) Abstention volontaire de prendre ou provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes

A l’instar de l’infraction de non-assistance à personne en danger (voir ci-dessous), la loi réprime ici une infraction d’abstention, ou d’omission.

Par l’incrimination de non-assistance à personne en danger (article 223-6 du code pénal), la loi punissait déjà le fait pour une personne en mesure de porter secours à une autre personne, de s’abstenir de le faire alors que la victime se trouvait directement en péril.

A la différence de cette infraction – qu’elle vient ainsi compléter –, l’infraction d’abstention volontaire de prendre ou de provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre (article 223-7 du code pénal), créée en 1992, permet de sanctionner l’absence de réaction d’une personne qui avait les moyens d’intervenir, quand bien même personne ne serait directement en danger.

En l’occurrence, l’épidémie de COVID-19 pourrait correspondre à la notion de sinistre au sens de l’article 223-7 du code pénal.

Dans cette hypothèse, il s’agirait de sanctionner le responsable politique qui, sachant que l’épidémie était en cours de déploiement, se serait volontairement abstenu d’intervenir de façon adaptée à la situation alors qu’il en avait les moyens, voire la charge.

Il convient de souligner qu’en matière de non-assistance à personne en danger, les tribunaux se montrent très sévères, sanctionnant les personnes dont ils considéraient qu’elles ne pouvaient se méprendre sur le danger existant ou qui ne se sont pas suffisamment préoccupées du danger malgré des indices apparents.

Ce raisonnement pourrait parfaitement être transposé à l’infraction d’abstention de prendre ou provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre, s’il était prouvé qu’un responsable politique avait une conscience suffisante du danger (notamment en raison de l’évolution de l’épidémie dans d’autres Etats), et qu’il se serait néanmoins abstenu de prendre les mesures de protection nécessaire afin de prévenir la réalisation du sinistre.

4) Non-assistance à personne en danger

L’infraction de non-assistance à personne en danger, prévue à l’article 223-6 du code pénal, mieux connue du public, traduit pénalement l’adage juridique « Qui peut et n’empêche, pêche ».

Pour qu’elle soit constituée, cette infraction suppose, elle aussi, outre une situation de danger réel dans laquelle se trouverait la victime, qu’une autre personne s’abstienne de porter secours soit directement quand cela lui est possible, soit en prévenant un tiers si cela ne l’est pas (forces de l’ordre, personnel médical, etc.).

Encore faut-il, par ailleurs, que cette personne ait eu connaissance du péril qui frappait la victime. Mais sur ce point, comme il a été dit plus haut, les tribunaux ont une approche très sévère et considèrent que la connaissance du danger est constituée dès lors qu’il était impossible de se méprendre sur l’existence de celui-ci, ou que les signes apparents du danger étaient suffisamment clairs.

Les tribunaux adoptent, en outre, une approche encore plus sévère à l’égard des personnes qui, par leur statut (médecin, responsable politique…), pouvaient encore moins se méprendre sur l’existence du danger.

A cet égard, des négligences commises par un médecin dans l’appréciation de l’état de santé d’un patient ont pu être retenues contre un médecin pour constituer le délit.

Dans le volet non ministériel de l’affaire du sang contaminé, les juges ont retenu qu’en raison des incertitudes régnant alors dans les milieux médicaux sur le sujet, les prévenus n’avaient pu avoir suffisamment conscience de l’existence d’un danger grave et imminent qu’ils auraient pu tenter d’empêcher.

C’est donc sur le terrain probatoire que les enjeux sont posés.

Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat associé en charge du Pôle Pénal
Bernard RINEAU, Avocat Associé

# Droit pénal des affaires publiques # Droit des affaires

A compter du 11 mai 2020, un déconfinement progressif commence en France. Cette décision de l’exécutif ouvre la voie à une reprise du travail dans les entreprises.

Reprise du travail le 11 mai

Malheureusement, le redémarrage ne peut se faire en reprenant simplement les habitudes et l’organisation antérieures, pour les entreprises ayant des salariés. En effet le Code du travail fait peser sur tout employeur de droit privé une obligation générale de préserver la santé de ses salariés :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. » (art. L.4121-1 c. trav.)

Depuis de nombreuses années, la jurisprudence interprète cette obligation de santé-sécurité comme une obligation de résultat. Si un salarié peut démontrer que sa santé a été impactée en raison du comportement de son employeur, celui-ci lui doit réparation. Outre l’allocation de dommages-intérêts, le salarié aussi peut envisager d’aller sur le terrain pénal. S’agissant d’un virus potentiellement mortel comme le COVID-19, l’employeur pourrait être exposé à des plaintes ou poursuites pour « mise en danger délibéré d’autrui » voire « homicide involontaire » (cf. art. 121-3 et 221-6 du Code pénal).

La plus grande prudence est donc de mise dans le contexte généré par le Coronavirus, comme l’annoncent les premières décisions de justice intervenues depuis début avril (I).

Là où une reprise du travail en présentiel s’imposera, de nombreuses précautions devront donc être prises (II). Certains employeurs opteront pour la poursuite des principales mesures adoptées lors du confinement (télétravail et activité partielle), en les reconsidérant éventuellement. En procédant ainsi, les entreprises seront tout d’abord à même de rassurer leurs salariés, de les mettre dans de bonnes conditions pour leur permettre de remplir leurs fonctions. Au-delà de cette approche « RH », l’employeur réduira son risque contentieux. A n’en pas douter en effet, différents litiges sont en germe dans la situation actuelle et il convient de s’en prémunir. L’employeur devra pouvoir démontrer le cas échéant qu’il a fait de son mieux pour préserver la santé de ses salariés.

I. Diverses décisions judiciaires récentes incitent à la prudence

Plusieurs décisions de justice sont déjà intervenues concernant le Coronavirus, au cours des mois d’avril et mai 2020. Elles montrent que les magistrats font preuve de sévérité s’ils estiment insuffisantes les mesures prises pour préserver la santé de leurs salariés. Dans ces décisions, rendues en référé, le juge n’hésite pas à imposer à l’employeur, sous astreinte, la réduction de son activité voire un arrêt pur et simple, tant qu’une démarche approfondie de prévention des risques et de protection de la santé des salariés n’aura pas été mise en œuvre.

A – Tribunal Judiciaire de Lille, 03/04/2020 (ADAR)

L’ADAR, association d’aide à domicile employant 900 salariés chargés d’accomplir diverses tâches au profit de personnes en perte d’autonomie (aide au lever et au coucher, entretien du logement, achat de produits alimentaires, etc.), a été sommée de mieux protéger ses salariés, en prenant les mesures d’urgence propres à garantir la sécurité de son personnel.

Un membre du personnel, délégué syndical CGT, a saisi l’inspection du travail, considérant que les salariés n’étaient pas suffisamment équipés face au risque de contracter le COVID-19 pendant leurs interventions à domicile. L’association a été contactée par l’administration du travail pour présenter ses explications. Celles-ci n’ayant pas été considérées comme suffisantes, l’inspection du travail a porté l’affaire devant le Tribunal Judiciaire (TJ) de Lille.

Cette juridiction a condamné l’association à adopter les dispositions permettant de remédier à cette situation. Elle a dû mettre en œuvre, dans un délai de trois jours, une douzaine de mesures. Par exemple, si ses « clients (…) présentent un symptôme ou ont (…) été diagnostiqués positifs », ils doivent porter un masque lorsque le salarié se rend chez eux ; ce dernier, dans un tel cas de figure, doit, pour sa part, être équipé en conséquence (gants, charlotte, blouse, masque, etc.). L’association employeur est également tenue de « définir par écrit » les critères pour poursuivre ou aménager ses « prestations », puis elle doit dresser « la liste des interventions supprimées et (…) maintenues » : autrement dit, le tribunal lui impose de faire le tri dans ses activités et d’en supprimer certaines…

B – Tribunal Judiciaire de Lille, 14/04/2020 (Carrefour Market de Villeneuve D’Ascq)

Saisi par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et la fédération des Services CFDT, le TJ a estimé que ce magasin mettait en danger les salariés et les clients en n’adaptant pas les règles de sécurité contre le Covid-19

L’ordonnance de référé impose à la société de prendre plusieurs mesures :

  • La distanciation sociale doit être appliquée, notamment lors du réassortiment des marchandises.
  • Les rayons concernés par le réassort doivent être inaccessibles aux clients au moyen d’un dispositif empêchant le passage, par exemple au moyen d’un dispositif de rubans de signalisation.
  • La circulation doit se faire par les allées latérales du magasin qui sont plus larges pour réduire le risque de croiser une personne à moins d’un mètre.
  • port du masque de protection pour les salariés ;
  • port de gants en permanence ou du lavage des mains à une fréquence imposée pour tous les salariés.

C – Cour d’Appel de Versailles, 24/04/2020 (Amazon France Logistique)

La cour d’appel confirme une ordonnance rendue le 14 avril 2020 en ce qu’elle a ordonné à la société employeur de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de COVID-19 sur l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 c. trav. en découlant.

En outre, elle ordonne, dans l’attente de la mise en œuvre des mesures ordonnées ci-dessus, à Amazon France Logistique, dans les 48 heures de la notification de l’arrêt, de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules opérations de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes des produits, tels que figurant sur le catalogue de la société à la date du 21 avril 2020, suivants : -Hich-tech, Informatique, Bureau -“Tout pour les animaux” dans la rubrique Maison, Bricolage, Animalerie -“Santé et soins du corps”, “Homme”, “Nutrition”, “Parapharmacie” dans la rubrique Beauté, Santé et Bien-être -Epicerie, Boissons et Entretien.

Passé ce délai de 48 heures, pour chaque réception, préparation et/ou expédition de produits non autorisés, et ce pendant une durée maximale d’un mois, une astreinte de 100 000 euros peut être prononcée.

D – Tribunal Judiciaire du Havre, 07/05/2020 (Renault Sandouville)

Saisie par la CGT, la justice a contraint la société Renault à fermer son usine de Sandouville (76) en raison de mesures de protections jugées insuffisantes face au Covid-19. Le constructeur automobile a annoncé qu’il faisait appel.

L’ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire du Havre condamne Renault « à suspendre la reprise de la production » car celle-ci ne « permet pas d’assurer (…) la sécurité des travailleurs de l’usine face au risque lié au Covid-19« .

L’usine, qui compte 1 848 collaborateurs, avait repris partiellement son activité le 28 avril après l’avoir arrêtée le 16 mars à cause de l’épidémie. Elle a été arrêtée le 7 mai après-midi. La production est suspendue « le temps de la mise en place effective » de mesures comme « organiser et dispenser pour chacun (des) salariés avant qu’ils ne reprennent le travail une formation pratique et appropriée« .

Le tribunal condamne aussi Renault à mettre « en œuvre des actions de prévention ainsi que des méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs« . Il demande aussi « une régularisation de la procédure de consultation du CSE ». La société doit en outre « modifier tous les plans de prévention ainsi que les protocoles de sécurité« .

Ces quelques décisions, fortement commentées, illustrent les risques qui pèsent sur les employeurs ne prenant pas les précautions suffisantes.

II. Diverses précautions indispensables à la reprise du travail en présentiel

Le Ministère du Travail a diffusé le 3 mai son « protocole national de déconfinement pour assurer la santé et la sécurité des salariés » : un ensemble de bonnes pratiques à mettre en œuvre par les employeurs. Ce document n’est pas impératif. Néanmoins il sera certainement pris en compte à l’avenir par les tribunaux, comme référence pour apprécier si les mesures prises par l’employeur avaient une consistance suffisante ou non en matière de santé au travail. De nombreuses fiches pratiques, par secteurs (branches) ont aussi été élaborées. Sans prétendre exposer les diverses préconisations ministérielles, nous présentons ci-après les principales.

A) Un travail important à faire avant le retour des salariés

1°/ Un diagnostic des risques professionnels encourus : l’actualisation du DUER (OU DUERP)

Quelle que soit sa taille, toute entreprise a l’obligation d’évaluer les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés, afin de garantir leur santé et leur sécurité au travail (art. R. 4121-1 c. trav.). Ces risques sont retranscrits dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER ou DUERP). Celui-ci doit être tenu à jour, et régulièrement actualisé.

Ce document, qui est consultable par les salariés, doit être mis à jour annuellement (sauf dans les entreprises < 11 salariés), et ponctuellement dans deux situations : cas de décision d’aménagement important et apparition de nouveaux risques…La reprise du travail dans le contexte du COVID-19 implique indéniablement une mise à jour du DUER.

Cet outil permet de préciser, pas à pas, en face de chaque zone de risque identifiée dans les unités de travail, les mesures mises en œuvre pour réduire ces risques.

Par exemple, l’accueil d’un visiteur extérieur à l’entreprise peut constituer une source de diffusion du virus. Les solutions à mettre en œuvre peuvent être la mise à disposition de gel et de masques à l’accueil, le fait de laisser diverses portes ouvertes pour ne pas avoir à toucher les poignées, la désactivation des ascenseurs,… ou au contraire l’interdiction de toute visite physique, au profit de visio-conférences.

2°/ Une réflexion sur les circulations au sein de l’entreprise

Le protocole national prévoit le respect des fameux « gestes barrières » au sein de l’entreprise, notamment se tenir à au moins 1 mètre des autres salariés. En tenant compte de la corpulence moyenne en France, le Ministère du travail pose le principe d’une surface individuelle minimale de 4 m² par personne, y compris lorsque les salariés doivent circuler dans l’entreprise. Cette règle conduit à limiter le nombre maximal de personnes accueillies en même temps dans les locaux.

En outre, chaque entreprise doit penser un sens de circulation au sein de ses locaux, de l’arrivée jusqu’au départ des salaries, en passant par les différentes étapes de la journée, permettant d’assurer ces distances minimales.

Un décalage des heures d’arrivée et de départ, de pause, etc. peut être envisagé afin de pouvoir éviter aux salariés de se croiser sans respect de la distance d’1 mètre.

Comme l’indique le Ministère : « L’équilibre à trouver est délicat : une régulation excessive des circulations peut conduire à des pratiques de contournement (…). Des plans de circulation doivent être mis en œuvre mais sous une forme incitative plutôt que contraignante (fluidifier plutôt de ralentir). »


Dans les entreprises disposant de représentants du personnel, le CSE doit être associé à ce travail préparatoire.

B) Une vigilance à maintenir une fois les salariés revenus

1°/ L’anticipation du retour des salariés

Le Protocole national rappelle en détail les gestes barrières, et insiste sur la nécessité de se reposer sur des règles collectives plutôt que sur des Equipements de Protection Individuelle (EPI). Il énonce que la doctrine générale en matière de prévention des risques professionnels est « d’utiliser les EPI en dernier recours, lorsqu’il est impossible de recourir à une solution de protection collective de nature technique (écrans physiques, espacement des postes de travail, etc.) ou organisationnelle (décalage des horaires, dédoublement des équipes, etc. ».

Les performances des EPI sont en effet étroitement dépendantes du respect de conditions d’utilisation idéales, lesquelles se trouvent rarement réunies en pratique. Leur utilisation peut alors procurer un sentiment indu de sécurité et même devenir contreproductive en conduisant à l’abandon des gestes de prévention.

Les EPI sont donc un complément des mesures de protection collectives et ne s’y substituent pas.

Lorsque les EPI sont à usage unique leur approvisionnement constant et leur évacuation doivent être organisés par l’employeur. Selon le Protocole : « Les déchets potentiellement souillés sont à jeter dans un double sac poubelle, à conserver 24 heures dans un espace clos réservé à cet effet avant élimination dans la filière ordures ménagères. Lorsqu’ils sont réutilisables, leur entretien, notamment leur nettoyage selon les procédures adaptées, doit être organisé ».

2°/ Se doter de règles en cas de contamination d’un salarié une fois que l’activité a repris

Des campagnes de dépistage du COVID-19, organisées par les entreprises pour leurs salariés, ne sont pas autorisées.

En revanche, toute entreprise doit disposer en amont des règles à appliquer au cas où l’un de ses salariés serait atteint. Ce protocole peut être rédigé le cas échéant avec la médecine du travail : il vise à prendre en charge sans délai des personnes symptomatiques afin de les isoler rapidement dans une pièce dédiée et de les inviter à rentrer chez eux et contacter leur médecin traitant. Il vise aussi à faciliter l’identification des personnes contacts en cas de survenu d’un cas avéré.

3°/ Veiller au nettoyage et à la désinfection des locaux

Le Protocole national insiste sur la nécessité de nettoyer et désinfecter soigneusement les outils et lieux de travail, lors de la réouverture puis quotidiennement . « Le terme désinfection utilisé ici vise la destruction du coronavirus avec un produit actif sur ce virus ». Il présente ainsi les fréquences de nettoyage souhaitables : Nettoyage fréquent des surfaces et des objets qui sont fréquemment touchés (plusieurs fois par jour) ; Nettoyage journalier des sols ; Nettoyage journalier des matériels roulants, infrastructure de transport, aéronefs.

Parmi les conseils pratiques donnés, retenons :

  • « Ne pas remettre en suspension dans l’air les micro-organismes présents sur les surfaces (ne pas secouer les chiffons…), mais employer des lingettes pré-imbibées, des raclettes… »
  • « Pour les moquettes, utiliser un aspirateur muni d’un filtre HEPA, retenant les micro-organismes de l’air rejeté par l’aspirateur » ;
  • « Bien aérer après le bionettoyage ».

Face aux contraintes exposées ci-dessus, il est probable que certaines entreprises feront le choix de continuer à bénéficier du dispositif d’activité partielle, au moins quelques semaines afin d’être convenablement préparées au retour des salariés.

L’autre mesure phare du confinement a aussi de beaux jours devant elle : pour le Gouvernement, le télétravail doit se poursuivre autant que cela est possible. Rappelons que ce dispositif repose en principe sur le volontariat du salarié. Mais un article introduit en septembre 2017 dans le Code du travail, qui permet d’imposer ce télétravail, s’applique indéniablement à la période actuelle :

« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. ». (art. L.1222-11)


Un autre enjeu important sera celui de l’information des salariés à leur retour au travail, voire de leur formation aux nouveaux gestes et nouvelles procédures : vastes sujets.

Ainsi, quelle que soit la taille de l’entreprise, à partir du 11 mai, « ne rien faire » n’est pas une option envisageable. D’importants changements s’imposeront à tous.

Xavier CAROFF, Avocat, en charge du Pôle Social
Bernard RINEAU, Avocat Associé

La date du 17 mars 2020 marque le début des mesures de confinement en France, et avec elles, les restrictions de déplacement prises en réponse à la pandémie de Covid-19.

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Avant cette date, compte tenu de l’augmentation du nombre de cas en France, plusieurs pays avaient pris des mesures préventives en décidant de fermer leurs frontières aux ressortissants en provenance d’aéroports français.

Pour cette raison, toutes les personnes ayant programmé un voyage, à compter du mois de mars 2020, se sont vues notifier une annulation par leurs prestataires de voyage.

Nombre de ces malchanceux ont fait une demande de remboursement auprès de leur agence de voyage.

Beaucoup de ces demandes ont été refusées, ces dernières préférant, dans de très nombreux cas, proposer un avoir.

En effet, au même titre que l’ensemble de l’économie française, les professionnels du tourisme sont gravement touchés par la crise sanitaire en cours.

En raison des restrictions de déplacements et des mesures de confinement prises en France mais également dans beaucoup d’autres pays, ces opérateurs subissent une baisse drastique des prises de commandes.

Dès lors, pèse sur ces opérateurs un risque fort de tension sur leur trésorerie et par la suite de défaillance. Actuellement, ce sont plus de 7 100 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France, qui, confrontés à un volume d’annulations d’ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles, sont en grande difficulté(1).

Les règles applicables en cas d’annulation de voyage en temps normal (I.) ont donc du être adaptées par le gouvernement pour permettre aux professionnels du voyage de faire face à cette crise et ainsi, de s’en relever (II.).

I. Les conséquences de l’annulation d’un voyage en temps « normal »

En dehors de cette période exceptionnelle, les conséquences de l’annulation d’un séjour par le voyagiste, ou le client, sont prévues par le Code du tourisme ou le Code civil en fonction du type de contrat concerné.

Concernant les voyages à forfait(2), l’article L.211-14 II et III du Code de tourisme prévoit que les annulations de voyage par l’agence de voyage ou le voyageur entraînent la résolution du contrat et le remboursement.

En outre, hors exceptions prévues à l’article précité, le versement d’une indemnisation supplémentaire est possible.

De la même manière, dans les circonstances actuelles, les autres contrats portant sur les services de voyages comme l’hébergement, la location de voiture ou tout autre service auraient pu être résolus sur le fondement de la force majeure en vertu de l’article 1218 du Code civil et, ainsi, ouvrir droit à remboursement.

Par conséquent, il existe, en principe, pour le client, un droit au remboursement par le professionnel de tourisme en cas d’annulation du contrat par ce dernier. Ce droit à remboursement peut également être accompagné d’une indemnisation.

Toutefois, la période exceptionnelle que nous sommes en train de vivre a rendu indispensable la mise en place de dispositions dérogatoires.

II. Les conséquences d’une annulation en période de Covid-19

En raison du risque économique pesant sur les entreprises du secteur du voyage, la Commission européenne a publié, le 19 mars dernier, des lignes directrices ouvrant la possibilité pour ces dernières, de proposer au client un avoir.

En France, l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dite « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » a habilité le gouvernement à modifier, dans le respect des droits réciproques, les dispositions applicables aux contrats de vente de voyages et de séjours.

Sur le fondement de cette loi, le 25 mars 2020, le gouvernement a édicté l’ordonnance n°2020-315 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure permettant aux professionnels du tourisme de proposer des avoirs, en lieu et place de l’obligation de remboursement, normalement applicable, afin d’éviter que ces derniers ne se retrouvent en faillite

Quels types de contrats sont concernés ?

  1. Les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés au II et au 2° du III de l’article L. 211-14 du Code du tourisme. Sont concernés ici les voyages à forfait ou les voyages scolaires ou linguistiques
  2. Les contrats portant sur les services mentionnés au 2°, 3° et 4° du I de l’article L. 211-2 du même code, vendus par des personnes physiques ou morales produisant elles-mêmes ces services ou, concernant le 2° et le 4°, vendus par les associations produisant elles-mêmes ces services.

Il s’agit ici, par exemple, de l’hébergement, de la location de voiture ou de tout autre service touristique qui ne fait pas partie intégrante d’un service de voyage notamment les visites guidées, les excursions, manifestations sportives etc.

Attention, ne sont pas concernés les vols secs, c’est à dire les billets d’avion achetés seuls. Dans ce cas précis, les consommateurs ont le droit de réclamer le remboursement intégral de leur billet annulé par la compagnie en application du règlement européen n°261/20004.

Quelle période est concernée ?

Ces dispositions dérogatoires s’appliquent aux résolutions de contrats notifiées entre le 1er mars et le 15 septembre 2020 inclus.

Cela signifie que si votre séjour a été annulé, avant le 1er mars 2020, vous avez toujours la possibilité de demander un remboursement intégral sous réserve des dispositions spécifiques de votre contrat.

De la même manière, si votre voyage est prévu au-delà de la date limite de confinement actuellement fixée et n’a pas encore été annulé, nous vous conseillons d’attendre et d’être attentif à l’évolution de la situation plutôt que de procéder à l’annulation au risque de payer des frais.

Si vous vous trouvez dans l’une de ces hypothèses, l’ordonnance prévoit que l’organisateur ou le détaillant peut proposer un avoir à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués.

Quelles conditions doit remplir l’avoir proposé ?

L’avoir proposé doit :

  • prendre la forme d’un courrier ou d’un mail ou, à tout le moins, être présenté sur support durable ;
  • être d’un montant égal à celui de l’intégralité des paiements effectués. Si vous n’avez procédé qu’au paiement d’un acompte, alors un avoir correspondant à l’acompte versé doit vous être proposé ;
  • être proposé dans les 30 jours suivants la notification de la résolution du contrat ou 30 jours après l’entrée en vigueur de l’ordonnance pour les contrats résolus avant. Pour les contrats annulés avant le 26 mars 2020, le voyagiste a jusqu’au 26 avril prochain ;
  • mentionner le montant, les conditions de délai et sa durée de validité

A la suite de l’émission de cet avoir, les professionnels du voyage disposent d’un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution du contrat pour proposer une nouvelle prestation.

Quelles conditions doit remplir la ou les nouvelles prestations proposées ?

Cette nouvelle prestation doit répondre aux conditions suivantes :

  • être identique ou équivalente à la prestation prévue par le contrat initial résolu ;
  • être à un prix ne dépassant pas celui de la prestation prévue par le contrat initial, le cas échéant, le voyageur ne sera redevable que du paiement du solde de ce contrat. Si la nouvelle prestation, qui vous intéresse, coûte plus cher ou moins cher que la prestation initiale du contrat résolu, le prix à acquitter tient compte de l’avoir. En cas de prestation de qualité et de prix supérieurs, vous devrez payer une somme complémentaire. A l’inverse, en cas de prestation d’un montant inférieur au montant de l’avoir, vous pourrez conserver le solde de l’avoir qui pourra être utilisable jusqu’au terme de sa période de validité ;
  • ne faire l’objet d’aucune majoration tarifaire non prévue par le contrat initial ;
  • être valable 18 mois.

Lorsque cet avoir est proposé, le client ne peut solliciter le remboursement de ces paiements pendant la période de validité de l’avoir.

Quelles conséquences si aucun contrat n’est conclu ?

Si vous acceptez l’une des nouvelles prestations proposées, un nouveau contrat sera conclu.

Concernant les voyages à forfait, les agences sont obligatoirement couvertes par des organismes de garantie, qui prendront le relais en cas de faillite du professionnel de voyage (cf. article L.211-18 du Code du tourisme).

A l’inverse, il est possible qu’aucune des nouvelles prestations proposées ne vous conviennent, ou tout simplement que vous ne soyez plus en capacité de partir en vacances pour des raisons personnelles.

En effet, vous n’êtes pas dans l’obligation d’accepter une des nouvelles prestations proposées.

Dans ce cas, l’ordonnance prévoit que, si aucun nouveau contrat n’est conclu au terme de la période de 18 mois, les professionnels du voyage doivent procéder au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu.

Par conséquent, le remboursement est toujours possible. Toutefois, il faudra patienter jusqu’à la date d’expiration de l’avoir proposé par le professionnel.

(1) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure.

(2) Constitue un voyage à forfaits la combinaison d’au moins deux types différents de services de voyage aux fins du même voyage ou séjour de vacances (transport, hébergement, location de voitures, visites, spectacles, …), dépassant vingt-quatre heures ou incluant une nuitée vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris.

Quentin PARÉE, Avocat
Elorri DALLEMANE, Avocat

Ce samedi 14 mars 2020, le gouvernement a annoncé une série de mesures drastiques visant à endiguer la progression du coronavirus , désormais déclarée « pandémie » par l'OMS.

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Cette annonce a fait l’effet d’un électrochoc pour les commerçants, laissant place à une angoisse légitime sur les réactions à adopter face à cette mesure de fermeture forcée, risquant d’entraîner à court terme des conséquences dramatiques sur leur trésorerie.

Mais qu’en est t-il vraiment de la portée de ces fermetures massives ? Quelles entreprises sont concernées ? Et quelles mesures mettre en place pour faire face aux difficultés engendrées par ces fermetures forcées ?

Cet article a pour objectif d’apporter des premières réponses à ces questions.

I) Sur le champ d’application de la fermeture administrative

L’arrêté du 14 mars 2020 vise tout d’abord l’ensemble des établissements recevant du public en milieu « couvert », notamment les bars, restaurants, musées et cinémas.

De manière générale, l’arrêté interdit « tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert », à moins que ces rassemblements ne soient « indispensables à la continuité de la vie de la Nation » (l’appréciation de ce critère étant laissée aux préfets).

Les établissements recevant du public en « milieu ouvert » sont donc également visés (ce qui inclut notamment par exemple les parcs zoologiques).

En revanche, détail important, les activités de vente à emporter et de livraison demeurent pour l’instant permises, ce qui devrait notamment permettre aux restaurants de conserver un chiffre d’affaires minimum.

A ce stade, ces mesures sont prévues pour s’appliquer jusqu’au 15 avril 2020, mais une reconduction de la fermeture n’est bien entendu pas à exclure.

II) Sur les mesures d’aide mises en place et réactions à préconiser

Compte tenu des répercussions potentiellement dramatiques de cette décision, le gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures d’aides aux entreprises, dont la portée demeure néanmoins incertaine à ce stade.

1) Sur la « généralisation » du chômage partiel

Dans son communiqué, le gouvernement annonce un maintien de l’emploi grâce au dispositif du chômage partiel.

Le chômage partiel est un dispositif déjà existant réservée aux entreprises contraintes de réduire ou suspendre leur activité en cas de « circonstance de caractère exceptionnel » : pour en bénéficier, l’entreprise doit adresser une demande motivée auprès du préfet .

Le régime du chômage partiel permet ensuite une prise en charge partielle des salaires par l’Etat.

L’annonce du gouvernement devrait donc conduire les préfets à accepter plus généralement les demandes de chômage partiel.

2) Sur les mesures prises pour le paiement des charges sociales et fiscales

Dans son communiqué, le gouvernement annonce que :

  • Des délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales (URSSAF, impôts) seront mis en place,
  • Dans les situations les plus difficiles, des remises d’impôts directs pouvant être décidées dans le cadre d’un examen individualisé des demandes.

Au plan pratique, un communiqué commun de la Direction générale des finances publiques et des URSSAF apporte des précisions :

  • S’agissant de l’URSSAF, la mesure consiste essentiellement à la possibilité pour les entreprises de décaler tout ou partie de leur échéance du 15 mars 2020 avec un report possible jusqu’à 3 mois sans pénalité : cette possibilité apparaît a priori ouverte de plein droit à toutes les entreprises sans conditions ;
  • S’agissant des impôts : la DGFIP indique, de la même manière, qu’il est possible de demander au service des impôts des entreprises le report sans pénalité du règlement de leurs prochaines échéances d’impôts directs (acompte d’impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires).

Bien entendu, cette faveur apparaît bien tardive, puisque bon nombre d’entreprises ont d’ores et déjà émis le paiement de l’échéance de mars : une possibilité de modification du paiement est prévue, mais il faut agir vite puisqu’il faudra alors le faire avant le 19 mars à 12H.

3) Sur la gestion des dettes bancaires et dettes fournisseurs

Dans son communiqué, le gouvernement annonce :

  • Un soutien de l’Etat et de la Banque de France (médiation du crédit) pour négocier avec sa banque un rééchelonnement des crédits bancaires ;
  • La mobilisation de Bpifrance pour garantir des lignes de trésorerie bancaires dont les entreprises pourraient avoir besoin à cause de l’épidémie.

La BPI a d’ores et déjà annoncé un « plan de soutien d’urgence aux entreprises », visant à permettre un soutien financier aux entreprises : il s’agit notamment d’un élargissement de la garantie BPI sur les concours consentis par les banques privées, d’une suspension des échéances bancaires, mais surtout des annonces de concours de trésorerie directs.

Un numéro vert a été mis en place pour répondre aux dirigeants sur les aides auxquelles leur entreprise peut être éligible.

En revanche, à ce stade, aucune disposition ne fait formellement obligation aux établissements de crédit ou aux fournisseurs de consentir à des délais de règlement : il faut donc espérer que les établissements bancaires se montreront compréhensifs, bien que le contexte de l’épidémie devrait pouvoir être considéré comme un cas de force majeure justifiant des retards de paiements.

Par prudence, il est donc recommandé de se rapprocher sans tarder de son interlocuteur bancaire (ou fournisseur), afin de négocier, à l’amiable, des délais de règlement si cela est nécessaire.

Si une situation de blocage se cristallise, il pourrait éventuellement être envisagé, à terme, l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès du président du tribunal de commerce, afin d’obtenir l’assistance d’un professionnel pour négocier un rééchelonnement de la dette bancaire et/ou fournisseur .

Cette procédure présente en effet l’avantage d’être confidentielle, et permet en outre de pouvoir contraindre un créancier récalcitrant à consentir des délais de paiement, en saisissant le président du tribunal ayant ouvert la conciliation .

Le cas échéant, une procédure de sauvegarde pourrait également être envisagée : subordonnée à l’absence de cessation des paiements, la sauvegarde permet de « geler » le paiement des dettes antérieures au jugement d’ouverture, et donc de donner de l’oxygène en matière de trésorerie .

Bien que cette procédure soit publique (au sens où les tiers sont informés du jugement d’ouverture), la sauvegarde est néanmoins moins négative en termes d’image qu’un redressement judiciaire, cette dernière étant réservée aux entreprises déjà en cessation des paiements.

Dans les deux cas, à l’issue d’une période d’observation d’un an environ, un plan de règlement des dettes sur 10 ans pourra être obtenu auprès du tribunal de commerce.

Une solution adaptée existe pour chaque situation, mais il ne faut pas tarder pour agir !

Étienne FEILDEL, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat Associé

Dans une société qui développe progressivement une forte intolérance à la différence et à la souffrance, les inégalités naturelles deviennent des objets si scandaleux qu’il conviendrait soit de les compenser, soit de les nier : l’égalité en droit et en dignité se voit ainsi lentement substituer une injonction d’égalité en fait.

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Les exemples de cette dérive pernicieuse se font de plus en plus nombreux. On songe ainsi à la loi sur le « mariage pour tous » venue compenser l’infertilité naturelle des couples de même sexe en leur ouvrant la possibilité d’adopter des enfants, ou bien encore aux discussions actuelles sur la PMA et la GPA projetant d’aller plus loin encore sur cette voie.

Dans tous ces cas, l’impératif de la satisfaction du désir individuel parait devoir supplanter l’intérêt des enfants, des plus faibles.

On pense encore à toutes les initiatives récentes de « discrimination positive » qui, en favorisant artificiellement des individus considérés comme n’ayant pas bénéficié des mêmes chances que d’autres, défavorisent volontairement ces derniers : une égalité de fait est recherchée, aux forceps, au prix d’une discrimination, selon des critères plus ou moins arbitraires, soumis aux aléas des vicissitudes passagères de la politique et de la communication.

Le sujet des aidants sexuels paraît s’inscrire dans ce vaste mouvement aux résonances anthropologiques :

Certaines personnes handicapées ne pouvant aisément, par leur état, accéder au plaisir sexuel, quelques-uns ont suggéré l’aide de personnes, rémunérées ou non, pour leur faciliter l’accès à cette jouissance, par le moyen d’approches pouvant aller jusqu’à la pénétration.

Présentées comme sous-tendue par de bons sentiments, cette tentative comporte-t-elle des inconvénients ? Existe-t-il un risque de violer les droits ou la dignité d’une catégorie de personnes au bénéfice d’une autre ?

Aidants sexuels : ce que dit la loi

Il ne fait nul doute que la pratique des aidants est doublement proscrite par la loi.

* * *

D’une part, rémunérés ou non, les intermédiaires facilitant la rencontre entre une personne handicapée et un aidant sexuel se rendent coupable de proxénétisme.

En effet, l’article 225-5 du Code Pénal énonce que :

« Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :1° D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
2° De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3° D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.
Le proxénétisme est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »

Il est intéressant de relever que, dans le code pénal, les infractions relatives au proxénétisme figurent dans une section d’un chapitre intitulé « Les atteintes à la dignité de la personne humaine ».

* * *

D’autre part, depuis la Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, il est interdit d’acheter des actes sexuels : l’article 611-1 du Code pénal prévoit que l’infraction de recours à la prostitution est punie d’une contravention de cinquième classe (amende de 1 500 euros). En cas de récidive, l’amende est portée à 3 750 euros. Une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels est également prévue.

* * *

A rebours de l’état du droit positif, les partisans de la légalisation des aidants sexuels invoquent l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, lequel énonce que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Ils relèvent ensuite que les personnes handicapées, étant des êtres humains, ont nécessairement les mêmes droits que les valides : sur ces prémices, ils ajoutent qu’aider ceux qui ne le peuvent pas à accéder à la sexualité peut alors constituer un devoir en vue de garantir l’égalité.

Conçue, après guerre, comme un rempart protecteur de l’individu contre le totalitarisme, la convention est à présent utilisée comme cheval de Troie de l’individualisme contre l’état de droit.

* * *

En l’état des textes, il n’en demeure pas moins que la mise à disposition d’aidants sexuels, par exemple par un établissement de soins, reste passible de la qualification de proxénétisme, tandis que l’achat des services de ces aidants sexuels par les personnes handicapées est interdit.

Aidants sexuels et compensation du handicap

En 2005, la France s’est dotée d’une loi dite « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » (Loi n° 2005-102 du 11 février 2005), laquelle a notamment créé un droit à la compensation, dû par la collectivité aux personnes en situation de handicap.

Son article 11 (retranscrit dans l’article L.114-1-1 du Code de l’Action sociale et des famille) prévoit ainsi que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie ».

La Prestation de Compensation du Handicap (PCH), créée par la loi pour permettre ce droit à la compensation, peut être versée en espèces (pour le paiement des aides humaines par exemple) ou en nature (pour le financement d’aides techniques, l’aménagement du logement…)

Comme le note Madame Anne-Sophie PARISOT, attachée parlementaire, à l’occasion d’un article de 2008 :

« La compensation du handicap trouve ses racines dans les débats qui ont agité le Parlement, suite aux développements de l’arrêt Perruche en janvier-février 2002. Afin de contourner les conséquences de cet arrêt qui aurait conduit des parents à aller devant un tribunal pour réclamer la réparation intégrale, pour leur enfant, du préjudice d’être né handicapé, le législateur a préféré instaurer une compensation intégrale du handicap, assumée par la solidarité nationale. »

On se souvient que l’arrêt Perruche avait provoqué un débat important en 2002, puisque l’arrêt rendu par la Cour de Cassation revenait à indemniser une sorte de « préjudice d’être né ».

Madame PARISOT ajoute que :

« Tous les juristes connaissent, dans les cas d’accidents gravissimes de la route donnant lieu à procès, l’indemnisation du « préjudice sexuel ». (…) Longtemps intégré par les tribunaux au sein de l’incapacité permanente puis du préjudice d’agrément, le préjudice sexuel a récemment acquis, grâce à la jurisprudence, une existence autonome. (…) Dans le cas d’un handicap lourd, qui ne serait pas d’origine accidentelle, mais lié à la naissance, à une pathologie, ou à un accident de la vie, il peut y avoir une altération des facultés sexuelles. (…) Le préjudice pour la personne est le même. Par conséquent, si le législateur a posé le principe d’une compensation intégrale du handicap (…) il ne peut en exclure celui de la sexualité, un des droits essentiels de l’être humain. »

* * *

Cependant, le 4 octobre 2012, à la demande du gouvernement, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu un avis n°118 indiquant que :

« Délivrer un service sexuel à la personne handicapée entraîne des risques importants de dérives. D’une part, les bénéficiaires sont des personnes vulnérables et susceptibles d’un transfert affectif envers l’assistant sexuel possiblement source de souffrance ; d’autre part, rien ne peut assurer que l’assistant sexuel lui-même ne va pas se placer en situation de vulnérabilité par une trop grande implication personnelle dans son service. (…)

L’accompagnement embrasse des aspects relationnels, de réciprocité, de gratuité, alors que l’aide renvoie davantage à une réponse mécanique. Ainsi, on imagine mal que les personnes souffrant d’un handicap physique isolé se contentent d’une satisfaction par l’aide sexuelle. Elles ont, au même titre que toute personne (valide ou non), un besoin beaucoup plus large d’une vie sexuelle découlant d’une relation affective. L’aide sexuelle, même si elle était parfaitement mise en œuvre par des personnels bien formés, ne saurait à elle seule répondre aux subtiles demandes induites par les carences de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées

Certaines associations estiment que la mise en place des services d’aidants sexuels, en France, pourrait s’inscrire dans la démarche de compensation du handicap promue par la loi du 11 février 2005.  » La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. » (Art. L. 114-1-1). S’il existe de fait des droits liés à la sexualité (droit à une contraception, droit à une sexualité sans grossesse non désirée), pour autant on ne peut en déduire que la situation sexuelle spécifique des personnes handicapées doit être « indemnisée » par l’État comme si ce dernier était à l’origine du préjudice. C’est bien au seul plan de la solidarité et au nom des principes éthiques que la question se pose. L’affirmation contraire risquerait d’aller dans le sens de « l’émiettement des droits subjectifs » que le Doyen Carbonnier discernait dans les sociétés actuelles. En résumé : à toute liberté ne correspond pas un devoir à assumer par la collectivité. Force est de constater que de nombreuses personnes, hors tout handicap, ont des difficultés dans leur vie affective et sexuelle et que cela n’ouvre aucun « devoir » de la part de la société vis à vis d’elles. »

Aidants sexuels : situation dans les autres pays

La pratique des aidants sexuels n’a commencé à être discutée que récemment : cette pratique heurte de plein fouet la morale traditionnelle en occident, largement irriguée de principes chrétiens. De plus, jusqu’aux années 60, la majorité des personnes handicapées, moteur comme mentales, étaient prises en charges dans des institutions religieuses.

Dès les années 70, la baisse de la pratique religieuse a commencé à susciter le débat sur la question des aidants sexuels.

* * *

Dans les années 80, les USA ont été le premier pays à reconnaître le statut d’assistant sexuel (sexual surrogates).

Notons, et c’est important, que, en raison du risque d’attachement de l’aidé à l’aidant, les USA limitent à 12 le nombre de « sessions » avec le même Aidant Sexuel.

* * *

En 1982, en Europe, les Pays-Bas ont créé le premier service d’aide à la vie sexuelle : le SAR17.

En 2007, un service « concurrent » a vu le jour : Flex-Care.

Considérés aux Pays-Bas comme des soins, ces services sont remboursés par l’assurance maladie.

* * *

En 1995, l’Allemagne a mis en place un service de contact corporel (SENSIS) Dans le cadre duquel les aidants sexuels sont rémunérés pour leurs « services ». Mais seuls certains länder autorisent des caresses allant jusqu’à l’acte sexuel. L’opposition la plus forte à ce « service » se rencontre dans le sud de l’Allemagne, encore très catholique.

* * *

En 2002, la Suisse allemande a également mis en place des aidants sexuels (le FABS) et la suisse romande lui a emboîté le pas en 2008 (avec le SEHP).

* * *

Enfin, les services d’aidants sexuels existent également au Danemark, où ils sont pris en charge par l’assurance maladie, et en Catalogne.

* * *

Si ces pays ont décidé d’autoriser la pratique des aidants sexuels, ils demeurent très minoritaires : la grande majorité des pays, comme la France, la proscrivent.

La raison en est que cette pratique heurte de grands principes de nos démocraties occidentales.

L’opposition à la légalisation des aidants sexuels

De son côté, l’Eglise catholique demeure très ferme dans sa dénonciation de la prostitution, comme l’indique le point 2355 de son Catéchisme :

« La prostitution porte atteinte à la dignité de la personne qui se prostitue, réduite au plaisir vénérien que l’on tire d’elle. Celui qui paie pêche gravement contre lui-même : il rompt la chasteté à laquelle l’engageait son Baptême et souille son corps, temple de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 6, 15-20). La prostitution constitue un fléau social. Il touche habituellement des femmes, mais aussi des hommes, des enfants ou des adolescents (dans ces deux derniers cas, le péché se double d’un scandale). S’il est toujours gravement peccamineux de se livrer à la prostitution, la misère, le chantage et la pression sociale peuvent atténuer l’imputabilité de la faute. »

Elle n’est pas isolée.

Tout d’abord, la pratique des aidants sexuels entre en collision frontale avec la lutte contre la prostitution, l’un des chevaux de bataille des mouvements féministes.

Ainsi, en novembre 2010, à l’occasion d’une pétition contre l’assistance sexuelle, Madame Maudy PIOT (présidente de FDFA, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir) écrit :

« Créer ces services serait officialiser les rapports sexuels tarifés, définition même de la prostitution qui, en cette année, Grande Cause 2010, est pourtant clairement intégrée aux violences faites aux femmes (…). Car il ne faut pas se leurrer, 99% des demandes d’assistanat sexuel viennent des hommes ! »

Le 19 mai 2011, à l’occasion d’une tribune publiée dans le Magazine 50-50, Madame PIOT a ajouté que :

« Quel que soit l’habillage sémantique, les aidants sexuels (femmes ou hommes) représenteraient une forme de prostitution professionnalisée et spécialisée. (…) Notons que la demande émane à plus de 80% d’hommes handicapés, et que la réponse… est majoritairement assumée par des femmes. »

Le 21 avril 2011, à l’occasion d’une tribune publiée dans le journal Libération, Madame Roselyne BACHELOT-NARQUIN, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, s’est également dressée contre la qualification de « soin » que les tenants des aidants sexuels tentent d’attribuer à cette activité :

« Assimiler l’activité d’un aidant sexuel à la dispense d’un soin, c’est pervertir la fonction du “soignant professionnel”, en ignorer la substance éthique (…). L’État, qui n’a pas à intervenir dans l’intime, ne peut rembourser une “prestation” qui contredit tout à la fois notre idéal d’émancipation, notre conception du soin, de la sexualité et du travail. (…) Que vaut une étreinte si elle est tarifée ? »

Le 7 novembre 2011, interviewée sur Europe 1 par Monsieur FOGIEL, elle a ajouté :

« Soit cela relève du bénévolat et des relations interpersonnelles, et l’Etat n’a pas à intervenir, soit ce sont des relations rémunérées et cela s’appelle de la prostitution. »

Dans une tribune publiée par le journal Libération du 20 septembre 2011 , Madame Claudine Legardinier, Pour le collectif féministe Handicap, Sexualité, Dignité, écrit que :

« Les femmes, une nouvelle fois, seront les premières à en payer le prix. La « solution » des assistants sexuels, tiers rémunérés pour prodiguer des actes de nature sexuelle, relève juridiquement – inutile de se cacher derrière son petit doigt – de la prostitution. En quoi un acte prostitutionnel, quel que soit le joli nom qu’on lui donne, pourrait-il faciliter leur accès à une sexualité épanouie et dans la dignité ? La réponse n’est pas dans leur enfermement verrouillé auprès de quelques « aidant(e)s » qui ne feront qu’endormir notre culpabilité et nous épargneront d’être dérangés. (…)

Sait-on que dans ces pays, qui ont prétendu faire de la prostitution un « métier comme un autre » (pour les femmes bien entendu), les bordels usines sont en plein essor ? La prostitution est devenue un service public garanti à la moitié masculine de la population, les proxénètes sont promus au rang d’hommes d’affaires et les clients prostitueurs encouragés à consommer des femmes comme des McDo. Aujourd’hui, les bordels allemands pratiquent soldes, promotions, forfaits tout compris, réductions pour les seniors. La logique capitaliste, qui a fait du commerce du corps des femmes un business florissant, a engendré une explosion de la traite et de la criminalité. Les autorités voudraient bien faire marche arrière mais doivent désormais compter avec le pouvoir économique et politique croissant des tenanciers. »

Madame Anne-Marie DICKELE, rapporteur du CCNE pour son avis n°118, a elle-même déclaré que « 95% des demandes émanant des hommes, il y a un risque de subordination du corps des femmes au désir masculin. »

* * *

Au surplus, créer un service d’aidants sexuels comporte le risque de ghettoïser un peu plus les personnes handicapées, celles-ci étant invitées à rencontrer des partenaires sexuels derrière les murs d’institutions médicalisées, et ce de manière tarifée, perspective sordide s’il en est.

Ainsi, dans sa tribune du 24 mai 2011, Madame PIOT relève que :

« La prostitution, quel que soit son habillage, ne peut constituer une réponse. La réponse n’est pas plus dans l’enfermement des personnes handicapées dans l’attente d’une « prestation » supplémentaire, mais dans l’ouverture de l’environnement en termes de réelle accessibilité, pour permettre la multiplication des opportunités de rencontre. »


Monsieur André DUPRAS, Professeur Associé au Département de Sexologie de l’Université du Québec à Montréal, décrit particulièrement bien ce risque :

« Le danger d’enfermer les personnes handicapées dans un monde artificiel, mécanique et autosuffisant guette et n’est pas négligeable. Cette alternative, au lieu d’inclure la personne handicapée dans la communauté peut, au contraire, l’isoler. Au lieu d’être un mode d’adaptation, le recours à l’aide sexuelle directe risque d’être une inadaptation sociale aux attentes de sexualisation de la personne handicapée. »

* * *

Par ailleurs, la plupart des personnes ayant réfléchi à ce sujet dénoncent les risques graves que cette pratique pourrait faire peser sur les personnes handicapées, en raison de leur faiblesse : faiblesse physiques, mai aussi risque de dépendances affectives, les exposent tout particulièrement à des dérives.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, qle CCNE a d’ailleurs relevé :

« La personne handicapée mentale, par exemple, a une propension à se tourner vers autrui en confiance et les parents peuvent légitimement s’inquiéter du risque d’actes sexuels imposés ou subis, de la survenue d’IST mais aussi des grossesses qui, en outre, véhiculent facilement le spectre de la transmission du handicap. »

* * *

Enfin, beaucoup de personnes handicapées sont très mal à l’aise, et même humiliées, face à la question des aidants sexuels, car elles considèrent que ce genre de procédé consiste à prétendre apporter une solution technique à un problème humain qui ne sera pas résolu, le corps social se débarrassant ainsi à peu de frais de l’humanité des personnes handicapées, lesquelles sont, pour la plupart, bien plus qu’en simple recherche d’une jouissance sexuelle.

Ainsi, Monsieur le professeur André DUPRAS écrit :

« Si la prostitution peut répondre aux besoins d’ordre sexuel, elle ne saurait combler les carences en matière d’affection et de tendresse que cherchent naturellement à assouvir des personnes handicapées. (…)

« Affirmer que l’on fait l’amour pour satisfaire un besoin physique naturel reflète une vision simplifiée de la vie sexuelle. Cet argument consiste à attribuer une essence naturelle à la sexualité, soit celle d’être gouvernée par un besoin sexuel physique qu’il faut satisfaire rapidement, efficacement et sans effort. Pour éviter d’augmenter la misère sexuelle, Stiker (2008) recommande « qu’on ne touche pas à ces questions avec des schémas simplistes, avec la seule idéologie contemporaine : jouissez, jouissez. (…) Il ne suffit pas de dire jouissez pour que la sexualité des personnes handicapées soit reconnue, valorisée et exercée. Il faut aussi du sens. » (p. 240). Les solutions à la misère sexuelle des personnes handicapées ne devraient pas se limiter à soulager un corps sexué et sexualisé, mais également donner à ces personnes des moyens pour faciliter leur relation à l’autre. »

Droit à la jouissance : hypertrophie de l’individualisme

Les personnes handicapées demandeuses d’aidants sexuels ne sont pas les seules personnes privées d’activité sexuelle ou bien en difficulté sur ce point : la solitude se rencontre aussi chez les personnes valides.

Admettre le principe des aidants sexuels pour les handicapés conduira à des problématiques juridiques :

Pourquoi, en effet, ne pas étendre ce « service » aux personnes trop disgracieuses pour rencontrer l’âme sœur ? Aux personnes timides ? Aux personnes âgées ? Aux prisonniers ? Etc.

Ainsi, à l’occasion d’un article publié le 22 avril 2011 sur le site Atlantico, Monsieur Hugues SERRAF, journaliste et écrivain, résumé de manière très imagée :

« Qui aurait vraiment droit à ce service ? Les handicapés, OK, mais il y a handicap et handicap et ils ne sont tout de même pas les seuls à avoir des difficultés à trouver des partenaires. Et si « droit universel à la jouissance » il y a, quid des moches, des boutonneux, des trop grands, des trop petits, des trop gros, des trop maigres, des goitreux à l’haleine fétide et, évidemment, ça va sans dire, des mauvais coucheurs ? »

D’une manière générale, la mise en place des aidants sexuels reviendrait, pour l’Etat, à reconnaître un droit opposable à la jouissance.

Cette tentation d’un droit opposable à la jouissance est particulièrement symptomatique d’un tour d’esprit moderne consistant à conclure de l’existence même d’un être qu’il aurait le « droit au bonheur », là où l’on considère que la difficulté intrinsèque de la vie invite à considérer la possibilité du bonheur, la légitimité de sa recherche, le droit de proscrire les agissements d’autrui s’opposant abusivement à cette recherche ; la sagesse des siècles y a ajouté la distinction et la complémentarité de l’éros et de l’agapé.

L’individu contemporain semble de plus en plus encouragé à succomber au travers du narcissisme et à ne considérer que son intérêt propre, fut-ce au détriment d’autrui : dans cette logique, c’est tout l’univers qui doit servir le désir de l’individu et la sacralité de la personne humaine, dans toutes ses composantes, est perçue comme une vieillerie encombrante et inutile.

Pourtant, il est impossible de nier que l’utilisation du corps d’autrui à des fins exclusives de jouissance personnelle constitue une atteinte très forte à la dignité intrinsèque de cette autre personne, ravalée au statut d’outil sexuel.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, le CCNE en a été très conscient :

« On ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre. Il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles. Le CCNE considère qu’il n’est pas possible de faire de l’aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non utilisation marchande du corps humain. »

Ainsi, si l’Etat n’est pas là pour sonder les cœurs et les reins en s’introduisant dans l’intimité des individus, il a en revanche une obligation d’exemplarité qui lui impose de rejeter toute atteinte à la dignité humaine.

La compassion comme éthique

Mais, à l’époque des foules sentimentales, sans autre compas et boussole que l’impétuosité de leurs désirs, comment être encore soucieux de distinguer le bien du mal, le souhaitable de l’indésirable ?

Depuis quelques décennies, la notion même de bien commun passe trop souvent par pertes et profit : une bonne partie de la classe politique recherche d’abord et toujours l’approbation du public, dont sa réélection dépend, et n’a cure des conséquences de renoncements successifs qui s’accumulent jusqu’à l’absurde. De plus en plus de décisions politiques sont ainsi prises à l’issue de campagnes émotionnelles, orchestrées par des lobbys, toujours en exploitant des cas limites pour légitimer une vision de plus en plus dégradante de l’humanité.

L’émotion, la compassion, remplacent le bien public. La dignité de l’individu est sacrifiée aux émotions temporaires d’une actualité emballée. Toute réflexion réellement éthique est rendue impossible par le recours systématique à l’émotion et à la condamnation universelle de tous ceux qui oseraient ne pas pleurer sur le même mode que les donneurs de leçons.

A l’occasion de sa tribune publiée le 19 mai 2011, Madame Maudy PIOT écrivait ainsi :

« C’est enfin, pour la société, se déculpabiliser en nous enfermant dans notre rôle social d’handicapés, de « pauvres handicapés ». La compassion tient lieu ici de réflexion éthique. Ce ne sont ni le misérabilisme, ni les positions morales qui peuvent répondre au problème. Nous manquons singulièrement d’une réflexion approfondie sur ce qu’est la sexualité humaine dont fait partie la sexualité des personnes handicapées. »

Quelles réponses à la détresse des personnes handicapées ?

La mise en place d’aidants sexuels n’est pas une solution pour un pays attaché à la dignité humaine.

Mais alors, que faire face à l’immense misère des personnes les plus handicapées ? Mettre tout en œuvre pour rechercher les meilleures solutions alternatives : il n’est évidemment pas possible de balayer un tel problème sous le tapis et de s’en décharger.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, le CCNE a écrit :

« Comme tout un chacun, la personne handicapée a besoin en priorité de liens, d’une vie relationnelle satisfaisante et notamment d’être reconnue dans tous les aspects de son identité. Le premier d’entre eux est le fait d’être perçu ou situé comme homme ou comme femme avant même que soit abordée la question de la vie sexuelle : avoir une identité́ sexuée et non pas être un « ange ». De nombreux textes utilisent cette métaphore pour souligner la fréquente négation sociale de cette dimension de leur personne. Les rapports de notre vie en société́ sont sexués ; nous existons par rapport aux autres en tant en tant qu’êtres humains mais aussi en tant qu’hommes ou en tant que femmes. »

Il est donc très important que la société fasse évoluer son regard sur les personnes handicapées : plutôt que de le nier et de le cacher dans des institutions spécialisées, il convient de réaliser que le handicap fait partie de la vie, qu’il peut toucher tout un chacun, qu’il n’y a pas de différence intrinsèque de dignité entre une personne valide et une personne handicapée.

Le mot de la fin devrait appartenir à Madame PIOT qui, dans sa tribune du 19 mai 2011, écrivait :

« L’instauration des aidants sexuels, présentée comme une prestation destinée aux personnes lourdement handicapées, rémunérée, et éventuellement remboursée, représente à nos yeux une mauvaise réponse à une bonne question. La bonne question, c’est celle de la sexualité des personnes handicapées : la société prend enfin conscience de leur sexualité et de leur vie affective, et nous nous en réjouissons, on a trop longtemps voulu ignorer cette question, on a trop longtemps dénié aux personnes handicapées leur désir de vivre leur sexualité d’hommes et de femmes dans l’authenticité et la dignité, et de pouvoir créer une relation amoureuse. »

Hélas, le gouvernement, par la voix de Madame Sophie CLUZEL, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, vient d’indiquer que le gouvernement « est très favorable à ce qu’on puisse accompagner (la) vie intime, affective et sexuelle » des personnes handicapées.

En conséquence, Madame CLUZEL vient de saisir, à nouveau, le CCNE de cette question bien que celui-ci ait déjà, nous l’avons vu, censuré cette idée.

Mais voilà, à l’occasion de sa participation au Grand Rendez-vous Europe 1/CNews/Les Echos du 9 février dernier, Madame CLUZEL a estimé que « la société a mûri ». Sans doute faut-il comprendre par là que la notion de dignité de la personne humaine serait une notion à géométrie variable, que l’on peut désormais raboter parce que, depuis 2012, nous aurions grandi.

Emboîtant le pas à Madame CLUZEL, et sans doute dans une action coordonnée avec elle, un certain nombre d’articles sont déjà parus dans divers médias, étrangement tous en faveur de l’adoption des aidants sexuels. Contrairement aux débats qui avaient eu lieu en 2011 et 2012, plus une seule voix discordante ne semble pouvoir se faire entendre, et l’on peut déjà comprendre que le CCNE, qui doit lui aussi « grandir », va être soumis à une intense pression pour donner la « bonne » réponse à la question qui lui a été posée.

Malheureusement, le recours systématique depuis une cinquantaine d’années à cette rhétorique du « maintenant la société est prête » et à la mise en exergue de cas limites sur un mode sentimental paralysant toute réflexion éthique semble devoir être couronnée de succès pour démolir un à un les acquis civilisationnels protecteurs des plus faibles.

Au final, il conviendrait que de nombreuses voix s’élèvent pour rappeler à Madame CLUZEL que le caractère sacré de la personne humaine ne varie pas au gré des modes et des envies de transgression, et qu’il en va au contraire de l’honneur d’une civilisation d’engendrer des modes et des traditions qui incarnent un respect toujours plus exigeant de la dignité de la personne.


Julien MARCEL, Juriste
Bernard RINEAU, Avocat Associé

Dans les régions économiquement dynamiques comme les Pays de Loire, la problématique souvent rencontrée par une entreprise en matière de ressources humaines est d’arriver à recruter puis à retenir les salariés dont elle a besoin. Dans ce contexte, les mesures prises récemment par le gouvernement en matière de rémunération, au sens large, méritent attention.

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La loi de financement de la sécurité sociale n°2019-1446 du 24 décembre 2019 reconduit pour 2020 la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), mesure-phare adoptée suite à la crise des « gilets jaunes » (loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018).

Cette reconduction d’un dispositif qui a concerné un grand nombre d’entreprises et de salariés fin 2018/début 2019, se comprend : 5 millions de salariés auraient touché la PEPA, versés par plus de 400.000 entreprises pour un montant de 400 euros en moyenne. Cette prime exceptionnelle, pouvant atteindre 1.000 € par personne, était totalement exonérée d’impôt sur le revenu, de cotisations et contributions sociales (à différentes conditions).

Les employeurs qui voudraient faire à nouveau bénéficier leurs salariés d’un tel coup de pouce doivent toutefois être vigilants : la « PEPA 2020 » comporte plusieurs nouveautés.

En particulier, le Gouvernement en fait un levier pour promouvoir encore davantage un outil qui lui tient à cœur car permettant un partage de la valeur créée par les entreprises avec leurs salariés : l’intéressement des salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise (art. L.3311-1 et suivants du Code du travail).

La présentation des principales règles régissant la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2020 (I) est donc une excellente occasion de faire le point sur le mécanisme de l’intéressement (II). Celui-ci a fait l’objet de plusieurs réformes récentes qui en augmentent l’attractivité, surtout pour les entreprises de moins de 250 salariés.

I. La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2020

A) Des caractéristiques communes à la PEPA 2018-2019 …

La PEPA 2020 a de fortes ressemblances avec la version antérieure (« PEPA v1 »).

Tout d’abord, l’employeur a une totale liberté de verser cette prime, ou non. S’il décide de le faire, il peut en moduler le montant en fonction de différents critères : Classification, Rémunération, Durée du travail, Durée de présence effective pendant l’année écoulée…

Tout caractère discriminatoire est bien sûr interdit, et les congés pour cause de maternité, paternité ou adoption et le congé parental d’éduction sont pris en compte comme temps de présence effective.

Le montant maximum est toujours de 1.000 € et cette sommes exonérée de tout prélèvement social ou fiscal. On rappelle que les employeurs peuvent aller au-delà, la quote-part excédant mille euros étant alors intégralement cotisable et imposable.

Les salariés concernés par les exonérations sociales et fiscales sont toujours ceux ayant une rémunération inférieure à trois fois la valeur du SMIC annuel, soit en 2020 55.419 € bruts sur 12 mois pour un temps plein (35 heures hebdomadaires), le salaire minimum de croissance étant passé à 10,15 euros brut au 1er janvier.

Enfin, la PEPA ne doit pas se substituer à des augmentations de rémunération, ni à des primes prévues par ailleurs (accord salarial, contrat de travail ou usage), ni à aucun autre élément de rémunération.

S’agissant du formalisme, le montant de la prime ainsi que ses autres caractéristiques (critères, modulation entre les bénéficiaires, plafonnement…) peuvent toujours faire l’objet d’une décision unilatérale de l’employeur, qui en informe le Comité social et économique (CSE). Ils peuvent aussi donner lieu, comme précédemment, à un accord conclu de différentes façons :

  • accord collectif de travail entre l’employeur et un ou plusieurs délégués syndicaux ;
  • accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives ;
  • accord au sein du CSE à la majorité des représentants du personnel ;
  • ratification d’un accord proposé par l’employeur à la majorité des 2/3 du personnel.

B) … avec des nouveautés notables pour 2020

Tout d’abord, les modalités de détermination des salariés éligibles évoluent :

  • Les salariés bénéficiaires doivent être liés par contrat de travail à la date de versement de la prime. Dans la PEPA v1, les salariés devaient être en contrat au 31 décembre 2018 (ou à la date de versement si celle-ci était antérieure) ;
  • Le seuil de trois fois le SMIC brut mentionné ci-dessus s’apprécie sur les 12 mois qui précèdent le mois de versement de la prime, et non pas au cours de l’année civile précédente.

Un travail préparatoire minutieux s’impose donc pour correctement anticiper la date de versement de la PEPA 2020 et bien cibler les salariés.

Ensuite, la période de versement de la PEPA a augmenté : précédemment, la prime pouvait être versée au plus tard le 31 mars 2019. Avec la PEPA 2020, les employeurs ont jusqu’au 30 juin.
Surtout, les exonérations sociales et fiscales sont désormais conditionnées à la mise en place par l’entreprise d’un dispositif d’intéressement à la date de versement de la prime (sauf pour les associations et fondations reconnues d’utilité publique).

La durée d’un accord d’intéressement est en principe de 3 ans. Ceux conclus entre le 1er janvier et le 30 juin 2020 peuvent avoir une durée inférieure, à condition qu’elle soit au minimum de 1 an. Cette dérogation à l’article L3312-5 du Code du travail a comme objectif de permettre aux entreprises de tester les accords d’intéressement.

II. Une incitation continue en vue du développement des accords d’intéressement, dans tous les types d’entreprises

La politique menée par le Gouvernement va clairement vers un renforcement de l’intéressement et un certain recul de la participation, considérée comme trop contraignante.

Après avoir rappelé les principaux repères à avoir en matière d’intéressement (A), il convient de souligner en quoi ce dispositif concerne toutes les entreprises, quelle que soit leur taille (B).

A) Principaux repères relatifs à l’intéressement

1°/ Des règles générales laissant une grande latitude aux entreprises

L’intéressement (art. 3311-1 et s. du Code du travail) est une simple faculté, ouverte à toute entreprise à jour de ses obligations en matière de représentation du personnel. S’il est mis en place, il doit concerner tous les salariés.

L’intéressement permet d’attribuer chaque année aux salariés (et aux dirigeants dans les entreprises < 250 salariés) une somme plus ou moins élevée, dont le montant dépend des résultats ou de la performance de l’entreprise. Certaines entreprises versent ainsi l’équivalent d’un, deux voire trois mois de rémunération.

La formule de calcul qui détermine la somme attribuée aux bénéficiaires est élaborée librement par l’entreprise, même si elle doit respecter certains principes : les éléments du calcul doivent être liés aux résultats et/ou à la performance de l’entreprise et elle doit avoir un caractère aléatoire. En fonction de son activité, il peut s’agir d’indicateurs de qualité, de productivité, de satisfaction client, de sécurité, etc. Un faible aléa est suffisant mais il faut que ce caractère aléatoire existe, l’absence de tout résultat ou performance débouchant sur une absence de prime d’intéressement.
Une entreprise peut ainsi utiliser le mécanisme de l’intéressement pour orienter les comportements de ses salariés vers les objectifs qui lui sont propres, au travers du ou des critères déclenchant l’intéressement. Par exemple, une entreprise fabricant des produits en verre pourrait retenir la diminution du taux de casse comme critère, et une centrale de réservation de voyages choisirait le nombre d’appels entrants traités par jour.

L’entreprise est aussi libre de fixer les règles relatives à la répartition du montant global d’intéressement entre les salariés : de façon uniforme, proportionnellement au salaire ou au temps de présence, ou bien en combinant ces différents critères.

Des limites doivent être respectées. Elles sont relativement élevées, puisqu’il faut respecter :

  • Un plafond individuel : chaque salarié ne peut recevoir plus de 75% du PASS, soit 30.852 € en 2020 (jusqu’en 2019 ce seuil était fixé à 50%) ;
  • Un plafond collectif : l’intéressement total distribué ne peut excéder 20% des rémunérations annuelles brutes versées par l’entreprise.

L’intéressement constitue ainsi un outil de récompense de la performance collective, à utiliser parallèlement aux divers bonus et primes qui valorisent la performance individuelle.

2°/ Un régime social et fiscal incitatif

Contrairement aux bonus individuels, qui ont la nature de salaire, les primes d’intéressement n’entrent pas dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale. Du fait de ce régime favorable, le processus de mise en place d’un accord d‘intéressement implique (i) l’administration du travail (DIRECCTE) et (ii) l’URSSAF. Leur intervention vise à vérifier que les règles prévues pour bénéficier de cette exonération de cotisations sont bien respectées. Elle prémunit l’entreprise de tout redressement à l’avenir.

Un prélèvement obligatoire a toutefois alourdi le coût de l’intéressement au fil des années : le forfait social, qui pèse sur l’employeur, au taux de 20% (sauf rares exceptions). Jusque récemment, il pénalisait clairement le développement de l’intéressement. Depuis 2019, les entreprises de moins de 250 salariés sont exonérées de forfait social. Dans ces entreprises, l’employeur et les salariés sont dès lors exonérés de tout prélèvement obligatoire, hormis CSG / CRDS.

En termes d’impôt sur le revenu (IR), la prime d’intéressement peut être :

– soit complètement exonérée, si le bénéficiaire opte pour le versement sur un plan d’épargne salariale. La somme est bloquée un certain temps (durant 5 ans sur un PEE, jusqu’à la retraite sur un PERCO ou PERECO), mais il existe divers cas de déblocage anticipé ;

– soit assujettie à l’IR comme salaire, si le bénéficiaire en demande le versement immédiat.

Les sommes versées sont déductibles du bénéfice imposable de l’entreprise.

B) Une mise en place possible dans les entreprises de toutes tailles

Longtemps l’intéressement a été perçu comme réservé aux grandes entreprises. La nécessité de conclure un accord collectif, en particulier, était vu comme un frein : ne fallait-il pas avoir des interlocuteurs syndicaux, « privilège » rare et réservé aux employeurs importants ?

1°/ La conclusion d’accords à la portée de tous

Les possibilités sont maintenant nombreuses de conclure des accords collectifs même si aucun syndicat n’est présent dans l’entreprise ou le groupe. Ceci est particulièrement vrai en matière d’intéressement, et depuis de nombreuses années. Un dispositif d’intéressement est mis en place par la conclusion d’un accord d’entreprise ou de groupe, pouvant intervenir soit :

  • par convention ou accord collectif de travail, entre l’employeur et un/des délégués syndicaux ;
  • par accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives (salariés mandatés) ;
  • par accord conclu au sein du CSE, à la majorité des représentants du personnel ;
  • par ratification d’un projet d’accord proposé par l’employeur, à la majorité des 2/3 du personnel.

Ainsi la mise en place de l’intéressement est possible dans tout type d’entreprise, qu’elle ait plus ou moins de 50 salariés, qu’elle dispose ou pas d’un CSE, et que des syndicats y soient implantés ou non.

2°/ La possibilité de mise en place par décision unilatérale de l’employeur

Une nouveauté récente doit être signalée : dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’intéressement peut aussi être mis en place par décision unilatérale de l’employeur (DUE).

Ce cas de figure concerne les secteurs où un accord de branche a été conclu pour adopter un accord d’intéressement-type et à condition que cet accord ne propose qu’un seul modèle d’intéressement.

La possibilité est restreinte mais peut néanmoins apporter une solution dans certaines situations. La simplicité d’adoption d’une DUE est de nature à séduire de nombreux chefs d’entreprise.

* * *

Ainsi, tant les grandes entreprises que les TPE, PME ou ETI disposent d’outils variés et souples pour récompenser et motiver leurs salariés. Parfois leurs dirigeants peuvent aussi en bénéficier.

Le champ des possibles est vaste et permet à toute entreprise de développer une politique d’attractivité et de rétention des talents !

Xavier CAROFF, Avocat, en charge du Pôle Social
Bernard RINEAU, Avocat Associé

Fondé en 2009, le cabinet RINEAU & Associés poursuit son développement dans l’optique d’améliorer sans cesse la qualité d’accompagnement de ses clients, avec le souci permanent de préserver une réactivité optimum, aussi bien dans les activités de conseil que dans le cadre du suivi des dossiers contentieux.

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Nos précédentes communications vous avaient signalé l’intégration de nouvelles compétences en droit des affaires et en droit fiscal.

Nous sommes heureux de vous annoncer que Maîtres Jean-Eloi de BRUNHOFF et Xavier CAROFF ont fait le choix de nous rejoindre :

  • Maître Jean-Eloi de BRUNHOFF prend en charge le pôle d’activités dédié à toutes les problématiques de droit pénal, et tout particulièrement de droit pénal des affaires,
  • Maître Xavier CAROFF va assurer le renforcement des capacités d’intervention du cabinet en droit social, aussi bien en conseil qu’en contentieux.

Par ailleurs, le développement des activités du cabinet en Vendée suggérait de disposer de bureaux à LA ROCHE SUR YON : c’est chose faite.

Enfin, notre cabinet continue une diffusion régulière d’articles sur différents sujets de droit des affaires, lesquels illustrent l’étendue de la palette de nos interventions : vous trouverez à cette adresse nos publications de l’année 2019, dont certains d’entre vous ont déjà eu connaissance via nos canaux habituels de diffusion.

Bernard RINEAU, fondateur, associé gérant

Cet article vise spécifiquement le régime fiscal applicable à la plus ou moins-value résultant d’un apport de titres détenus par une personne physique au bénéfice d’une société de capitaux ou assimilée soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

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Au préalable, il convient de noter que les plus-values résultant de cessions à titre onéreux (vente, apport, échange, partage, etc…) de valeurs mobilières et de droits sociaux, réalisées directement par une personne physique ou par une personne interposée, sont en principe imposables (CGI, art. 150-0 A).

Toutefois, selon le cas en présence, le législateur prévoit soit un régime de sursis d’imposition (A) soit un régime de report d’imposition (B). Depuis la loi de finances rectificative pour 2016, l’éventuelle soulte est quoi qu’il en soit imposée (C).

A. Le dispositif de sursis d’imposition

1. Les conditions d’application de sursis d’imposition

En application de l’article 150-0 B du CGI, un dispositif de sursis d’imposition s’applique automatiquement aux plus et moins-values résultant de certaines opérations d’échange de titres à l’occasion, notamment, d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

Globalement, le sursis d’imposition s’applique aux conditions cumulatives suivantes :

  • L’opération d’apport est réalisée à compter du 1er janvier 2000 ;
  • La société bénéficiaire de l’apport est soumise à l’IS ;
  • la société bénéficiaire de l’apport n’est pas contrôlée par l’apporteur ;
  • le montant de la soulte (distincte d’une indemnisation de rompus), reçue éventuellement par l’apporteur, n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.  Cette condition s’apprécie au niveau de chaque contribuable concerné. En l’absence de valeur nominale des titres, cette condition s’apprécie par rapport au pair comptable de ces mêmes titres.

Depuis le 1er janvier 2017, la plus-value correspondant au montant de la soulte est imposée immédiatement (cf. point C).

2. Les conséquences du sursis d’imposition

  • L’année de l’échange des titres

L’année de l’échange des titres, le régime du sursis d’imposition de la plus ou moins-value d’échange s’applique automatiquement sans que le contribuable n’ait besoin d’en faire la demande (opération intercalaire).

En cas d’échanges successifs de titres, le sursis d’imposition s’applique de la même façon, toutes conditions étant remplies.

En conséquence, au titre de l’année de l’échange des titres, la plus ou moins-value n’est ni constatée, ni déclarée.

Nb : l’absence de déclaration nécessite que le contribuable veille à mettre en place un suivi (preuve).

  • L’année de la cession, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres

Tout d’abord, il convient de noter que la cession, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus à l’échange entraîne l’imposition de la plus-value nette en sursis d’imposition.

S’agissant de l’assiette, le gain net taxable est calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres remis à l’échange, le cas échéant diminué de la soulte reçue qui n’a pas fait l’objet d’imposition au titre de l’année de l’échange, ou majoré de la soulte versée.

S’agissant du taux, le gain net taxable est soumis au régime d’imposition en vigueur l’année de la cession (ou rachat, remboursement, annulation) des titres remis à l’échange.

En l’occurrence, si la cession intervient en 2019, le gain net taxable sera soumis soit, au PFU (taux global de 30%) soit, pour les titres acquis avant le 1er janvier 2018, sur option expresse et irrévocable du contribuable, au barème progressif de l’IR après application de certains abattements le cas échéant (CGI, art. 150-0 D).

Nb : l’option au barème progressif de l’IR est une option globale.

B. Le dispositif de report d’imposition

1. Les conditions d’application du report d’imposition

En application de l’article 150-0 B ter du CGI, les plus-values d’apport de titres réalisées, directement ou indirectement, par une personne physique au bénéfice d’une société soumise à l’IS et contrôlée par l’apporteur sont soumises au régime du report d’imposition.

Nb : les moins-values d’apport de titre sont exclues du régime du report d’imposition.

Globalement, le report d’imposition s’applique aux conditions cumulatives suivantes :

  • L’opération d’apport est réalisée à compter du 14 novembre 2012.
  • La société bénéficiaire de l’apport est soumise à l’IS.
  • L’apport est réalisé par une personne physique domiciliée fiscalement en France dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés ou groupements « translucides » soumis au régime des sociétés de personnes visées à l’article 8 du CGI.
  • la société bénéficiaire de l’apport est contrôlée par l’apporteur. Le contrôle est apprécié à la date de l’apport.
  • le montant de la soulte (distincte d’une indemnisation de rompus) reçue éventuellement par l’apporteur n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

Depuis le 1er janvier 2017, la plus-value correspondant au montant de la soulte est imposée immédiatement (cf. point C).

2. Les conséquences du report d’imposition

  • L’année de l’échange des titres

Les règles d’assiette et de liquidation de la plus-value d’échange des titres sont celles en vigueur l’année de l’apport (Cons. const. 22-4-2016 n° 2016-538 QPC).

Ainsi, la plus-value réalisée au titre de l’opération d’apport est déterminée dans les conditions prévues à l’article 150-0 D du CGI et les traitements suivants sont susceptibles de s’appliquer s’agissant :

  • des apports réalisés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 : application du seul abattement de droit commun ou renforcé mentionné à l’article 150-0 D, 1 du CGI dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017 (CGI art. 200 A, 2 ter-a-2°).
  • des apports réalisés à compter du 1er janvier 2018 : PFU ou, s’agissant des titres acquis avant le 1er janvier 2018, option globale pour le barème progressif après application éventuelle de certains abattements le cas échéant (CGI, art. 150-0 D).

Nb : lorsque les titres apportés ont été reçus dans le cadre d’une opération d’échange relevant de l’article 150-0 B du CGI, la plus-value d’apport est calculée à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres précédemment échangés, le cas échéant minoré de la soulte reçue, ou majoré de la soulte versée lors de cet échange.

Par ailleurs, dans le mesure où le report d’imposition a pour effet de cristalliser tant la plus-value que l’impôt lui-même, la règle de taxation est celle en vigueur à la date de l’apport (taux historique) en matière d’IR, de prélèvements sociaux et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

En d’autres termes, l’imposition effective de la plus-value est décalée jusqu’à l’événement mettant fin au report d’imposition.

  • L’année de l’événement mettant fin au report

L’imposition effective de la plus-value aura lieu l’année durant laquelle intervient l’un des événements suivants mettant fin au report :

  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus en contrepartie de l’apport ;
  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres apportés à la société bénéficiaire dans un délai de trois ans à compter de l’apport, sauf si la société bénéficiaire s’engage à réinvestir dans un délai de deux ans, à compter de la cession, au moins 60 % du produit de la cession dans une activité économique.
  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des parts ou droits dans les sociétés ou groupements interposés.
  • le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l’article 167 bis du CGI au titre de « l’exit tax ».

Nb : le maintien du report d’imposition n’est plus limité à deux opérations successives entrant dans le champ des articles 150-0 B et 150-0 B ter s’agissant des opérations d’apports ou d’échanges réalisés à compter du 1er janvier 2016.

C. Le régime fiscal application à la soulte dans le cadre du dispositif de sursis et de report d’imposition

Avant la loi de finances rectificative pour 2016, la plus-value résultant d’une opération d’échange de titres qui donnait lieu au versement d’une soulte inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres échangés pouvaient être placées sous le régime du sursis ou du report d’imposition.

L’effet d’aubaine était le suivant : appréhender une partie de la trésorerie excédentaire d’une société en franchise totale d’impôt à concurrence d’un montant égal à la soulte.

Globalement, la pratique fut donc la suivante :

  • Les praticiens appliquaient régulièrement cette soulte ;
  • L’administration fiscale appliquait régulièrement l’abus de droit, pour fraude à la loi.

Depuis la loi de finances rectificative pour 2016, la mise en place d’une soulte inférieure à 10% de la valeur nominale des titres échangés est une pratique qui n’a plus d’intérêt fiscal.

En effet, bien que la soulte soit inférieure à 10% de la valeur nominale des titres et qu’elle soit justifiée d’un point de vue fiscal, la plus-value d’échange de titres est soumise à une imposition immédiate à concurrence du montant de cette soulte.

En conséquence, le régime fiscal actuel appelle deux remarques :

  • La mise en place d’une soulte dans le cadre d’une opération d’échange de titres n’a plus « d’intérêt fiscal » ;
  • La mise en place d’une soulte supérieure à 10 % de la valeur nominale des titres entraîne la taxation immédiate et intégrale de la plus-value d’échange de titres.

D. Conclusion

Afin de garantir l’application du régime fiscal actuel du sursis ou du report d’imposition de la plus-value d’échange de titres assortie d’une soulte, il convient d’être vigilant concernant la détermination de cette soulte.

A ce titre, l’attention doit notamment être portée sur le fait que :

  • Le montant de la soulte est un calcul « en dedans » ;
  • Le montant de 10% est déterminé sur la base de la valeur nominale des titres hors prise en compte de la prime d’émission, le cas échéant (Cons. const. 16-6-2017 n° 2017-638 QPC).

Marc TEGNÉR, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat Associé

L’Etat, les collectivités publiques et les entreprises qui travaillent pour leur compte, telles les sociétés concessionnaires d’autoroutes, sont responsables des dommages causés par les ouvrages dont ils ont la garde ou par les travaux publics entrepris.

travaux publics

Toute victime d’un accident ou d’une gêne de quelque sorte dont l’une des causes peut être attribuée à un ouvrage public ou un travail public peut, si certaines conditions sont réunies, demander une indemnisation auprès de la personne publique ou de son cocontractant privé responsable.

Pour savoir si l’on est en mesure d’engager la responsabilité de l’administration et d’obtenir une indemnisation, il convient, au préalable de se poser plusieurs questions.

I. Le dommage provient-il d’un ouvrage public ou d’un travail public ?

Les dommages résultant d’un ouvrage public ou d’un travail public rassemblent des situations très diverses.

Différentes situations peuvent être distinguées.

Les dommages résultant de l’exécution de travaux publics

Aux termes de la jurisprudence administrative, constitue un travail public, « tout travail immobilier effectué par une personne publique ou pour le compte de celle-ci, dans un but d’intérêt général » (CE, 10 juin 1921, Cne de Montségur, Rec.573) ou dans le cadre d’un service public (T.C., 28 mars 1955, Effimief, Rec.617).

La même définition a été adoptée par la Cour de cassation (Cass. civ., 16 juillet 1936, Ville Marseille : S. 1936, 1, p. 326).

Cette hypothèse concerne les opérations réalisées sur un immeuble, pour le compte d’une personne publique, dans un but d’utilité générale.

Ainsi, il peut s’agir de travaux de voirie, d’enfouissement de réseaux, de travaux d’infrastructures et d’équipement comme la construction d’une nouvelle ligne de tramway ou de métro, d’une autoroute ou d’une voie de chemin de fer.

Les préjudices subis peuvent être visuels, sonores, olfactifs, matériels telles que l’apparition de fissures sur un immeuble voisin ou économiques dans les cas où le déroulement des travaux gêne l’accès à un commerce et entraîne une diminution de son chiffre d’affaire.

Les dommages résultant de l’existence même d’un ouvrage public

S’agissant de l’ouvrage public, le Tribunal des Conflits a exposé que ce dernier disposait de trois caractéristiques propres : celle d’immeuble, affecté à un but d’utilité publique et ayant subi un certain aménagement (T. Confl., 10 novembre 1900, Préfet des Bouches du Rhône c/ Espitalier : S 1901,3, p.33).

Par un avis contentieux d’assemblée, le Conseil d’Etat propose une définition similaire en précisant d’une part, qu’un ouvrage peut être qualifié d’ouvrage public par détermination de la loi et d’autre part, qu’un ouvrage public peut appartenir à une personne privée si elle est en charge de l’exécution d’un service public (CE, avis, 29 avril 2010, Époux Béligaud, n° 323179, Rec. CE 2010, p. 126).

* * *

Tel est le cas lorsqu’un ouvrage appartenant à une personne privée a été matériellement incorporé à l’ouvrage public d’une personne publique et en devient une dépendance. Parce qu’il fait corps avec l’ouvrage public, il sera, par application de la théorie de l’accessoire, assimilé à un tel ouvrage.

Ainsi, les branchements particuliers d’eau, de gaz ou d’électricité sont généralement réalisés par un entrepreneur au profit du propriétaire riverain de la voie publique, et ils ne réunissent alors aucun des éléments des deux définitions des travaux publics (T. confl., 25 janvier 1982, Quintard : CJEG 1982, p. 307, note P. Sablière).

Seulement, après leur achèvement, ils s’incorporent à la voie publique et au réseau principal jusqu’au compteur de l’abonné et constituent des ouvrages publics (CE, sect., 22 janvier 1960, Gladieu : Rec. CE 1960, p. 52. – V. aussi T. confl., 28 avr. 1980, Arbey : CJEG 1982, p. 307, note P. Sablière).

La qualification publique des travaux ou d’un ouvrage ne dépend nullement de la nature privée ou publique du domaine sur lequel ils sont effectués (T. Confl. 24 octobre 1942, Préfet des Bouches du Rhône : Rec. CE 1943, p.318).

En outre, un ouvrage public peut parfaitement être réalisé par une personne privée à des fins d’intérêt général, comme le Tribunal des conflits l’a déjà jugé dans sa décision M.A.C.I.F (T. confl. 18 décembre 2000, req. n°3225)

* * *

Les dommages concernés sont ceux qui, du fait d’un ouvrage public édifié, par sa seule présence, son exploitation ou sa mauvaise implantation, créent des désagréments de voisinage.

Il peut s’agir des préjudices visuels, sonores et de perte de valeur vénale dus à l’implantation d’infrastructures de transport (routes, voies de chemin de fer), mais également de préjudices résultant d’ouvrages publics inesthétiques (poteaux électriques par exemple, qui restent des ouvrages publics, même après le changement de statut d’EDF).

Les dommages résultant des modalités d’entretien ou de fonctionnement d’un ouvrage public

Cette hypothèse recouvre les défauts d’entretien, le mauvais fonctionnement d’un ouvrage public ou le défaut de signalisation d’un danger causé par un ouvrage.

Ainsi, peuvent engager la responsabilité de la personne publique la déformation d’une chaussée ou encore le défaut de signalisation d’un chantier en cours ou même le défaut d’entretien d’un escalier métallique dans une station de sport d’hiver lorsque ces éléments de fait ont été l’une des causes d’un dommage.

Les dommages résultant de l’inexécution d’un travail public ou de l’absence d’un ouvrage public

Dans cette dernière hypothèse, c’est l’inertie de la collectivité qui génère l’engagement de sa responsabilité.

Cette hypothèse couvre, notamment, les dommages causés aux riverains par le ruissellement d’eaux de pluie sur des voies publiques dépourvues de tout ouvrage d’évacuation des eaux pluviales.

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Le dommage résultant de travaux publics ou d’ouvrages publics peut ainsi être constitué, soit par une atteinte à une personne (atteintes corporelles après une chute), soit par une atteinte un bien (préjudices matériels et commerciaux subis par les exploitants d’un commerce).

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Le dommage peut également être qualifié d’accidentel, de temporaire ou de permanent :

  • Les dommages accidentels résultent d’un événement imprévu, imprévisible. Ainsi, la chute sur une chaussée déformée est qualifiée de dommages accidentels de travaux publics. Il en est de même de l’incendie d’une décharge qui, générant une épaisse fumée, entraîne un accident sur une route nationale.
  • Les dommages reconnus comme temporaires ou permanents seront ceux qui auront un caractère durable dans le temps. Les préjudices commerciaux tels que les diminutions de chiffre d’affaire, résultant de la proximité de travaux sur les voies publiques ou de grandes opérations d’aménagement, sont assimilés à des dommages temporaires de travaux publics s’ils sont constatés uniquement le temps des travaux et de dommages permanents s’ils perdurent ensuite.

Dans le cas d’un dommage permanent, ledit dommage peut être considéré comme évolutif ou non évolutif.

II. Quelle qualité avez-vous vis-à-vis de l’ouvrage ou du travail public en cause ?

Cette deuxième question est importante car elle détermine le régime juridique qui sera appliqué pour engager la responsabilité de la personne publique.

En effet, en matière de dommage accidentel il faut distinguer en fonction de la qualité de la victime par rapport à l’ouvrage ou au travail à l’origine duquel résulte le dommage.

Le participant

La victime peut être un participant c’est-à-dire une personne qui participait à la réalisation des travaux au moment du dommage (ouvrier, employé, entrepreneur).

L’usager

La victime peut être un usager de l’ouvrage c’est à dire la personne qui l’utilise de façon personnelle et directe.

Le seul fait de bénéficier d’un ouvrage ne confère pas pour autant la qualité d’usager : dans le cas des réseaux d’évacuation des eaux pluviales ou d’assainissement, l’administré n’a la qualité d’usager qu’à l’égard de son branchement particulier, mais demeure tiers à la canalisation principale et au reste du réseau d’évacuation.

En matière de travaux, la victime peut être considérée comme usager si elle est bénéficiaire des opérations de travaux publics lui ayant causé un dommage peu importe qu’elle ait réclamé ces travaux ou pas.

Le tiers

La victime « tiers » quant à elle est celle qui n’utilise pas l’ouvrage public à la date de l’accident.

Par exemple, le piéton qui chute dans une excavation réalisée dans le cadre d’un chantier de construction d’une ligne de tramway à la qualité de tiers à l’égard du chantier.

De même, le riverain d’une ligne de TGV ou d’une autoroute peut subir des préjudices sonores et visuels, ainsi qu’une perte de valeur vénale de son bien, en raison de la présence de l’ouvrage public.

* * *

Dans certaines situations il est difficile de distinguer entre la qualité de tiers et d’usager, il est nécessaire d’examiner les faits au cas par cas.

III. Quel régime s’applique à vous ?

Quel que soit le régime spécifique applicable, il sera nécessaire, à titre liminaire, d’établir la preuve de :

  • La réalité des préjudices subis :

En cas de préjudices corporels, une attestation par un médecin ou, en cas de préjudices conséquents, une expertise médicale évaluant l’étendu de vos préjudices sont indispensables.

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En cas de préjudices matériels, des photographies, un constat d’huissier ou des documents comptables permettant d’établir la diminution d’un chiffre d’affaire sont également nécessaires en matière de preuve.

Ces éléments peuvent justifier de recourir à un référé constat d’urgence ou à une procédure de référé expertise pour faire constater contradictoirement, et de façon impartiale par un expert judiciaire, la réalité et l’étendue des préjudices subis.

  • Le lien de causalité :

Il est impératif d’établir l’existence du lien de causalité entre l’ouvrage public ou les travaux publics en cause et les préjudices subis.

La preuve de ce lien de causalité peut s’avérer difficile.

Aussi, il est important de ne pas la négliger en procédant à des analyses, des constats d’huissier ou des attestations de témoins, et au besoin à une expertise judiciaire.

La suite du régime juridique applicable dépend entièrement de la qualité que la victime acquiert vis-à-vis de l’ouvrage.

Si vous être participant à un travail public lors d’un dommage accidentel : régime de responsabilité pour faute

Dans cette hypothèse, en plus de prouver la réalité de vos préjudices et le lien de causalité, il vous sera nécessaire de prouver une faute de la part de la personne publique responsable ou de la personne privée étant intervenue ou agissant pour son compte.

Ce régime ne s’applique pas en revanche si vous êtes qualifié de collaborateur occasionnel du service public.

Si vous êtes usager de l’ouvrage ou des travaux lors d’un dommage accidentel : régime de responsabilité pour faute présumée

Ce régime de responsabilité nécessite également que l’administration mise en cause ait commis une faute : on parle de responsabilité pour « défaut d’entretien normal de l’ouvrage ».

Toutefois, cette faute étant présumée, la victime n’a donc pas besoin d’en apporter la preuve.

L’administration pourra néanmoins se défendre en apportant la preuve qu’elle a correctement entretenu l’ouvrage à l’origine du dommage et qu’elle n’a donc commis aucune faute (voir par exemple, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 9 novembre 2018, req. n°17NT00481 et req. n°17NT00507).

Si vous êtes face à un dommage permanent ou temporaire ou si vous êtes tiers à l’ouvrage lors d’un dommage accidentel : régime de responsabilité sans faute

Ce régime s’applique :

– en cas de dommage permanent ou temporaire
– en cas de dommage accidentel si vous avez la qualité de tiers par rapport à l’ouvrage.

Dans cette hypothèse la collectivité est responsable même sans l’existence d’une faute.

La difficulté réside dans le fait qu’il vous sera nécessaire de démontrer l’existence d’un préjudice anormal et spécial.

Sur le préjudice anormal

Le préjudice anormal est un préjudice qui excède les inconvénients normaux que l’on peut habituellement attendre que vous supportiez compte tenu de l’intérêt général de l’ouvrage en cause (voir, par exemple, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 21 octobre 2016, n°15NT01272).

Par exemple, le voisin d’un ouvrage public peut demander une indemnisation du fait des troubles de voisinage générés par lui, comme les bruits, les odeurs, l’humidité, à la double condition que la gêne soit réellement importante et que l’ouvrage ait été implanté postérieurement à l’acquisition de sa propriété.

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Toutefois, le dommage n’est pas considéré comme anormal si la victime s’y est exposée en connaissance de cause, autrement dit si le dommage était prévisible.

Aucune indemnité ne peut alors être accordée.

La jurisprudence considère que si la construction, la mise en fonctionnement ou la modification des conditions de fonctionnement de l’ouvrage public source d’un dommage est antérieure à l’acquisition, la construction ou la location du bien qui subit le dommage alors celui-ci ne doit pas être considéré comme anormal pour la simple raison que la victime devait savoir à quoi elle s’exposait (CE, 4 juillet 1980, Seita et Époux Lecourt : Rec. CE 1980, p. 924).

A cet égard, le juge administratif se place avant le démarrage des travaux, à compter même de la déclaration d’utilité publique pour apprécier si l’intéressé devait connaître le projet de travaux envisagé à proximité d’un commerce (CAA Nancy, 14 mars 2013, Société Quality Voyage, req. n° 12NC00940).

De plus, dès lors que le requérant a sciemment le choix d’installer sa résidence à proximité d’un ouvrage public, il ne peut demander une indemnisation liée à sa présence (CAA Paris, 12 décembre 1991, MM. Pascal et Maurice X, Req. n°89PA01584 ou CE, 31 janvier 1968, Société d’économie mixte pour l’aménagement et l’équipement de la Bretagne et autre, n°70891).

Sur le préjudice spécial

Le préjudice spécial se définit comme le préjudice qui ne concerne qu’une personne ou un nombre limité de personnes.

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En matière de préjudice commercial, un préjudice peut être qualifié d’anormal et spécial si les travaux incriminés ont rendu l’accès à un commerce particulièrement difficile pendant une durée prolongée, ou s’ils entraînent une privation totale d’accès. Il en est de même lorsqu’un hôtel ou un restaurant sont privés de vue par la construction d’un ouvrage public.

Pour être démontré, le préjudice doit s’accompagner d’une baisse du chiffre d’affaire ou d’une diminution effective de l’activité en lien avec les travaux litigieux.

IV. Qui est responsable ?

Avant de vous adresser au juge administratif, seul compétent en matière de dommages qualifiés de travaux publics, il vous faut impérativement, et ce depuis le 1er janvier 2017, adresser une demande préalable d’indemnisation à la personne responsable.

Dans ce courrier, il faut demander directement, dans un premier temps, à la personne responsable la réparation de vos préjudices.

Ce n’est qu’en cas de refus, qu’il soit explicite ou implicite, et dans un délai de deux mois que vous pourrez saisir le tribunal administratif compétent d’un recours indemnitaire.

Pour cela il est nécessaire d’identifier quelle est la personne susceptible d’être responsable.

Personnes publiques

En principe, la personne responsable est le maître de l’ouvrage, c’est-à-dire le plus souvent la personne publique propriétaire qui a la charge de l’entretien de l’ouvrage.

Dans cette hypothèse il est nécessaire d’être vigilant à la personne publique en cause qui peut être l’Etat, la région, le département, une commune, un établissement public, etc.

Par exemple, la responsabilité résultant d’un défaut d’aménagement des routes nationales ou départementales traversant une agglomération incombe à la personne publique propriétaire, l’Etat ou le département selon les cas.

Concessionnaires

Il arrive qu’une personne publique délègue à une société privée la construction et ou l’exploitation d’un ouvrage public.

Lorsque seule l’exploitation de l’ouvrage a été déléguée, les dommages imputables au fonctionnement d’un ouvrage public entraîneront la seule responsabilité de la société privée gestionnaire, hors cas d’insolvabilité.

La responsabilité de la personne publique ne pourrait être engagée qu’en cas d’insolvabilité de la société : dans ce dernier cas, les dommages causés par l’existence, la nature ou le dimensionnement de l’ouvrage restent à la charge de la personne publique délégante.

Lorsque l’exécution de travaux a été déléguée à une société privée dans le cadre d’un contrat de concession, les dommages causés par ceux-ci engage la seule responsabilité de la société hors cas d’insolvabilité.

Entrepreneurs

Lorsque les travaux sont exécutés par un entrepreneur pour le compte d’une personne publique ou d’un concessionnaire et que celui-ci cause un dommage, alors la victime à le choix de poursuivre soit l’entrepreneur soit le maître d’ouvrage soit les deux solidairement.

V. La prescription est-elle acquise ?

Pour que l’action puisse être intentée, il faut, en principe, conformément à la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale, que la demande indemnitaire préalable soit envoyée dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle le dommage a été constaté.

Dans un arrêt du 6 novembre 2013, n°354931, le Conseil d’Etat a rappelé que le délai de cette prescription quadriennale courait à compter de la date à laquelle les préjudices sont connus et pouvaient être exactement mesurés : dans le cas de la réparation d’un préjudice permanent à caractère évolutif, le délai de prescription peut n’avoir pas encore commencé à courir.

La distinction entre dommages évolutifs et non évolutif peut donc s’avérer très utile pour s’assurer que le délai de 4 à 5 ans est, ou non, expiré.

Dans ce dernier arrêt, la privation de vue résultant d’un ouvrage public a été considérée comme un préjudice permanent non évolutif, tandis que le bruit d’une pompe à chaleur était permanent et évolutif : l’action indemnitaire était prescrite dans le premier cas, mais pas dans le second.

VI. Quel est le juge compétent ?

Compétence de principe du juge administratif

En vertu de l’article 4 du titre II de la loi du 28 pluviôse an VIII, les litiges afférents soit à un marché de travaux publics, soit à un dommage de travaux publics (celui-ci pouvant trouver son origine dans l’exécution d’un travail public ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public) sont exclusivement attribués à la juridiction administrative.

Malgré l’abrogation de cet article par l’article 7, IV,11° de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de confirmer la compétence de la juridiction administrative en la matière (CE, 7 août 2008, Société anonyme de gestion des eaux de Paris, Req. n°289329 ; plus récemment : CE, 9 décembre 2011, Commune d’Ales, Req. n° 342283).

Le Tribunal des Conflits en a fait tout autant (T.C., 28 mars 2011, cne de la Clusaz, Req. n° C3773, T.Rec).

La juridiction administrative est donc, en principe, seule compétente pour connaître des actions tendant à la réparation des dommages de travaux publics, quel que soit le défendeur, entrepreneur, concessionnaire, personne publique (CE, 18 novembre 1832, Préfet Doubs : Rec. CE, 1re série, vol. 5, p. 240).

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A travers la notion de dommage de travaux publics qui revêt un caractère attractif (CE, sect., 11 janvier 1957, Sté le Palace : Rec. CE 1957, p. 30), il faut entendre indifféremment le dommage causé par un ouvrage achevé ou par un travail en cours d’exécution.

En conséquence, la distinction entre ouvrage public et travail public est sans portée au plan des règles de compétence.

La juridiction administrative connaît à la fois des dommages dus à un ouvrage (achevé, en cours d’exécution, à l’état de projet ou qui aurait dû exister) ou aux travaux de construction et d’entretien de cet ouvrage (effectués ou qui auraient dû l’être).

Par ailleurs, il est intéressant de relever que tant le Tribunal des Conflits que le Conseil d’Etat considèrent « que l’implantation, même sans titre, d’un ouvrage public sur le terrain d’une personne privée ne procède pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration » (T. confl. 17 juin 2013, M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy Léman, n° C3911) et que par conséquent la juridiction administrative est compétente pour statuer en la matière.

Compétence résiduelle du juge judiciaire

Le juge judiciaire est en revanche compétent en cas de voie de fait c’est-à-dire dans les cas où l’administration a pris une décision manifestement insusceptible de se rattacher à ses pouvoirs causant une atteinte à une liberté individuelle ou à l’extinction totale du droit de propriété.

Cette hypothèse demeure rare : comme vu précédemment le simple empiétement ou l’atteinte partielle au droit de propriété n’entraîne plus la compétence du juge judiciaire depuis l’arrêt du 17 juin 2013 du tribunal des conflits.

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En outre, le juge judiciaire est également compétent dans les hypothèses où la victime au moment de l’accident n’est pas seulement usager de l’ouvrage mais usager d’un service public industriel et commercial.

Par exemple, une personne se rendant dans une gare pour prendre le train est considérée comme un usager d’un service public et commercial. Partant, dans le cas d’un accident, le litige est de la compétence du juge judiciaire. Il n’en serait pas de même si elle était venu à la gare pour un autre motif, telle la fête du centenaire de la création d’une ligne (CE, sect., 24 novembre 1967, Dlle Labat, req. n°66729).

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Par ailleurs, la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public prévoit également la compétence du juge judiciaire en cas de dommage causés par un véhicule. (T. confl. 17 nov. 2014, Société France Télécom UI Alsace Lorraine c/ Société Aximum, n°c3966).

Compétence possible du juge pénal

Enfin, en cas de mise en cause pénale de l’entrepreneur dans l’hypothèse où le fait dommageable est constitutif d’un délit pénal la victime ou ses ayants droits peuvent librement porter leur action en réparation devant le tribunal administratif ou se constituer partie civile et se joindre à l’action publique dont le tribunal répressif qui est saisi.

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Le contentieux des dommages de travaux publics ou d’ouvrage public est un contentieux qui recouvre une multitude de situations et d’hypothèses.

Les conditions qui doivent être remplies pour permettre une indemnisation sont d’un maniement délicat.

L’aménagement des modes de preuve est également primordial pour obtenir la réparation des préjudices subis.

Si vous vous y trouvez confronté, il est nécessaire de vous poser les bonnes questions, puis de prendre contact avec un avocat avant d’engager un recours indemnitaire préalable, puis de déposer une requête indemnitaire devant le Tribunal Administratif.

Hubert VEAUVY, Avocat
Quentin PARÉE, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat Associé